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Pour quel nouvel ordre politique ?

L'été algérien de l'année 2015 se montre politiquement "riche&quot,; comparé aux étés des années passées où c'était plutôt la rumeur qui régentait l'actualité.

Changement de gouvernement, avec mêmes quelques organigrammes chamboulés, mouvement dans le corps des walis, élaboration de la loi de finances complémentaire, nouveau code des marchés publics, soit un train de décisions qui sont supposées mener à bon port le pays d’ici la rentrée sociale de septembre et tracer des perspectives pour le reste de l’année. Un an après le début d’inflexion des cours de pétrole sur les marchés mondiaux, les autorités politiques du pays et le gouvernement tentent de reprendre l’initiative sur le terrain.

Cette initiative avait, pendant plusieurs mois, subi une sorte d' »estompage » dû à des tergiversations de toutes sortes, inhérentes, d’une part, à la manière d’appréhender la crise financière du pays et d’y faire face- après que les recettes pétrolières eurent subi un recul de 50 %-, et d’autre part, à la stratégie de riposte à une opposition politique qui glane la majorité de ses arguments justement dans cette valse-hésitation du gouvernement. Par la suite, est venue la tragédie de Ghardaïa, avec ses morts, ses blessés et ses destructions, pour mettre le gouvernement face aux flèches décochées par les partis politiques d’opposition. C’est plutôt dans des analyses indépendantes que l’on a pu dénicher quelques explications à ce qui se passait dans la vallée du M’zab.

Les médias publics étaient, comme toujours, parcimonieux en matière d’analyse, lorsqu’ils n’y sont pas allergiques. Les partis d’opposition n’ont pas toujours bonne presse; leurs lectures des événements sont toujours, à tort ou à raison, assimilées à un « fonds de commerce » politique, particulièrement lorsque les libertés publiques sont jugées trop restrictives. Le deuxième semestre de l’année 2014 et le premier semestre de 2015 ont été vécus dans cette atmosphère d’acteurs politiques et sociaux se regardant en chiens de faïence. Le gouvernement constitué au lendemain des élections présidentielles d’avril 2014 a été vite mis dans l’ambiance de la crise financière. Dès juillet 2014, les indicateurs des marchés de l’or noir quittaient subrepticement le beau vert des 110 à 115 dollars/baril, pour virer, dès l’automne, à l’orange. Au nouveau gouvernement, on ne pouvait pas reprocher de s’être mal préparé à la crise. Le discours et les avertissements portant sur cette éventualité sont vieux de quelques…décennies. Ahmed Ouyahia et Abdelaziz Belkhadem ont déjà « goûté » aux mini-crises de la baisse du prix du pétrole entre 2007 et 2012.

Même s’ils n’avaient pas atteint le niveau de dangerosité actuel, ces moments de tension étaient censés donner la mesure de ce à quoi les Algériens pouvaient s’attendre dans un contexte mondial- sur les plans de l’économie et de la géostratégie- des plus tendus. Ne s’étant pas préparés de façon rationnelle et intelligente, les Algériens ne pouvaient, en 2014, que parer au plus pressé. La grande stratégie de diversification économique, d’amélioration du climat des affaires et du rehaussement de l’attractivité de notre pays sur le plan des investissements productifs, ne pouvait être mise en place en quelques mois. D’ailleurs, à ce jour, le projet du nouveau code des investissements et le projet du code du travail sont toujours dans les tiroirs des ministères concernés, bien que leur révision fût annoncée il y a plus de deux ans. Parer au plus pressé c’est d’abord réfléchir, et avec diligence, à la manière de réduire la facture des importations qui a atteint 60 milliards de dollars et d’exploiter des « niches » fiscales qui pourraient contribuer à raffermir le budget de l’Etat dans un contexte de régression de la fiscalité pétrolière.

De gros intérêts en jeu

Dans cette complexe arithmétique, inscrite dans l’urgence, le ministère du Commerce a été puissamment sollicité pour instaurer le régime des licences d’importation, concevoir des mesures d’incitation à l’exportation hors hydrocarbures et à lutter contre le commerce informel. L’entreprise a été menée avec beaucoup de courage, sachant que de gros intérêts sont en jeu, aussi bien dans le secteur de l’importation que dans le commerce informel. Des marchés de proximité ont été construits un peu partout sur le territoire national. Même si l’intégration des jeunes dans ces circuits n’a pas été une entreprise de tout repos, un grand pas a été accompli. Il est vrai que l’économie parallèle est plus étendue et plus complexe que les simples étalages de rue qu’il faudrait évacuer.

Les transactions non facturées, y compris dans le commerce légal, représentent, d’après certaines estimations, plus de 40 % du montant de la masse monétaire échangée. L’utilisation obligatoire du chèque pour toute transaction égale ou supérieure à 1 million de dinars, introduite dernièrement, est censée travailler pour une relative « régularisation » du marché informel, alimenter le secteur bancaire qui en a bien besoin et instaurer une traçabilité comptable pour les opérations commerciales. L’autre plaie de l’économie nationale étant les surfacturations des importations qui sont à l’origine de la fuite de capitaux. On croyait que le crédit documentaire, introduit par Ahmed Ouyahia en 2009, allait résoudre le problème. Il n’en est rien. La ruse de guerre des importateurs, jointe à la complicité monnayée des fournisseurs étrangers, est décidément plus lourde dans la balance. La rumeur de la rue parle de quelque 10 milliards de dollars de fuites de capitaux générées par de tels procédés.

Prétendre que toutes les mesures et politiques dictées par l’urgence de la situation financière du pays ont reçu l’assentiment de tous les acteurs, serait plus que de la naïveté politique, une forme de cécité. Tous ceux dont les intérêts rentiers sont bousculés tentent, comme en janvier 2011, de rebondir, de reprendre place et de défendre leurs privilèges, y compris par les moyens les moins loyaux. Le prétexte de la libéralisation du commerce du vin pour « expliquer » le départ de Amara Benyounès du gouvernement, n’est servi que par des parties qui cherchent à voiler les grands enjeux des changements qu’est appelée à subir l’économie nationale afin de réussir le difficile passage que lui impose le recul des recettes pétrolières.

Amar Naït Messaoud

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