Afin de se perfectionner-l’école de Béjaïa étant en souffrance-il partit, vers 1933, pour Alger afin de parfaire ses connaissances à El Mossilia dont il fut l’un des fondateurs et où il demeura plusieurs années (5 ans). Il eut alors pour maître Si Mahieddine Lakhal, professeur, et il côtoya de brillants interprètes tels que Maâlem Bouhara. Assidu dans son travail de recherche, il séjourna à plusieurs reprises à Tlemcen où il eut des contacts étroits avec les maîtres locaux, et en particulier le doyen de la musique, Cheikh El Arabi Bensari, qui se livrait lui-même à un travail de compilation et de recherche.De retour à Béjaïa, il eut une activité artistique débordante en créant des associations culturelles qui furent à chaque fois dissoutes par l’autorité coloniale et où nombres d’élèves furent initiés à l’art musical, et ce en transformant son café en cercle culturel où se produisaient des artistes locaux algériens et maghrébins à longueur d’année (dans le domaine musical). Il fut aussi le digne ambassadeur de la musique classique algérienne dans tous les pays du Maghreb et en Europe.D’autre part, il fut le principal animateur et chef d’orchestre à la radio de Bougie pendant les dernières années de l’ère coloniale. Cette période fut particulièrement féconde en pièces théâtrales, radiophoniques et chansons kabyles aussi au concert de musique classique et chaâbi.Il milita aussi pour faire connaître cet art à travers les multiples représentations théâtrales et fêtes qu’il donnait aussi bien à Béjaïa qu’à travers tout le territoire national, ainsi que pour les innombrables concerts donnés à la radio d’Alger avec l’orchestre de musique classique sous la direction de Mohamed El Fekhardji.Moins d’une année après l’indépendance, Sadek El Bédjaoui fonda le conservatoire de musique classique algérienne de Béjaïa qui fut parmi les toutes premières écoles créées en Algérie. Il y forma directement, de 1963 à 1986 de nombreuses générations de chanteurs et de musiciens interprètes qui s’illustrèrent à l’occasion de multiples représentations et de nombreux festivals et ce, dans tous les genres. En cela, le palmarès de l’école de 1963 à 2005 est éloquent. Il sut donc ressuciter l’école d’Ennaceria qui s’est perdue dans le labyrinthe de l’histoire et lui donna un style particulier.Rendons donc hommage au dernier des grands maîtres qui, malgré les vicissitudes de l’existence, malgré une nuit coloniale particulièrement défavorable et hostile, malgré le manque de moyens matériels et financiers, a su dépenser généreusement son énergie et son don à se former, à étudier, à voyager d’école en école à la recherche du savoir, à travailler durement, à diffuser, vulgariser, à former des générations jeunes afin de sauver de l’oubli un véritable monument millénaire afin d’éviter que le flambeau allumé par nos ancêtres au temps de la gloire musulmane ne s’éteigne au cours des siècles nous livrant ainsi à une acculturation certaine. Par ce travail acharné, c’est aussi un pan de notre identité qui est sauvegardé.Sachons donc apprécier, à sa juste valeur, cette noble tâche réalisée par ce maître ainsi que par ses prédécesseurs et contemporains, morts pour la plupart dans l’anonymat et le dénuement. Sachons aussi réanimer ce flambeau dont la flamme est, il faut le dire, vacillante, surtout actuellement, car menacé par un vent d’obscurantisme et d’accumulation qui risque de nous ramener au bas fonds du moyen-âge. Par cette importante manifestation culturelle, c’est le combat qui continue pour la sauvegarde de notre patrimoine culturel et notre identité, c’est aussi une tentative de renouer avec le passé glorieux d’Ennaceria, cité plusieurs fois millénaire et qui rayonna des siècles durant sur le Maghreb et une partie de l’Europe.Cheikh Saddek El Béjaoui nous a quittés le 7 janvier 1995, laissant derrière lui un riche répertoire et une école qui veille sur ce riche héritage.
Tarik Amirouchen