Quelles chances pour un sursaut économique salutaire ?

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La tripartite (gouvernement, syndicat et patronat) se réunit aujourd’hui à Biskra pour sa 17e édition, dans un contexte particulier.

Il est vrai qu’en matière de « particularité », presque toutes les réunions de ce genre ont été qualifiées ainsi, surtout celles qui étaient intervenues au début ou au milieu du vent de contestation et de destruction qui a eu pour nom le « Printemps arabe ». Le gouvernement algérien a tenu à prévenir d’éventuels débordements qui auraient pu être nourris par la mixture explosive de l’esprit de contestation sociale et de la mauvaise « inspiration » du Printemps arabe. Néanmoins, la vraie particularité de la Tripartite d’aujourd’hui dépasse la conjoncture régionale ou une simple contingence nationale qui donneraient des inquiétudes passagères et pour lesquelles il suffirait de bien « négocier » le virage pour tenir bon. La Tripartite de Biskra, elle, est appelée à examiner une histoire sociale et économique qui a amené le pays à se retrouver aujourd’hui sur la corde raide. Le futur immédiat du pays voit son destin se jouer sur les grandes options stratégiques qui sortiront de ce forum social. Un forum qui, en toute franchise, n’a pas eu la réputation d’avoir fait les grands choix qui auraient pu faire éviter au pays la situation peu reluisante dans laquelle il se débat depuis plus d’une année, après le début du processus d’inflexion de la courbe des prix du pétrole sur les marchés mondiaux. En d’autres termes, la Tripartite, qui était au début des années 2000 une bipartite (sans le patronat) avait surtout de terrain d’entente sur un simple modus vivendi relatif à la revalorisation du Snmg, à l’augmentation des salaires des travailleurs et à de rares décisions strictement économiques. Toutes les grandes interrogations que se posent aujourd’hui les Algériens- et qui étaient traités par des experts, des personnalités politiques ou indépendantes, des organes de presse et des institutions financières internationales- étaient hors du champ d’intérêt des tripartites précédentes. Ces dernières, qui eurent lieu dans une atmosphère d’une indéniable embellie financière, avaient consacré comme le fait régulièrement le gouvernement, le principe de faire partager la rente pétrolière, en cherchant sans doute à y instaurer une certaine « justice sociale »! Or, la justice sociale ne peut être recherchée et réalisée que dans une économie de production. La collectivité est censée produire la plus-value sociale qui puisse être utilisée par les pouvoir publics dans sa politique des minima sociaux qui sont destinés à faire garder à la société sa cohésion et aux couches défavorisées leur dignité. C’est cela le véritable pacte économique et social tel qu’il est négocié et institué dans les économies productives.

Des tripartites « sociales », il faut en faire table rase

Au cours des 16 réunions passées (bipartites et tripartites), peu d’intérêt a été accordé à des questions essentielles telles que la réforme des législations relatives aux investissements, au travail, à l’encouragement de la production nationale, à la remise en cause de certaines clauses de l’accord d’association avec l’Union européenne, à la meilleure manière d’attirer les investissements directs étrangers, à la diversification économique, au volet de la formation qu’exige la nouvelle économie du pays,…etc. Les tripartites avaient, jusqu’ici, représenté une forme de « cuirasse » qui protège ses acteurs contre les contingences immédiates, celles qui, en réalité sont inscrites dans une autre logique, un processus dont on n’a pas voulu ou su étudier les ressorts. Engluée dans la logique de la rente pétrolière, l’Algérie ne faisait valoir les « négociations » entre les pouvoirs publics, les syndicats et les patrons, que pour contenir des mécontentements ou des protestations charriés par un usage jugé « inique » de l’argent de la rente. L’on se souvient que la 15e tripartite, tenue en octobre 2013, était présentée par ses acteurs, principalement l’UGTA et le patronat public (UNEP), comme une réunion «purement économique» qui se serait donnée pour objectif de « faire redémarrer la machine productive nationale en dehors de la sphère des hydrocarbures », même si cette dernière, particulièrement dans le volet de la transformation pétrochimique, a besoin d’une dynamique nouvelle. Ainsi, gouvernement, centrale syndicale et patronat privé sentirent apparemment la nécessité de se concerter autour des grandes problématiques économiques du pays, d’autant plus que les tripartites précédentes ont eu à traiter presque exclusivement des volets sociaux (revalorisations successives du Snmg et des autres catégories salariales). Lorsque l’une des sessions de ce forum, 2011, a été consacrée à la politique de l’entreprise, c’était pour venir au secours de certaines entités privées déstructurées et cela, à travers le rééchelonnement des dettes fiscales. À l’époque, les patrons avaient élevé le niveau de revendication en réclamant carrément une amnistie fiscale, option que le gouvernement avait rejetée.

