Les raisons d'une réussite

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La wilaya de Tizi-Ouzou est, pour la 7e année consécutive, à la tête du podium de la réussite au baccalauréat. Avec un taux de 65.75%, elle dépasse de loin la moyenne nationale qui, elle, est de 51,36%. Avec pratiquement les mêmes contraintes, les mêmes retards et le même encadrement à l’échelle nationale, Tizi-Ouzou a pu nettement se distinguer du lot. L’on peut même dire que les contraintes climatiques et du cadre de vie en général sont plus rudes en Kabylie.

Outre les grèves qui ont marqué tous les établissements du pays, les lycées de la montagne ont largement souffert des chutes de neige, des ruptures de courant électrique, du manque de chauffage et surtout des grandes pluies de février qui ont coupé les routes et engendré de graves glissements de terrain, dont les stigmates sont encore visibles en ce mois de juillet. Presque tous les facteurs militaient pour des résultats modestes.

Par-ci, par-là on cherche à connaître le secret de la réussite. Une certaine opinion, colportée par la rue dans d’autres régions du pays, fait état d’un certain « laxisme » qui aurait régné dans les classes d’examen, ce qui aurait permis copiage, fraude et autres actes délictueux. C’est, visiblement, une forme de déception mal contenue, avec sans doute un sentiment de jalousie qui s’exprime ici. C’est, concédera-t-on, là un sentiment naturel. Mais pour se maintenir sur le podium avec une telle constance, c’est qu’il a fallu une motivation exemplaire et une volonté à toute épreuve.

Ne nous faisons pas tout de suite d’illusion sur la valeur et les qualités intrinsèques de l’examen du baccalauréat. On peut prendre toutes les observations et tous les plaidoyers que nous avons développés dans ces mêmes colonnes au cours de ces dix dernières années au sujet du bac, ils gardent tous leur part de vérité et même leur fraîcheur. Le meilleur indice est sans doute les contreperformances pédagogiques au niveau de l’université et principalement en première année, juste après l’examen du bac. Les statistiques parlent d’un taux de redoublement de près de 70% en première année, toutes filières confondues.

C’est énorme et scandaleux. Dans les filières scientifiques, dont l’enseignement est assuré en français, la fracture est plus visible qu’ailleurs. Mais pour revenir à cette performance exceptionnelle de la wilaya de Tizi-Ouzou dans les résultats du bac, plusieurs facteurs peuvent l’expliquer, mais tous convergent vers une même problématique, celle de la volonté de l’ascension sociale dans une région économiquement peu valorisée, qui envoie ses enfants et ses cadres dans le reste des wilayas du pays, dans les chantiers pétrolier du Sud et sur les voies de la nouvelle émigration, légale et clandestine. Pendant plusieurs années, l’illusion de richesse qui a déroulé son tapis avec la grâce du pétrole et des pensions de l’euro, avait quelque peu escamoté et éclipsé le besoin de réussite scolaire, d’autant plus que, paradoxalement, le chômage sévissait et n’épargnait nullement les porteurs de diplôme.

La réussite sociale résidait plutôt dans l’affairisme, le commerce informel et la proximité des centres de décision (par association ou parti interposés). Cette vision et ces pratiques avaient fait des ravages dans le corps de la société ravalé les valeurs des études et du travail et installé des mentalités rentières à l’échelle de tout le pays. Insensiblement, les limites de cette descente aux enfers se donnaient à voir. Les quelques rares « success-stories » de jeunes entrepreneurs dans la région ont donné l’exemple de ce à quoi pouvait donner naissance l’attachement aux études et la réussite scolaire. Et puis, comme toujours, la Kabylie est servie par son émigration, de façon directe ou indirecte, y compris celle qui s’est installée dans des conditions difficiles, restée des années durant clandestine, sans papiers. Sans qu’on s’en rende compte de manière explicite ni qu’on puisse l’évaluer de façon claire, l’apport de l’émigration- sur le plan des valeurs, de la discipline et de l’abnégation dans le travail- est toujours là. C’est que les ponts ne sont jamais rompus entre la Kabylie et ses enfants installés en Europe ou au Canada.

Les réussites sociales et professionnelles d’un certain nombre de ces jeunes sous d’autres cieux n’ont pas manqué d’inspirer les jeunes de Kabylie et les voies pour y parvenir ne sont pas celles indiquées par la rente et l’affairisme, mais plutôt par la formation solide et la compétence. Cependant, ces constats ne nous autorisent pas à crier tout de suite victoire ni à chanter les hosannas d’un système éducatif qui aurait retrouvé comme par enchantement, ses lettres de noblesse. Il y a lieu de placer le taux de réussite au bac dans la wilaya de Tizi-Ouzou dans le contexte général d’un système éducatif qui ahane à peine à trouver les voies de son salut. Nous avons salué ici même les mérites de Mme la ministre de l’Éducation nationale, Noria Benghebrit, qui a hérité d’une situation intenable, quasi ingérable, dans son secteur. L’indiscipline et la rébellion, à côté de la médiocrité ont élu domicile dans l’école algérienne depuis le début des années 1990.

L’école sinistrée, ainsi qualifiée par feu le président Boudiaf, n’est pas une caricature ni une vue de l’esprit. Elle était devenue la machine à fabriquer des chômeurs. Pire, l’ancien ministre de l’Intérieur sous Boudiaf, Mohamed Hardi, assassiné devant sa fabrique de céramique, accusait l’école de fabriquer même des terroristes. Il avait donné à l’époque, un chiffre effarant d’enseignants ayant rejoint les maquis islamistes. Aujourd’hui que la volonté de réformer l’école s’affiche publiquement, avec les tentatives des islamo-conservateurs qui ont redoublé de férocité pour y mettre les bâtons dans les roues, il s’agit de soutenir cet élan et de lui donner un contenu qui aille avec les besoins de l’Algérie d’aujourd’hui en matière d’éducation et de formation.

Amar Naït Messaoud

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