Dès la veille du mois de Ramadhan, une rumeur avait circulé sur les réseaux sociaux, à propos de prétendues menaces sur l’organisation en plein air de manifestations artistiques sur l’esplanade de la Maison de la Culture Taos Amrouche de Béjaïa.
De ce fait, les autorités concernées ont décidé de surseoir à toute manifestation sur cette place durant les soirées de ce Ramadhan. Pourtant, personne n’était capable de situer la source de ladite menace et il n’y eut aucune preuve matérielle et concrète d’une quelconque menace venant de qui que ce soit. La réaction étonnante de la wilaya en avait d’ailleurs surpris plus d’un. Au lieu de prendre ses responsabilités et assurer l’ordre public, on a préféré reculer et laisser la peur triompher sur la raison. Certains ont même soupçonné des manipulations politiques derrière cette cabale incroyable. On a tout simplement décidé de mettre la culture à Béjaïa sous le boisseau. Du coup, c’est toute l’animation culturelle ramadhanèsque de la ville qui a été mise entre parenthèses.
Même l’esplanade de l’ancien Souk El fellah, qui assurait plusieurs animations artistiques durant le mois de Ramadhan a suivi le mouvement et s’est mise en veilleuse. L’animation durant les deux premières semaines du mois a alors été assurée par ses milliers de jeunes qui ont occupé les trottoirs de la ville pour proposer leurs produits commerciaux aux visiteurs extrêmement nombreux durant les soirées. Pourtant, le comité des fêtes de la ville de Béjaïa a programmé plus de cent quarante manifestations publiques, sans qu’aucune prétendue menace ne soit venue troubler la quiétude et l’ambiance des galas organisés dans les quartiers et les places publiques. La rumeur et la peur ont failli avoir le dessus sur le caractère culturel de Béjaïa. Les soirées ramadanesques de la Maison de la Culture étaient devenues une tradition et les jeunes, aussi bien que les familles trouvaient dans ces événements l’occasion de sortir et se divertir.
Ainsi, l’ensemble des soirées prévues dans le programme de cette institution culturelle ont été organisées à l’intérieur de la bâtisse, et le monde a afflué sans cesse depuis la deuxième soirée. Si bien que l’atmosphère y est devenue insupportable. Le nombre de visiteurs dépassait largement les capacités d’accueil des deux salles de spectacles et même le hall central de la Maison de la culture fut investi. Beaucoup ont dû rebrousser chemin, pour la simple raison qu’il était impossible d’y accéder. Jeudi dernier, à titre d’exemple, le collège Naciria II avait réservé la petite salle de spectacles de la Maison de la Culture pour organiser une cérémonie de remise de prix à ses élèves qui ont réussi au BEM. Les élèves de ce collège pour rappel ont obtenu un résultat parfait, avec 100% de réussite. Mais le monde qui s’est déplacé élèves, parents enseignants, amis et familles ont été tellement nombreux que l’atmosphère était vite devenue irrespirable. Madame Gaoua, la directrice de ladite Maison de la culture a dû intervenir rapidement, craignant pour les enfants, et a annulé purement et simplement l’événement, en évacuant la salle. Le risque était trop grand, et les visiteurs ruisselaient de sueur. Le système de climatisation n’était pas prévu pour un tel volume de chaleur.
Dans le hall, plusieurs personnes se sont plaintes de cette atmosphère irrespirable et se sont demandé pour quelle raisons l’esplanade n’était pas exploitée comme à l’accoutumée. Les gens pressaient la directrice et l’encourageait à réagir et à ne pas craindre quelque menace que ce soit. Ils se sont dits engagés à être présents à ces manifestations, si d’aventure elle décidait d’en organiser. Un citoyen, venu en famille, a supplié la directrice d’organiser un grand gala en plein air, ne serait-ce que pour marquer le point. «Au moins une soirée, pour ne pas dire que l’échec a été total», avait-il dit. Tout le monde trouvait inacceptable de reculer devant une menace fictive, au détriment des libertés publiques fondamentales et au droit à l’expression artistique qui est un des plus importants patrimoines de la ville de Béjaïa. Les demandes des citoyens se sont faites de plus en plus pressantes. Chacun y allait de ses commentaires et de ses arguments. Manipulations politiques, menaces des intégristes, plaintes des voisins, incompétence des responsables, volonté d’étouffer la culture, … Le Djihad du Facebook a eu raison du combat politique et culturel.
Le clic de la souris a balayé la clique de la culture. En fin de compte, nous avons appris que la Maison de la Culture vient de prendre une décision importante, qui est celle d’organiser deux grandes soirées avec des galas artistiques sur l’esplanade pour les 13 et 14 de ce mois. La soirée du 14 sera animée par Boudjemaa Agraw qui viendra secouer le public et ramener un peu de joie et de sérénité en ce plus triste mois de Ramadhan de l’histoire récente de la Ville de Béjaïa. Le public est donc largement invité et nous promet-on, le retard sera quelque peu rattrapé. Toujours est-il, que le monde artistique a brillé par son absence de réaction. Seules de timides réunions ont eu lieu au CDDH, sans impact aucun sur la suite des événements. Les artistes ont montré leurs limites en matière de combat politique, oubliant que le culturel n’en est que le pendant. Beaucoup d’entre eux, pas tous heureusement, utilisent la culture au lieu d’en être les serviteurs. Beaucoup ont ainsi déserté l’arène, laissant le soin aux autres de combattre à leur place. Et eux, tapis dans l’ombre, ils attendent l’issue des combats pour s’accrocher au gagnant quel qu’il soit, pourvu qu’ils en tirent des dividendes. C’est ce qu’on appelle des opportunistes.
N. Si Yani