Pression sur les hôpitaux

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L’ambiance qui règne dans les hôpitaux, durant ces derniers jours du mois sacré, est exceptionnelle, due au défilés d’enfants qui y affluent pour subir des circoncisions.

Des chaines de chérubins en tenues traditionnelles, algériennes, marocaines, turques ou même du moyen orient accompagnés de leurs parents, des pleurs qui s’associent quelques fois aux youyous des vieilles grand-mères, jusqu’à nous faire oublier qu’ici dans ces lieux d’autres familles pleurent la perte d’un cher ou en attente de ce dernier moment, car disons que l’hôpital est aussi fait pour mourir. Mais là c’est la fête et les yeux sont braqués sur ces petits «pèlerins» venus pour subir cette opération de circoncision.

Une expérience qui n’est qu’un devoir dicté par la tradition, la religion et même la médecine: la circoncision, un acte qui constitue, à vrai dire, le dernier trait d’union entre le rituel et la médecine moderne. Pour accomplir l’acte primordial de cette cérémonie, nos hôpitaux vivent une pression indescriptible, durant chaque mois sacré avec une ampleur exacerbée quand on s’approche du 27ème jour, comme le veut la tradition. Une cérémonie dont la préparation ne se limite pas à celle de la famille, du fait que les équipes médicales y mettent leurs mains dans les gants pour être prêtes à ce rendez-vous. C’est un véritable branle bas de combat qui s’annonce chez les ménages tout comme chez les blouses blanches, mais pour des buts tout à fait différents.

Chez les ménages, on s’adonne à cœur joie pour mettre les dernières retouches de cette fête familiale et qui n’a rien de moins que les noces, alors que les praticiens, eux tentent à surpasser le stress de ces journées de circoncision en mettant les bouchées double, à l’effet de faire face à la tension pour prévenir tout accident ou risque, pouvant tout chambouler dans les deux camps.

Le risque zéro n’existe pas

La pratique de la circoncision a changé complètement de donne ces dernières années, et la circulaire 03 du 25 juin dernier, émanant du ministère de la Santé publique et de la réforme hospitalière relative à la prise en charge de la circoncision en est la preuve tangible. Une circulaire qui vient à point nommé répondre à l’organisation «selon nos traditions» de la circoncision, plus précisément durant le mois de Ramadan, car cela a engendré un afflux, quelque fois, dépassant les capacités des structures médicales à faire face.

Ce nombre de dizaines d’enfants inscrits, à subir cet acte chirurgical mais aussi rituel ne fait qu’augmenter les risques et les conséquences, quelques fois fâcheuses de cette pratique, car comme il est défini par les experts la survenue d’un accident est égale à la somme des risques à encourir. Donc, dans ce cas de figure, chaque enfant représente un risque que l’on multiplie par leur nombre, qui se voit grandissant suivant les habitudes, dont sont organisées ces circoncisions à travers les structures hospitalières, seules habiletés à pratiquer ce genre d’intervention. Les hauts responsables du secteur de la santé définissant la circoncision comme un acte purement médical qui ne doit être pratiqué que par des chirurgiens et uniquement au niveau des hôpitaux, seules structures capables à unir les conditions d’hygiène et de sécurité requises, pour éviter tout accident éventuel à ce type d’opération, mettent en exergue 5 recommandations pratiques.

Il s’agit en effet, de définir les contre indications de la circoncision, les conditions d’hygiène et sécurité d’utiliser une boite d’instruments pour chaque enfant, d’assurer les soins de la phase postopératoire et de bannir l’utilisation des bistouris électriques et autres thermocautères à l’origine d’accidents fâcheux survenus, jadis. Cela explique les conditions pour créer un environnement médico-chirurgical optimal à la pratique de la circoncision, pour réduire les risques et complications, car pour les médecins le risque «zéro» n’existe pas dans la pratique médicale.

Un acte purement chirurgical

Docteur Bekka, chirurgien dans un EPH de la wilaya de Béjaïa, va directement à la définition «médicale» de la circoncision : «il s’agit d’une intervention chirurgicale, pratiquée souvent sous anesthésie locale, consistant à couper la peau ou le prépuce, et qui nécessite une préparation, néanmoins un bilan biologique sanguin, afin de vérifier s’il n’existe pas de risque hémorragique, comme chez les hémophiles par exemple». C’est à partir de là que notre interlocuteur explique tous les enjeux liés à cette pratique, du fait qu’elle est liée, aussi, aux coutumes et traditions, «il faut revoir son côté positif pour mieux faire une complémentarité entre la médecine et le rituel, sachant que cela est recommandé par des religions, notamment l’islam, la médecine moderne vient confirmer que la circoncision constitue un moyens efficace de diminuer les risques liés au SIDA par exemple». «Elle va aussi jusqu’à devenir un traitement pour certaines anomalies, comme le phimosis, liées à la difficulté de l’évacuation des urines chez les enfants», ajoute le chirurgien qui n’a pas omis de d’exposer un autre problème majeur.

