La crise des recettes extérieures qui grève l'économie algérienne, depuis maintenant quatorze mois, tout en faisantplaner des inquiétudes sur le pouvoir d'achat et le monde du travail, est aussi vue comme une occasion propice de remettre en cause un certain nombre de "dogmes" rentiers qui nous font croire que, sans le pétrole, l'Algérie s'effondrerait.
Ces dogmes ne nichent pas seulement dans cette vision trop restrictive des ressources du pays, réduite paradoxalement à la seule vertu de l’or noir, mais également dans l’exploitation anarchique de l’espace et des ressources naturelles. Les disponibilités financières qui se sont étalées sur plus d’une dizaine d’années, tout en permettant la réalisation d’infrastructures et équipements publics tendant à rattraper les retards enregistrés durant les années 1990, ont malheureusement permis des abus dans l’exploitation du capital foncier, installé les solutions de « facilité » dans les choix de terrain et amplifié des déséquilibres territoriaux déjà bien perceptibles par le passé. Le gel de certains grands projets d’infrastructures décidé par le gouvernement suite à la chute des revenus pétroliers permettra-t-il une halte bienfaitrice et une nouvelle réflexion sur la politique de l’aménagement du territoire? Ce que les experts algériens n’ont pas pu faire valoir pendant la « fièvre » des plans quinquennaux, qui ont consommé près de 800 milliards de dollars, peut-il être appréhendé avec sérénité et esprit de responsabilité aujourd’hui?
Le ministère de l’Aménagement du territoire, du Tourisme et de l’Artisanat s’attèle à organiser des assises sur l’aménagement du territoire dans les prochains mois, avant la fin de l’année, précise-t-on. Ces assises sont supposées pouvoir « dynamiser l’économie hors hydrocarbures », selon les propos du ministre du secteur, Amar Ghoul, rapportés mardi dernier par l’APS. Il précisera que les secteurs constituant les fondements d’une économie hors hydrocarbures sont l’agriculture, le tourisme, l’industrie, les services ainsi que la connaissance. Il y a aussi à souligner ce grand axe qui fait la jonction entre la production agricole et la transformation industrielle, à savoir l’agroalimentaire qui peut jouer les grands rôles dans la diversification économique tant chantée sur tous les toits. Le ministre de l’Aménagement du territoire soutient que « la classification du territoire obéira à deux paramètres, en l’occurrence la rentabilité et la portée économique », en précisant que « la gestion du territoire ne se fera pas de manière administrative, mais en fonction de paramètres purement économiques qui prennent en ligne de compte la rentabilité et les spécificités de chaque région ». Les prochaines assises de l’aménagement du territoire permettront, selon lui, de « régler la boussole de l’économie nationale ainsi que celles du foncier, de l’investissement et du découpage administratif ». Il ajoutera que, désormais, « ce sont les considérations économiques qui détermineront la pertinence de l’exploitation des différentes aires et non pas des décisions administratives ».
