Une vingtaine de familles de la désormais ex-cité Carrière, sise au chef-lieu de la wilaya de Tizi-Ouzou, démolie dans la journée de vendredi, dorment actuellement dans la rue.
En effet, dans la matinée d’avant-hier vendredi, pas moins de 115 famille de ladite cité Carrière ont été recasées à Oued Falli, une opération qui a été immédiatement suivie par la démolition de leurs anciennes baraques au grand dam d’une vingtaine d’autres familles qui elles n’ont pas eu droits à des logements.
«Depuis 1962 que ma famille vit ici, aucun, je dis bien aucun de mes trois frères n’a au jour d’aujourd’hui bénéficié d’un logement», nous affirmera Mme Lounadi. Pire encore, poursuivra-t-elle, «deux d’entre eux, des pères de familles, ont été arrêtés par la police et seront présentés devant le procureur, aujourd’hui, pour avoir protesté contre la démolition de ce qui leur servait de logement».
Notre interlocutrice nous expliquera que c’est parce que son père possède un petit lot de terrain qu’il a hérité de ses ancêtres dans la localité de Makouda que ses enfants, qui ont vécu depuis une quarantaine d’années à la cité Carrière, devraient retourner dans cette région de haute Kabylie où ils n’ont, précisera-t-elle indignée, «jamais habité». Sur place, aux milieux des ruines de la cité Carrière, nous avons aperçu, assise à même le trottoir, Mme Aida Oudelha, âgée de 85 ans. Nous nous sommes rapprochés d’elle et la vieille dame nous confia qu’elle n’avait nulle part où aller et qu’elle avait passé la nuit précédente dans l’établissement scolaire d’en face. Elle nous assurera que dans la matinée d’hier, la directrice de l’établissement est arrivée et l’a délogée de l’école en question.
Nous apprendrons aussi que le mobilier des familles restantes était soit rassemblé en tas dans un coin de la rue ou rangé chez des voisins de la désormais ex-cité. Des jeunes nous raconteront comment ils auraient été brutalisés par les services de police. Certains d’entre eux avaient en effet des ecchymoses très visibles qui s’apparenteraient à des coups de crosses.
«Nous étions sur la liste de l’OPGI et c’est seulement quand nous sommes allés pour payer, jeudi dernier, comme tous les autres bénéficiaires, que nous avons su que nous n’étions plus sur la liste !», dira M. Lounadi, épuisé par tout ce qui s’était passé la veille et anéanti par l’arrestation de ses deux frères. «Nous n’avons même pas eu droit à une réponse franche et claire du chef de daïra. Allons-nous oui ou non avoir nos logements ?!», interrogera-t-il, exaspéré.
L’un des protestataires nous racontera ce qui s’est passé vendredi lors de la démolition : «Nous avons été brutalisés et il y a eu une dizaine d’arrestations, mais ils les ont tous relâchés sauf les deux frères Lounadi. Un jeune a même tenté de s’immoler. Il fut brutalisé et est actuellement hospitalisé au CHU Nédir Mohammed de Tizi-Ouzou». Une autre habitante de cette cité nous dira : «Je vis ici depuis quarante ans et j’ai trois enfants. Mais parce que je suis divorcée, je n’ai pas bénéficié d’un logement ! Je n’ai nulle part où aller !», s’indignera-t-elle.
Le directeur de l’OPGI en parle
Par ailleurs, M. Ahmed Ladj, le directeur général de l’OPGI de Tizi-Ouzou, nous déclarera au sujet de se recasement :
«La liste des 115 bénéficiaires du recasement, qui entre dans le cadre du programme de résorption de l’habitat précaire (RHP), a été arrêté au mois de juillet dernier et dûment signé par le wali», ajoutant : «C’est après vérification du fichier national que nous avons délivré les décisions et cette opération a été chapeautée par la daïra de Tizi-Ouzou».
Ce recasement censé être un grand jour pour ces familles, qui ont vécu, des années durant, un véritable calvaire dans cette cité précaire, pour ne pas dire ce bidonville, s’achève donc dans la joie et les youyous pour certains, mais par l’enfer de la rue, les arrestations et une hospitalisation pour les autres.
Taous.C
