L’aménagement de la langue berbère (1)

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La langue berbère, comme toutes les langues du monde, est soumise à l’évolution : des mots, tombés en désuétude, disparaissent, d’autres apparaissent, pour répondre aux transformations qui se produisent dans l’environnement ou la vie sociale des locuteurs. Il se produit aussi des changements à l’intérieur de la langue, les structures phoniques, morphologiques ou syntaxiques, connaissant aussi une évolution, il est vrai, plus lente que le vocabulaire mais qui, s’étendant sur une longue période, peut modifier la langue. Pour se renouveler, une langue dispose de deux moyens : soit en empruntant des mots à d’autres langues, avec laquelle elle a des relations, soit en créant tout simplement, à partir de son stock lexical, La plupart des dialectes berbères semblent avoir privilégié la première solution, la seconde, la création à partir des ressources propres de la langue, étant un fait relativement récent. On relève toujours, ça et là, des créations spontanées–on pense au kabyle asaru ‘’film’’, à partir de asaru ‘’ceinture de soie’’ ou, plus récemment tififun ufus ‘’téléphone portable’’, littéralement ‘’téléphone de main’’- mais la plupart des vocabulaires techniques sont empruntés : il n’ y a, à notre connaissance, aucun mot berbère pour dire ‘’train’’, alors que l’arabe, par exemple, dispose de qitâr, évolution de sens d’un vieux mot signifiant ‘’file de chameaux dans une caravane’’. Un dialecte, comme le touareg, réputé à l’abri des emprunts, en intègre de plus en plus aujourd’hui, parce que, lui aussi, il est confronté aux réalités du monde moderne que la langue est incapable d’exprimer.

L’aménagement linguistiqueC’est en 1959 qu’a été lancé le concept de planification linguistique (en anglais : language planning) pour caractériser le fait délibéré d’intervenir sur l’évolution d’une langue, en établissant des règles pour fixer les usages oraux ou écrits, introduire des nouveautés, supprimer des pratiques….Le besoin d’aménager une langue se fait surtout ressentir quand on se trouve en présence de deux ou plusieurs langues concurrentes sur un même territoire de plusieurs variantes d’une même langue. L’intervention peut porter soit sur le statut de la langue, c’est-à-dire sa place dans un Etat (s’agit-il d’une langue officielle, nationale, étrangère ?) ou alors son fonctionnement, en intervenant sur son système d’écriture, son orthographe, sa grammaire ou son lexique. Dans le premier cas, on parle d’un aménagement du statut de la langue, dans le second d’un aménagement du corpus. Si certaines langues ont été aménagées à une époque relativement ancienne, comme c’est le cas de l’arabe classique, élevée avec l’avènement de l’Islam au rang de langue de communication et de culture, ou du français, qui, s’est d’abord imposé comme langue de la monarchie avant de devenir celui de la Révolution, puis de la République, d’autres, comme le norvégien, le finnois, l’estonien ou le turc, l’ont été à des époques relativement récentes. Dans les pays sous-développés les problèmes se posent autrement ; Ici, on se retrouve le plus souvent en présence, dans le même pays, de plusieurs langues qui peuvent toutes aspirer au statut de langues nationales ou officielles, de plus les langues qui ont accédé à ce statut n’ayant pas toutes été des langues de ‘’prestige’’, elles se sont retrouvées dans l’incapacité d’exprimer les notions du monde moderne. Il a fallu donc forger de toutes pièces les terminologies, composer des grammaires, des dictionnaires… Opérations coûteuses qui ont mobilisé et continué de mobiliser d’importants moyens matériels et humains. L’aménagement linguistique, même quand il peut être pris en charge par des individus, nécessite de gros moyens que seuls les Etats peuvent fournir. Qu’en est-il du berbère ?La néologie…A l’exception du Mali et du Niger (domaine touareg) où la politique linguistique est menée par les ministères de l’Education nationale, la néologie berbère est le fait de particuliers, universitaires, étudiants, auteurs, journalistes ou simples amateurs, certes animés par le désir de promouvoir la langue berbère mais parfois sans formation scientifique. Il existe bien aujourd’hui, en Algérie comme au Maroc, des institutions gouvernementales chargées de la promotion de la langue et de la culture berbères mais celles-ci, si elles participent réellement à la promotion de cette langue et de cette culture et encouragent la production de textes en berbère, comme c’est le cas du HCA algérien, ne font pas de l’aménagement linguistique, celui-ci n’étant pas inscrit dans leurs programmes. Deux colloques sur l’aménagement linguistique ont été organisés successivement dans les départements de langue et culture berbères des universités de Tizi Ouzou, mais peu de travaux de recherches ont été faits dans ce domaine : il n’existe, de groupe de réflexions; dans aucun des départements, il n’y a même pas de consensus sur les termes de spécialité, employés dans les cours donnés en berbère. La plupart des documents produits sur l’aménagement, (textes théoriques ou lexiques), restent le fait de particuliers et ne connaissent- faute de moyens de diffusion- qu’un usage restreint. Beaucoup même n’ont pas encore été publiés, circulant sous forme de polycopiés. Aujourd’hui encore, en dépit de l’avancée de la question berbère et de sa reconnaissance comme langue nationale en Algérie, très peu de publications sont enregistrées. Il faut préciser qu’il ne s’agit plus, comme autrefois, d’interdiction des autorités mais de contraintes commerciales, les éditeurs hésitant à publier des ouvrages en berbère ou sur le berbère. Avec l’écrit, le principal canal de diffusion des néologismes, a été longtemps la radio. Depuis une dizaine d’années s’est ajoutée la télévision qui a d’abord diffusé un flasch d’informations, avant de présenter un journal quotidien complet, diffusé aujourd’hui dans quatre dialectes, ainsi qu’une émission hebdomadaire d’information et de culture. Il y a aussi l’école qui dispense l’enseignement du berbère dans quelques régions berbérophones, notamment en Kabylie, et qui est grande consommatrice de vocabulaires spécialisés, donc de néologismes. Un bilan de la néologie berbère s’avère aujourd’hui nécessaire, non seulement pour établir des nomenclatures, utilisables par les différents secteurs demandeurs (école, université, enseignement professionnel, communication etc.) C’est aussi pour corriger les erreurs, affiner les stratégies, combler des retards.