Un désordre spatial, urbanistique et économique
Tout en lançant un intéressant débat, le ministre semble anticiper sur les développements et les analyses qu’auront à effectuer les spécialistes sur ce thème majeur de la vie nationale. Pour avoir suivi de près, pour le compte de notre journal, cette importante thématique, nous étions amenés à réaliser des synthèses de séminaires, d’études, de politiques ministérielles dans le domaine de l’aménagement du territoire. Autant dire que le sujet en lui-même n’est pas nouveau. Les prédécesseurs de Amar Ghoul dans ce département ministériel dont l’organigramme demeure malheureusement instable -on y retrouve l’administration de l’Environnement et de la Ville jusqu’en 2012, puis la politique de la Ville sera versée dans le département de l’Habitat; enfin, on versera le Tourisme et l’Artisanat dans l’Aménagement du territoire- ont fait ce qu’ils ont pu. Il ont même fait adopter le Schéma national de l’aménagement du territoire (SNAT) par le Parlement en 2010. Le SNAT est un document assez volumineux qui projette le développement économique et territorial de l’Algérie aux horizons de 2025. Il se donne pour objectifs d’ « assurer une organisation territoriale qui favorise le jeu des forces du marché pour l’adapter aux exigences de l’économie contemporaine, en premier lieu celle de la compétitivité de booster les territoires les mieux outillés pour les rapprocher des standards internationaux, ainsi que de permettre l’émergence et la promotion d’activités à forte valeur ajoutée tirée par la recherche et l’innovation ». La construction d’une économie alternative, telle qu’elle est dictée de façon pressante par la conjoncture financière du pays, ne peut se passer d’une politique d’aménagement du territoire, non seulement en vue de donner de l’attractivité aux différents territoires sur le plan des investissements industriels, agricoles ou touristiques, mais c’est aussi instaurer les grands équilibres de répartition démographique, de prise en compte des spécificités territoriales pour un grand pays de 2,4 millions de KM2 et pour assurer une meilleure gestion des ressources (foncier, eau, ressources biologiques et minérales,…). Le désordre actuel, visible sur tous les plans, est porteur de menaces non seulement sur les ressources, mais également sur la cohésion et la paix sociale. 80% de la population algérienne vivent sur 20% du territoire, avec une attractivité exagérée pour le littoral. Ce capharnaüm commence à montrer ses limites, aggravées par le schéma d’organisation de l’Etat prisonnier d’un jacobinisme maladif. Embouteillages sur toutes les routes du Nord du pays, cadre de vie stressant au quotidien, promiscuité dans les villes et même dans les banlieues, insalubrité des quartiers et des artères urbaines, constructions anarchiques et illicite amplifiant les effets de certaines catastrophes (inondations, séismes), dilapidation du foncier agricole, difficulté d’accès aux services publics, violence sociale, mobilité exagérée entre le lieu de travail et le lieu d’habitat, sont les quelques signes d’un grave déséquilibre territorial, où ni la population ni l’économie du pays ne trouvent leur compte. En 2004, le Conseil national économique et social (CNES) a fait un constat cinglant sur la relation entre la consommation effrénée du foncier et la croissance démographique, combinées au déséquilibre de répartition: « La crise foncière est à nos portes. L’on assiste depuis des décennies à une dilapidation effrénée des terres à haut potentiel économique, notamment dans les régions du Nord (…). L’Algérie se trouve confrontée à la difficile équation entre une population en croissance rapide et sa répartition spatiale ».
Un outil de planification spatiale mis sous le coude
Le SNAT, approuvé en 2010, se base sur une projection de la force démographique du pays estimée à 50 millions d’habitants en 2025 (avec l’actuelle croissance constatée par l’ONS, le chiffre de 50 millions d’habitants risque d’être dépassé). Il a été relevé dans la présentation du document du SNAT, que ce dernier est destiné à « anticiper les ruptures et les risques pesant sur l’espace algérien en tant que lieu de vie à protéger et à préserver (…) « Le développement des territoires, voire leur survie, dépend largement de leur capacité à s’adapter et à innover dans un contexte globalisé marqué par une concurrence de plus en plus rude, à laquelle se livrent les territoires pour gagner la bataille de l’attractivité et de la compétitivité (…). Le SNAT a rendu ainsi lisible les faiblesses et forces du territoire ; il a identifié les opportunités et les menaces, ainsi que les enjeux qui encadrent les dynamiques territoriales en mouvement ». À partir du document du SNAT, le gouvernement avait initié depuis 2012, des plans d’aménagement de wilaya (PAW). Cependant, malgré tous ces efforts des techniciens, aménagistes, urbanistes et économistes algériens, le SNAT tarde à devenir un instrument régulier et normal de travail pour l’ensemble des acteurs impliqués dans la gestion des territoires, de l’APC jusqu’aux ministères, en passant par les services de la wilaya. Dans pareille situation, où la volonté politique est prise en flagrant délit de déficit d’imagination et d’initiative, que pourront apporter de nouveau les assises de l’aménagement du territoire programmées par le gouvernement?
Amar Naït Messaoud