Il s’agit pour lui de ces opérations de circoncision collectives dans les hôpitaux qui engendrent quelques fois une surcharge de travail aux chirurgiens, du moment que la circulaire ministérielle indique que l’acte de circoncision ne doit être pratiqué que par ces spécialistes de la chirurgie. «On est quelques fois face à des situations difficiles à gérer durant ces derniers jours du mois sacré que l’on consacre à la circoncision comme le veut la tradition, mais sans oublier les autres cas chirurgicales d’urgence surtout que l’on est en pleine période estivale», précise-t-il. Les médecins, devant cette condition, luttent sur deux fronts pour mieux gérer les nombreuses circoncisions sans risques et juguler les cas d’intervention d’urgence, sachant que cela n’est toujours pas évident, si l’on prend le nombre réduit de praticiens spécialistes en chirurgie.

Un vrai casse tête vécu dans l’antichambre par les opérateurs, car ces opérations collectives sont programmées avec les collectivités locales et le mouvement associatif, il s’agit en outre et habituellement d’enfants issus de familles démunies. Formidable élan de solidarité à condition que cela ne soit pas un fardeau ou un fait accompli aux équipes médicales se retrouvant entre le marteau et l’enclume, car elles sont appelées à répondre à de nombreuses demandes et dans un temps réduit, et aussi à répondre à toutes les conditions d’aseptise et de sécurité exigées pour la pratique de la circoncision.

Casser le cercle vicieux

Des initiatives à applaudir et encourager quant à s’occuper des pauvres, et à continuer à sauvegarder ce rite ancien, depuis l’ère des Pharaons. Toutefois, la prise de conscience devant les dangers et les risques liés à l’atmosphère, dont sont pratiquées ces circoncisions, il y a de quoi remettre en cause ces exigences de traditions sur la médecine, qui est une profession ayant des lignes rouges à ne pas affranchir. Répondre à la demande massive de cet acte rituel en est une brèche qui s’ouvre pour l’augmentation des risques éventuels liés à ce genre d’intervention, car, comme nous ont été expliqué les praticiens, les conditions optimales, à réunir pour la circonstance, sont liées au nombre d’enfants à prendre en charge dans la journée. Un nombre qui joue sur le changement du comportement des membres d’équipes médicales, avec au menu, une forte dose de stress arrivant jusqu’à perdre le sang froid, surtout que l’on est en plein mois du jeûne, explique un psychologue, sans compter le brouhaha et la pression exercée par les parents. Côté matériel, «les choses sont claires à comprendre, qu’il est dans l’impossibilité d’assurer les moyens requis (une boite d’instrument par enfant) quand le nombre est à la hausse», nous explique une source hospitalière.

Le nombre de chirurgiens, à mobiliser pour accomplir ces dizaines de circoncisions, reste une énigme ou une devinette à exposer, pour savoir si les conditions sont vraiment respectées. Pas à tous les coups, en tout cas, et malgré que les circoncisions sont prises en charge le long de l’année, les familles, un peu «égoïstes» mais avec naïveté ne cherchent qu’à assouvir leur désir de célébrer ce rite autour du 27éme jour du ramadan, ignorant que cette pression et le fait accompli imposé sur les hôpitaux peuvent mener à des risques à regretter à vie et dont les victimes seront leurs enfants, les seules d’ailleurs.

Des médecins au four et au moulin exhortent la société civile, et surtout les imams et les hommes de culte à expliquer, l’absence de tout rapport entre la circoncision qui reste un devoir à accomplir pour les musulmans et le mois de carême, seul moyen pour la prise de conscience, à mettre un terme à cet état de fait. Interrogé un imam qui a requis l’anonymat est catégorique: «Il n’existe ni verset coranique ni encore de Hadith du prophète qui dicte la nécessité de pratiquer la circoncision le mois de ramadhan ni encore le 27ème jour, pour confirmer que cela relève uniquement des us et coutumes.»

A cet effet, un appel est fait aux organisations et associations, qui s’investissent dans la bienfaisance et l’organisation de ces rites au profit des familles pauvres, à faire dans la sensibilisation et l’information pour mettre un terme à ce choix de célébrer ces cérémonies dans un seul mois, le mois sacré. Cela dit, la religion qui n’a pas retenu le moment propice de ce rite et les conditions hostiles vécues par les équipes médicales, lors de la pratique massive de cet acte et qui vont jusqu’à mettre en péril la vie des enfants, suffisent largement à comprendre la nécessité de revoir les cas de ces circoncisions collectives, le mois de Ramadan.

Par ailleurs, selon nos sources, jusque là on a enregistré aucun incident ni accident au niveau des hôpitaux de la wilaya de Bejaïa où quelques 2000 enfants ont été circoncis, cette année au niveau de ses 5 hôpitaux. Mais faut-il attendre qu’un drame survienne pour que l’on prenne conscience de cela. La responsabilité n’incombe pas seulement aux médecins mais elle est partagée. Aussi, la circulaire du ministre, qui vient fermement de donner des instructions dans ce sens, nécessite par ailleurs un grand travail d’accompagnement de tout le monde. Seulement, on constate que le chemin est long, pour arriver à comprendre que le rituel doit obéir à des exigences de la médecine moderne, surtout si l’on sait que dans une wilaya comme Bejaïa, la circoncision est pratiquée de nos jours, loin qu’elle soit par de chirurgiens, en dehors des hôpitaux, dans des cabinets de fortunes.

Nadir Touati

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