l Le comédien Michel Piccoli a fait jeudi soir son retour sur les planches en incarnant le rôle-titre du « Lear » de William Shakespeare, roi nu touchant d’humanité, mis en scène avec justesse par André Engel, aux Ateliers Berthier de l’Odéon/Théâtre de l’Europe.Pour sa première réalisation shakespearienne, présentée à Paris jusqu’au 25 mars, André Engel a choisi la traduction en français de Jean-Michel Déprats et sa langue très vivante, qui confère au texte un pouvoir d’éloquence immédiat.Quatre siècles après sa création, le drame de Shakespeare est d’ailleurs transposé dans un cadre moderne. Avec son dramaturge Dominique Muller, le metteur en scène fait de Lear non pas un monarque moyenâgeux en fin de règne mais un vieux négociant partageant ses affaires entre ses filles, dans des costumes années 1930.La scénographie de Nicky Rieti exploite au mieux l’identité industrieuse et les beaux volumes des Ateliers Berthier en aménageant un grand entrepôt vitré, frappé d’une large enseigne – LEAR Enterprise & Co – qui confirme la puissance passée.Ce décor unique n’a rien de figé puisqu’il est mis en lumière (éclairages très soignés d’André Diot) sous différents angles, en fonction des développements de l’intrigue. Les scènes sont entrecoupées de longs « noirs » qui ménagent la tension dans le récit du drame de « Lear », autocrate trahi, acculé au dénuement et à la folie.A 80 ans – atteints le 27 décembre dernier – Michel Piccoli, qu’André Engel rêvait en « Roi Lear » depuis une quinzaine d’années, fait un retour réussi au théâtre, où il ne s’était plus illustré depuis 2003. Avec sa voix fatiguée et sa présence minérale, il ne convainc jamais autant que quand la raison l’abandonne, explorant les fractures de l’âme avec des accents de vérité poignants. Outre le « fou » de Jean-Paul Farré, trublion magnifique, les filles de Lear sont incarnées avec passion, telles la Régane redoutable de Lisa Martino et la Cordélia à fleur de peau de Julie-Marie Parmentier. Les mots d’autres acteurs se perdent malheureusement dans l’acoustique fuyante des Ateliers Berthier, à l’image d’un Gérard Desarthe (Kent) au verbe étonnamment éteint.Après l’Odéon, le spectacle sera représenté dans le cadre d’une tournée à Brest (Le Quartz/scène nationale, du 5 au 7 avril), Grenoble (MC2, du 13 au 22 avril), Saint-Quentin-en-Yvelines (Théâtre, du 3 au 5 mai), Caen (Comédie, du 11 au 13 mai) et Villeurbanne (TNP, du 30 mai au 9 juin).