Sidna Remdan tire à sa fin. Les Dezdeg reçoivent, dans leur F2 aménagé en F6, un invité. Il s’agit de Mumuh, un cousin venu de At Rgad retirer sa carte d’assurance à Alger et, bien évidemment, ce faisant «slogonner» à la Place du 1er Mai, pour les frères mozabites ou Ghardaïa, c’est selon l’idée qu’il se fait des tristes événements.
Les jeunes Dezdeg ne le connaissent pas. Ils savent que c’est un cousin. De toute façon, tous les gens du village sont, d’une manière ou d’une autre, cousins. Et puis quelqu’un du village est toujours le bienvenu. Ça change un peu de l’ambiance yakhotiste. Mumuh, Mumuh Lboulitik, comme on l’appelle di taddart pour le distinguer des autres Mumuh, se shoote à la politique. Il en consomme jusqu’à overdose. D’ailleurs, il a fait le tour des soixante partis uniques pour finir dans le parti le plus en vogue : facebook. Son pseudonyme : «vous avez tout faux !».
Son slogan : «tous pourris !». Son ennemi : tous ceux qui ne cliquent pas sur j’aime. Mais son plus grand ennemi reste le DRS. D’ailleurs, il passe pour un spécialiste dans l’art de démasquer les éléments du département des renseignements et de la sécurité. Il affirme que son azetta facebook en pilule. Dans son mur, il les reconnaît au pseudo. Dans la rue au faciès. Mumuh est ce genre d’excité qui n’arrête jamais de parler mais ne dit jamais rien. Sa culture boulitik est essentiellement assise sur les diatribes des réseaux sociaux et les assauts du journal «J’affirme». À At Rgad, avec son ami La Besace, ils forment l’intarissable duo «source réceptacle».
«Comment diable, lui qui n’a jamais travaillé dans sa vie a réussi à avoir une carte d’assurance ?», s’interroge le vieux Dezdeg, avant d’admettre : «yezmer i kulec ugeswah !». Il n’a pas tort. Mumuh est capable de tout. Il peut même apprendre à jouer aux dominos à un chimpanzé. Après les embrassades et les «amek tella yemma-k, baba-k…», tout le monde s’installe dans le salon. Tous sont accrochés aux lèvres de Momouh lboulitik.
– Aha Mumuh, raconte amek tella la kabylie-nni, tamazight-nni ?
– Rien ne va, répond-il en lorgnant Les Deux Poils dont le faciès ne lui inspire pas confiance.
– Comment ça ?
– Ils sont partout !
– Qui ?
– Les agents du DRS !
– Tu exagères kamim Mumuh !
– J’exagère, moi j’exagère ! Oui, ils sont partout et depuis longtemps. Le Sénat numide en regorgeait déjà. L’Etoile nord africaine en comptabilisait au moins une trentaine. Le café de Da Slimane en réunit tous les soirs. L’association «zwi-tt, rwi-tt» en déborde… Partout, je te dis, affirme-t-il en continuant à disséquer le faciès de Mamou Les Deux Poils.
– Tu penses quoi des événements de Ghardaïa ?
Silence radio. Mumuh, lui, qui avait un avis sur tout, se tait. Le vieux Dezdeg n’en croit pas ses yeux. Il n’a jamais vu Mumuh donner sa langue au chat.
– Alors Mumuh, tu penses quoi de Ghardaïa. Le DRS est derrière les événements ?
– Pour une fois, je reconnais que le DRS n’a rien fomenté.
– Quoi ? Amek ? Comment ?…, hurlent les Dezdeg en même temps
– Oui, ce que je pense est politiquement incorrect. Mon ami la Besace ne me le pardonnera jamais. Mais la vérité faut toujours la dire. Au moment où il allait développer, l’adhan invite à la rupture du jeûne. Mumuh s’arrête sec et change de ton : «ahaw tura ad necc taleqimt, après ad asen-qesser un coup». On n’entendait plus que le bruit des fourchettes et cuillères entrecoupé de «awi-d kan ifelfel-nni !»
T.O.A