Si la Seine parlait !

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Jamais de mémoire d’homme, l’humanité n’a connu une telle tuerie à l’encontre d’une marche pourtant pacifique de protestation contre une décision inique, voire raciste voulant imposer le couvre feu aux Algérien de Paris prise par le préfet de police, de triste mémoire, Maurice Papion. À cinq mois à peine de la fin de la guerre d’Algérie, le 17 octobre 1961, Paris a été le lieu d’un des plus grands massacres de gens du peuple de l’histoire contemporaine de l’Europe occidentale. Ce jour-là des dizaines de milliers d’Algériens manifestent pacifiquement contre le couvre-feu qui les vise depuis le 5 octobre et la répression organisée par le préfet de police de la Seine, Maurice Papon. La réponse policière sera terrible. Des dizaines d’Algériens, peut-être entre 150 et 200, sont exécutés. Certains corps sont retrouvés dans la Seine. Pendant plusieurs décennies, la mémoire de cet épisode majeur de la guerre d’Algérie sera occultée. Mémoire sélective. L’historien Gilles Manceron, auteur de La Triple Occultation d’un massacre (publié avec Le 17 octobre des Algériens, de Maurice et Paulette Péju, éd. La Découverte), explique les mécanismes qui ont contribué à cette amnésie organisée. Pourquoi la répression de la manifestation du 17 octobre 1961 a-t-elle été occultée pendant si longtemps? «Il s’agit d’un événement d’une gravité exceptionnelle, dont le nombre de morts a fait dire à deux historiens britanniques [Jim House et Neil MacMaster, Les Algériens, la République et la terreur d’Etat, Tallandier, 2008] qu’il s’agit de la répression d’Etat la plus violente qu’ait jamais provoqué une manifestation de rue en Europe occidentale dans l’histoire contemporaine. Comment une répression de cette ampleur a-t-elle pu ne pas être considérée pendant plusieurs décennies comme un événement de notre histoire ? L’historien Pierre Vidal-Naquet a employé le terme d' »énigme ». Je me suis interrogé sur les facteurs qui permettent d’expliquer comment ce massacre a été occulté de la mémoire collective. Il me semble tout d’abord qu’il y a une volonté de faire le silence de la part des autorités françaises. En premier lieu, bien sûr, les autorités impliquées dans l’organisation de cette répression : le préfet de police de la Seine, Maurice Papon, le premier ministre, Michel Debré ainsi que Roger Frey, ministre de l’Intérieur. Mais également le général de Gaulle, qui de toute évidence, a, pourtant, été très irrité par cet épisode. Il a néanmoins voulu tirer le rideau sur cette affaire et fait en sorte que les Français passent à autre chose. Par quels moyens le pouvoir a-t-il réussi à imposer le silence, et donc cette amnésie ? Sur le moment, il y a eu censure de la presse, avec l’empêchement des journalistes à se rendre sur les lieux de détention des Algériens, par exemple. Et puis très vite, les instructions judiciaires ont été closes sans aboutir. Il y en a eu une soixantaine, elles ont toutes débouché sur des non-lieux. Une volonté d’oubli judiciaire, qui s’est combinée avec les décrets d’amnistie, qui couvraient les faits de maintien de l’ordre en France, une difficulté à accéder aux archives, l’épuration d’un certain nombre de fonds… tout cela a contribué à ce phénomène d’occultation jusqu’à la fin des années 1970. Par la suite, d’autres facteurs ont pris le relais. En 1961, Gaston Deferre, à l’époque sénateur, avait protesté de façon très vigoureuse contre la répression policière. Mais quand Jean-Louis Béninou, journaliste à Libération, va le voir pour lui demander de faire la lumière sur cet événement, au début des années 1980, M. Deferre, devenu ministre de l’Intérieur, lui répond qu’ «il n’en est pas question. Il a fait le choix de ne pas ouvrir ce dossier». Le mardi 17 octobre 1961, en pleine guerre d’Algérie, des Algériens manifestent pacifiquement à Paris contre le couvre-feu décrété par le préfet de police Maurice Papon. Cette mobilisation, organisée à l’appel du FLN, sera très violemment réprimée : entre des dizaines et des centaines de morts selon les sources, des manifestants emprisonnés dans des centres de détention spécialement mis en place (palais des sports, stade Coubertin, parc des expositions, etc.) où ils ont subi des mauvais traitements. Ces massacres, ces ratonnades, marqueront l’esprit des Algérien et pas seulement, tous les gens épris de liberté et d’indépendance des peuples ont été touchés dans leur chair, ulcérés, par tant de cruauté. Peu importe les chiffre. Nous n’allons pas faire dans la comptabilité macabre. Les faits sont là et ils sont sans appel. On a massacré les algériens par dizaine sous le regard de «la Patrie des droits de l’homme», Kateb Yacine a été marqué par cette tragédie et s’est écrié : «Peuple français, tu as tout vu / Oui, tout vu de tes propres yeux. / Tu as vu notre sang couler / Tu as vu la police / Assommer les manifestants / Et les jeter dans la Seine. / La Seine rougissante / N’a pas cessé les jours suivants / De vomir à la face

Du peuple de la Commune / Ces corps martyrisés / Qui rappelaient aux Parisiens / Leurs propres révolutions / Leur propre résistance. / Peuple français, tu as tout vu, / Oui, tout vu de tes propres yeux, / Et maintenant vas-tu parler ? / Et maintenant vas-tu te taire ?». Vaut mieux tard que jamais dit-on, François a fini par reconnaître «Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ont été tués lors d’une sanglante répression», a déclaré François Hollande, dans un communiqué de l’Elysée, signé le 7 octobre 2012 : «La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes», a-t-il ajouté à l’occasion du 51ème anniversaire de ces événements. C’est la première fois qu’un président de la République française reconnait les méfaits de son pays à l’encontre de la communauté algérienne et ce n’est pas peu de choses.

Sadek A.H

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