Aux confins de la psychopathologie

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La guerre déclarée contre la ministre de l’Éducation nationale, Mme Noria Benghebrit, après la tenue, en juillet dernier, de la conférence nationale sur l’évaluation des réformes scolaires, ne cesse d’augmenter, de faire des tentacules et de prendre des dimensions idéologiques et politiques insoupçonnables. Les journaux arabophones les plus vendus ont convoqué l’ensemble des troupes baathistes pour remplir une moyenne de deux à trois pages par jour, afin de signifier à Mme Benghebrit qu’elle doit partir. Pas moins que cela ! Oui, ces voix osent demander le départ d’un ministre de la République pour avoir commencé à défricher les problèmes de l’école et les mettre sur la table de discussion. Si ces écrits, qui comptent souvent un langage ordurier, raciste, machiste, intégriste mais en même temps débile et absurde, ne disposaient pas de grandes capacités de nuisance, d’une part, à même d’influer sur la situation et le cours des choses, et d’autre part, de risque de pollution morale chez les jeunes qui n’ont d’autre support d’information que ces feuilles de chou, ils ne donneraient lieu à aucun commentaire, encore moins à une analyse qui se perdrait dans les dédales du non-sens et de la psychopathologie. Oui, on est en train d’évoluer à la lisière, sans doute même, à l’intérieur de cette notion médicale. Les tenants de l’arabisme ont donné une dimension régionale à cette histoire, de la menace qui pèserait sur la langue arabe classique (fos’ha) du seul fait que la ministre a évoqué un enseignement transitionnel de l’arabe algérien. Tenez-vous bien, une émission complète a été diffusée par la chaîne de télévision qatarie, Al Jazeera, avant-hier, pour traiter de ce problème algérien, et qui intéresserait apparemment les téléspectateurs arabes mieux que les fronts syriens et irakiens, les attentats en Arabie Saoudite ou le désastre libyen. L’impression qui se dégage de l’émission est bien celle-là. L’avenir de l’hypothétique monde arabe dépendrait du sort que l’Algérie compte réserver à la langue arabe. Et les invités ont été bien choisis, triés sur le volet : Ahmed Ben Naâmane (association de défense de la langue arabe) et Nasreddine Ben Hadid, un obscur écrivain en mal de renommée. S’agissant de la presse arabophone algérienne, Ben Hadid en fait une histoire de vases communicants, en expliquant que ces titres sont tirés à des millions d’exemplaires et lus par les jeunes algériens; il en tire comme conséquence que réformer l’école ou imaginer une autre pédagogie serait une hérésie. Incontestablement, la réaction de cette frange populiste de l’arabisme est un signe révélateur de la panique qui les hante face à un monde, qui leur échappe de plus en plus, dans tout ce qu’il a de moderne, de technique, de découvertes et d’échanges. C’est la réaction de la bête blessée. Ils ont peur de perdre le pouvoir de pollution idéologique qu’ils ont instaurée dans l’école algérienne, depuis au moins trois décennies. Car, cette école a atteint les abysses de la déformation et de la médiocrité. Elle forme des chômeurs en puissance. Plus d’un million de pré-emploi attendent d’être régularisés dans la fonction publique et les entreprises publiques. À de rares exceptions, ils ne peuvent pas être intégrés dans un véritable circuit économique animé par la compétitivité et la compétence. Ce n’est pas de leur faute. Ils sont des victimes d’un système bâti essentiellement sur la rente pétrolière. Système qui a créé ses clientèles, ses points d’appui et ses lobbies. Un tel système ne parle aucune langue, il n’en a pas besoin. La seule langue qu’il sache manier, c’est celle de la ch’kara (dite en arabe algérien). Tout peut, ou a pu être importé y compris le tableau comportant les 99 noms d’Allah, à partir de la Chine. De petits drapeaux algériens, que les jeunes arboraient dans la rue pendant les matchs décisifs de l’équipe nationale, ont été importés. Ne parlons pas des figues sèches, des conserves d’abricot et des produits de base qui servent à l’enseignement de…la langue arabe fos’ha (dictionnaires, livres de grammaires, romans, contes,…). La langue de la ch’kara, qui a vu s’élever des empires d’argent et les bases qui ont servi à asseoir une école-garderie, qui a tourné le dos à la science, à la compétence, à l’algérianité et à l’esprit de citoyenneté commencent à voir leurs horizons s’assombrir avec la dèche qui s’annonce. Par conséquent, les réactions des tenants d’un bâathisme à tous crins sont le signe irréfragable d’un grave craquement qui se produit dans leurs anciennes certitudes par lesquelles ils ont tenu la société en laisse. Pour un certain nombre de décisions prises ou seulement esquissées par la ministre de l’Éducation, les gens qui ont écrit sur leur page facebook « Je suis Benghebrit », ne sont pas dans le tort. Ils tiennent à défendre l’école de demain, celle qui servira l’économie, la société et la culture algériennes. Pourtant, ces décisions sont encore en deçà des ambitions de l’Algérie du début de ce troisième millénaire.

Amar Naït Messaoud

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