Les temps héroïquesOn doit aux militants du mouvement nationaliste les premiers néologismes berbères, qui apparaissent principalement dans les chants et les hymnes. On pense aux compositions de Ali Laïmeche, Mohand-Saïd Aïche mais surtout Mohammed-Idir Aït Amran, l’auteur de l’inoubliable “Kker a mmis Umazigh”, lève-toi, fils d’amazigh, fredonné par des milliers de jeunes Kabyles et qui a servi longtemps de chant de ralliement des militants de la cause berbère. C’est ce chant qui a généralisé le terme amazigh, pris dans le sens de ‘’Berbère’’ et non, comme c’est l’usage, jusque-là, pour désigner des groupes bien précis (habitants du Maroc central, Touaregs etc.). Parmi les autres néologismes relevés durant cette période, on peut citer :-amadhal, ‘’terre, monde’’, pris du touarègue-aghlan ‘’pays, nation’’, pris du mozabite qui l’emploie dans le sens restreint et local de ‘’pays mozabite, Mzab’’-tera ‘’amour’’-tilelli’’liberté’’-ameddu ‘’progrès’’, formé à partir du verbe ddu ‘’marcher, aller de l’avant’’-agaraw ‘’mer, océan’’, pris directement du touareg adjeraw, aujourd’hui on a tendance à le remplacer par le mot ilel, pris des dialectes libyens -aghzu ‘’prison’’, pris du chleuh, mais d’un verbe attesté en kabyle, ghez ‘’creuser’’, taghaza ‘’trou, mine’’ etc. Des termes employés à cette époque, seuls quelques uns ont été adoptés par l’usage, notamment amazigh et tilleli. Tera, ‘’amour’’ a été remplacé depuis, par tayri, formé sur la même racine.La fonction de ces néologismes était de se substituer aux emprunts mais aussi de proposer des termes berbères pour traduire des concepts chargé d’affectivité et de symboles comme ‘’berbère’’ ou ‘’liberté’’.

M.A Haddadou(A suivre)

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