Il y a 114 ans, un 8 octobre, s’éteignait Chikh Mohand Oulhoucine, le précurseur de la pensée kabyle

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Bien des hommes ont marqué l’esprit philosophique de la pensée humaine dans le monde. Ainsi, chez nous, Chikh Mohand Oulhoucine est de ceux-là. Il a travaillé sa vie durant à offrir aux siens une langue intelligente en la dotant d’un esprit vivace. Pour lui, la vivacité crée des valeurs annonciatrices d’une morale qui impose d’elle-même des comportements, des devoirs et des droits.

Il a socialisé la kabylité en tant que mode de pensée et du vivre. Son lieu de vocation à At Hmed dans le Arche d’Aït Yahya n’était pas une citadelle de la théologie mais le temple de la pensée kabyle. C’est ainsi que son intervention dans le paysage kabyle de son époque a empêché que la langue soit abandonnée aux seuls hommes de culte. Elle aurait été alors enfermée, enveloppée et étouffée sur le sacré. En optant à sa «démocratisation» Chikh Mohand a libéré l’initiative de la parole et partant celle de l’effort.

Il a enclenché l’influence de la raison sur la spiritualité parce qu’il savait d’autant que les certitudes absolues sont des pièges abominables. Dans le sillage de la rénovation Mohandienne, la tradition n’est plus perçue comme étant une faute par rapport à la doctrine religieuse mais comme un substrat à partir duquel on innove ; ce qui naturellement impulse un mouvement nécessaire à l’intelligence. Il considérait que les expériences successives sont des étapes nécessaires à la croissance de l’esprit et que la vie était un temps et donc un tas d’épreuves. Le langage réfléchi et ouvert sur la curiosité devient alors un langage consommable. Si pour Jamake Highwater dans «L’esprit de l’Aube» paru aux éditions L’Age d’Homme en 1984 «Le langage nous permet de nous exprimer mais il fixe aussi des limites à ce que nous sommes capables de dire», Chikh Mohand justement dépasse ces limites et va au-delà de toute préconception arrêtée des choses nommées.

La langue par laquelle il a communiqué n’était pas seulement un tout-venant de mots. Elle n’était pas un «chuchotement». Au contraire il y a découvert une extraordinaire liberté dont il s’est servi pour dire librement sa pensée. Parler de la pensée kabyle ne veut pas dire renfermement sur soi. Par pensée kabyle entendre un mode d’existence et de conception de la vie de la communauté kabyle en rapport, en harmonie et en accord avec le cours des évolutions de l’être en général et de son environnement. Toute la pensée de Chikh Mohand repose sur une réalisation toujours orientée vers la recherche, la connaissance et la découverte comme seul axe qui nous permet de travailler à notre accomplissement et à notre aboutissement. Ainsi disait-il «Bedd a twalidh, Ruh a d-tawidh, Qim oulach». N’est-ce pas que ses dits d’une densité spirituelle et humaine immense apportent de l’utilité à la pensée universelle. Autant dire qu’il est venu à temps dans un monde encore traditionnel mais en mutation. Mammeri conclut dans son ouvrage qu’il lui a consacré que : «Le 8 octobre 1901, un mardi, au milieu du jour, après une maladie, le Chikh rencontra la mort, que tant de vers de lui avaient jadis évoquée…».

Abdennour Abdesselam

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