Je suis soldat algérien…

Partager

L’attentat de vendredi dernier à Aïn Defla, jour de l’Aïd, contre de jeunes militaires de l’ANP n’a pas manqué de soulever la colère et le dégoût des Algériens. Si les réseaux sociaux étaient connus jusqu’ici pour une certaine tendance au primat de l’humour et du ludique sur l’information et l’analyse, ils se sont montrés, juste après l’attentat, comme un précieux et merveilleux canal de transmission de l’émotion, du dégoût, du sentiment de solidarité et d’attitude de rejet ferme de ces pratiques barbares qui nous renvoient aux temps préhistoriques de la jungle et de l’absence de conscience humaine. Sur les pages facebook, les photos des jeunes militaires assassinés entre Aïn Defla et Médéa ont fait la « une » et continuent de le faire. On a accroché cette légende, qui donne la chair de poule, à une photo de l’une des images: « Je suis soldat algérien tombé en martyr le jour de l’Aïd ». On a beau « accuser » les jeunes Algériens de ne pas s’intéresser à ce qui se passe dans leur pays et à avoir l’esprit « harraga », le fond est toujours là. Ceux qui affichent une telle révulsion face à cette barbarie du début du troisième millénaire et expriment une sympathie et une solidarité débordantes envers les familles des victimes ne sont pas nés, pour la plupart, lorsque le pays était entré dans l’aventure terroriste. Le terrorisme islamiste a maintenant vingt-cinq ans d’âge en Algérie, depuis les premiers attentats qui ont « accueilli » l’installation de Mohamed Boudiaf à la tête du HCE en 1992. Cela, sans compter bien sûr, les actes « isolés », qui n’étaient pas liés à l’annulation du processus électoral, comme l’attentat de Guemar le 29 novembre 1991, soit 25 jours avant le premier tour des législatives, et, plus loin encore, l’assassinant de l’étudiant Kamal Amzal à Ben Aknoun, le 2 novembre 1982. Tout au long de cet intervalle de temps qui s’étend sur plus de trente ans, la logique intérieure qui anime la subversion terroriste demeure la même : il s’agit de détruire les bases de la République, issue de la révolution de novembre, et rattacher notre pays à une quelconque chimère de Kalifa. Si ce mot était presque toujours entendu sous son sens métaphorique qui exagère un peu les traits, aujourd’hui, le Kalifa est proposé quoi ?, imposé comme alternative par l’Etat Islamique (Daesh) pour tous les pays musulmans et au-delà. Si le terrorisme continue, sporadiquement, à endeuiller les familles algériennes et à replonger quelques régions du pays dans la peur, il n’a plus la force et les capacités de nuisances qu’il avait lorsqu’il était fortement organisé et structuré en appareil de guerre, soutenu par des puissances étrangères. Dans le meilleur des cas, des pays amis avaient fait preuve de neutralité en attendant probablement l’issue de la bataille pour pouvoir se positionner. Les Algériens avaient donc fait face, presque seuls, à ce monstre de la fin du 20e siècle; ce qui nous a valu près de deux cent mille morts, des destructions incommensurables et des traumatismes psychologiques qui ne se résorberont pas de sitôt. La Charte pour la paix et la réconciliation nationale, votée par référendum en 2005, avec les limites qui furent les siennes- critiquée par des démocrates pour excès de « mansuétude » et par les islamistes pour les restrictions qu’elle oppose à l’activité politique de ceux qui sont à l’origine de la « tragédie nationale »-, avait quand même le mérite de pousser des milliers de terroristes à déposer les armes, équivalant à une reconnaissance de facto de la défaite militaire de l’islamisme armé. Les démocrates républicains ont toujours milité pour faire accompagner et encadrer cette défaite militaire par une défaite idéologique, correspondant au vivier culturel et religieux duquel sont tirés les arguments du djihad contre les « apostats ». Il semble que ce combat soit plus complexe que la bataille militaire. En effet, il engage l’école, l’université les médias, les moyens de développement culturel, les mosquées et tout ce qui peut contribuer à faire naître une conscience citoyenne et à cultiver les valeurs de la modernité ou qui, au contraire, peut décider d’une fatale dérive mentale. Ces deux béquilles- le front de la lutte antiterroriste et le nécessaire redressement des organes et instances idéologiques producteurs d’intégrisme- ne peuvent se séparer ou se passer l’une de l’autre. Le quart de siècle du terrorisme vécu par l’Algérie le démontre amplement, et la « daeshisation » rampante depuis 2013 dans l’aire géographique arabo-musulmane le confirme sans ambages.

Amar Naït Messaoud

Partager