Le 17 octobre 1961 constitue une date à la fois phare et triste de l'émigration algérienne en France.
La répression historique qui s’est abattue ce jour-là sur les Algériens de Paris, venus manifester contre le couvre-feu qui leur avait été imposé dans la capitale française, a été le sommet des sacrifices consentis par les émigrés algériens, encadrés par les militants de la Fédération de France du FLN. Des dizaines, voire des centaines d’Algériens ont été jetés dans La Seine, par la police de Maurice Papon, personnage tristement célèbre. En pleine capitale française, un couvre-feu est décrété spécialement pour les Algériens du fait qu’ils militaient, directement ou indirectement, dans les cellules de la Fédération de France du FLN, appelée aussi la 7e wilaya, en référence aux six wilayas de la révolution créées sur le territoire national par le congrès de la Soummam le 20 août 1956. Les premiers contingents d’émigrés algériens, partant généralement des terres montagneuses pauvres, remontent à la fin du 19e siècle.
«Majoritairement kabyles, des hommes dans la fleur et la force de l’âge fournissent un apport de main-d’œuvre dans les villes et les exploitations agricoles du littoral méditerranéen de la métropole, avec comme premier point d’ancrage la ville de Marseille. Ils sont employés comme journaliers agricoles, terrassiers, colporteurs ou manœuvres.
La Kabylie, région particulièrement pauvre, est le principal réservoir de candidats à l’émigration. Un véritable projet migratoire est élaboré collectivement par la famille ou l’assemblée du village (djema’a). Hommes seuls en métropole mais pas célibataires, ils sont bien souvent mariés par leurs familles avant leur départ, comme une façon de s’assurer leur retour au village. Leur salaire ne leur permet que de survivre en métropole, les sommes durement épargnées devant assurer la subsistance de leurs familles», écrit le site « Histoire-Immigration ». Depuis le début du 20e siècle, l’émigration algérienne en France, qui a commencé à devenir importante après la mobilisation des jeunes Algériens dans la première guerre mondiale, a été un creuset fertile de l’idée nationaliste. Le contact des ouvriers algériens avec les syndicats et les militants ouvriers français a fait évoluer l’idée de militance du syndicalisme à la revendication nationaliste. Il n’est pas, de ce fait, surprenant de savoir que l’Etoile Nord-Africaine (ENA), conduite par Messali et Imache Amar, avec une composante humaine majoritairement kabyle, soit née et enregistrée à Paris, avant de transférer ses structures et son combat en Algérie. La suite des structures nationalistes qui ont succédé à l’ENA, à l’image du PPA, puis du MTLD, ont eu également une puissante représentation en France où travaille et réside une forte communauté algérienne.
La création du FLN et le déclenchement de la guerre de libération ont trouvé aussi en l’émigration algérienne en France leur cheville ouvrière, en hommes et en finances. De même, la scission de Messali, en créant le MNA, opposé au FLN, a eu ses plus grands retentissements en France où une guerre entre frères a élu domicile dans les rues de Paris et des autres villes françaises. Le Fédération de France du FLN a su s’imposer sur la scène, en faisant adhérer la majorité de la communauté algérienne à l’idée de la révolution.
« Histoire-Immigration » écrit à ce sujet : «Cette communauté devient une force d’appui essentielle à la conduite de la guerre d’indépendance par son apport financier (les cotisations étant obligatoires), son poids idéologique et la pression politique symbolisée. En effet, les pouvoirs publics s’inquiètent de l’émergence au cœur de la métropole d’une véritable contre-société algérienne contrôlée par la Fédération de France du FLN. Les autorités françaises décident donc de mettre en place des services sociaux spécifiques assurant une prise en charge ciblée des Algériens mais remplissant officieusement une mission de renseignement, associés à une répression sévère. Dans la capitale, ces fonctions sont confiées à partir de 1958 à Maurice Papon, nommé préfet de police après une affectation en Algérie. Il s’inspire de la stratégie qu’il a pu observer dans le département de Constantine. Les services spécialisés maintiennent à la fois le dialogue et la surveillance de la population algérienne tandis que la répression s’intensifie par le biais d’arrestations massives, de détentions dans des centres administratifs (comme le Centre d’identification de Vincennes ouvert à sa demande en 1959), de fichages ; y compris par le recours à des forces supplétives, en l’occurrence la Force de police auxiliaire créée fin 1959 et surnommée « les harkis de Paris ». L’apogée répressive intervient le 17 octobre 1961, au soir d’une manifestation de 22 000 Algériens organisée par le FLN à Paris, durant laquelle 11 538 personnes sont arrêtées et plus d’une centaine tuée».
Étant souvent mal connue, l’histoire de la contribution des Algériens de France à la guerre de libération a bénéficié au cours de ces dernières années de plusieurs éclairages apportés par des témoins, ou, mieux encore, par des acteurs ayant travaillé sur le terrain.
Mohand-Akli Benyounès, alias Daniel, militant et coordonnateur de la Fédération de France, et auteur du livre « Sept ans dans le feu du combat » (éditions Casbah, 2012), explique dans l’avant-propos de son ouvrage : «Certains esprits travestissent cette histoire et minimisent sa portée en distillant, par-ci, par-là des propos faux, voire malveillants, sur ces compatriotes vivant en exil. D’aucuns sont allés jusqu’à dire qu’ils étaient en villégiature et s’offraient du bon temps en France, pendant que les Algériens, demeurés au pays, affrontaient la répression coloniale».
On dit généralement que le front de la guerre de libération nationale s’ouvrit en France dans la nuit du 25 août 1958, lorsque des postes de polices, des casernes et des centrales à gaz furent attaqués. Dans l’étang de Berre, près de Marseille, où était stocké le pétrole venu d’Algérie, un feu gigantesque a pris suite, déclenché par des militants algériens en France.
Le premier livre publié sur le sujet, destiné à dépoussiérer un épisode glorieux de la guerre de libération nationale, mais malheureusement souvent occulté est celui d’Ali Haroun, intitulé « La 7e wilaya, la guerre du FLN en France 1954-1962 », éditions du Seuil, en 1986.
Amar Naït Messaoud