Des problématiques pendantes

La tripartite d’octobre 2013 avait été consacrée à des questions globales qui font la grande problématique de l’économie algérienne, mais dont les résultats vont rapidement être brouillés par de multiples interférences politiques. Cinq groupes de travail ont été dégagés par ce forum économique et social. Au premier groupe, il était confié la mission d’ »élaborer le pacte économique et social de croissance ». Du deuxième groupe, il était attendu l’élaboration de propositions concrètes sur les modalités de la contribution du Fonds national d’investissement au financement de l’investissement national public et privé ». Pour rappel, le Fonds national d’investissement (FNI) est fonctionnel depuis 2009. C’est un instrument d’accompagnement pour le financement des projets. Il est issu de la restructuration de la Banque algérienne de développement (BAD), établissement qui était traditionnellement chargé de la gestion des prêts extérieurs destinés au développement des infrastructures et équipement publics. Ce Fonds est chargé « d’apporter les ressources financières supplémentaires et de répondre aux attentes des investisseurs par une approche nouvelle », selon l’ancien ministre des Finances, Karim Djoudi, Le troisième groupe avait planché sur le dossier inhérent à l’encouragement de la production nationale, y compris le truchement du crédit à la consommation, réservé exclusivement aux produits locaux. Ce volet vit jusqu’à ce jour, malgré l’engagement du gouvernement, un véritable flou artistique. Le gouvernement tenait à lui préparer une « Centrale des risques » pour le rendre opérationnel; mais, il semble que la crise financière ait joué en sa défaveur. Un autre groupe de travail dégagé par la 15e tripartite avait travaillé sur le dossier de la dépénalisation des actes de gestion, tant revendiqué par les gestionnaires publics. Au dernier groupe est revenue la tâche de faire des propositions quant aux modalités qui puissent faciliter l’intervention des entreprises nationales du BTPH dans la réalisation du programme national d’équipement. Une mission qui s’impose après les grands moments de tension vécus par les entreprises algériennes lorsque la majorité d’entre elles ont été exclues des programmes induits par les plans quinquennaux de développement, au profit de partenaires étrangers.

Le gouvernement s’ouvrira-t-il aux avis des autres ?

Les résultats de ces groupes de travail ont été quelque part « brouillés » par la 16e tripartite qui était intervenue dans un moment crucial en février 2014. C’était à la veille de l’élection présidentielle du mois de mai. La tripartite a été fortement empreinte de cette atmosphère. Ce qui a retenu de cette réunion, c’est essentiellement l’abrogation de l’article 87-bis, lequel était « accusé » de tous les maux pour avoir ligoté le mode calcul du Snmg. Appliqués en août 2015 sur les fiches de paye, les effets de cette abrogation s’avérèrent minimes et insignifiants. Et ce n’est pas sans raisons que les travailleurs des catégories inférieures de la grille salariale, furent rapidement déçus; d’autant plus que la promesse de l’abrogation, entretenue depuis plus de quatre ans, était présentée comme une solution « mythique » aux difficultés des travailleurs. À Biskra, le gouvernement et les partenaires sociaux sont appelés, en ce quatorzième mois de la chute continue des cours du pétrole, à traiter de la meilleure manière de dépasser l’esprit de rente. Pour cela, il faut une révolution dans les mentalités et une volonté politique bien affirmée de faire table rase de la démagogie et du populisme qui avaient présidé aux précédentes éditions de la Tripartite. Est-ce possible ? En tous cas, la marge de manœuvre de tous les acteurs est très limitée. Autrement dit, il est impossible de garder les rythmes et les modèles de consommation qui ont prévalu jusqu’ici, dans un contexte de réduction de 50 % des recettes extérieures du pays et face à des perspectives qui annoncent une morosité établie pour longtemps pour les cours du pétrole. Avant la Tripartite, le gouvernement a essayé de rattraper les chances perdues par lesquelles il était resté jusqu’ici, sourd à tous les conseils et avis d’experts, venant de gestionnaires et universitaires algériens et ce, depuis au moins le milieu des années 2000, lorsque le deuxième plan quinquennal était à sa phase de conception. Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal a organisé en septembre, via des experts invités par le Conseil national économique et social (Cnes), une réunion de débats et de réflexions sur l’avenir immédiat de l’économie algérienne et la meilleure manière de rebondir face au recul drastique des recettes pétrolières. Il avait également organisé le 29 août dernier, une réunion avec tous les walis de la République pour les sensibiliser à l’acuité de la crise financière et les inciter à réfléchir aux voies et moyens d’encourager les investissements locaux et de faire sauter le verrou de la bureaucratie.

Amar Naït Messaoud

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