«Vous êtes des journalistes. Pourquoi ne venez-vous pas voir ce qui se passe à la daïra ?», lançait-il, le ton plein de reproche. Un tantinet vindicatif. Celui qui nous interpelle ainsi, ce matin au siège de la wilaya, a, à peine, trente ans. Il s’appelle Abderahmane, il est marié et père d’une fille âgée de trois ans. Il occupe avec sa petite famille un garage aux 338 logements. Il l’a loué en 2013 quand il s’est marié. Avant, il vivait avec ses parents. Et déjà la place manquait. La famille était trop nombreuse. Quand il s’est marié il a compris qu’il devait s’en aller. La même année, il déposait un dossier pour un logement social. Et depuis, il attend en multipliant les visites au siège de la daïra. De temps en temps, il était reçu par l’ancien chef de daïra, mais sans résultat. Alors, comme cela lui arrive très souvent, ce mardi, il vient solliciter une audience, mais cette fois, auprès du chef de cabinet. Il n’était pas seul à nourrir un tel espoir. Karim a 47 ans. Il habite lui aussi un garage à l’ECOTEC depuis quatre ans. Il a une fille et deux garçons, âgés de 16, 18 et 21 ans. Il a déposé un dossier à l’OPGI en 97. Son nom a figuré sur la liste des bénéficiaires la même année. Mais manque de pot : à la suite de l’enquête déclenchée dans le cadre des recours, son nom a sauté. Depuis, les choses en sont restées là. Il ne comprend toujours pas comment ni pourquoi, on l’a ainsi rayé de la liste. Cela lui parait d’autant plus injuste que depuis 97, son dossier n’a pas avancé d’un millimètre.Le cas de Mohamed est plus dramatique encore. À 31 ans, il vit chez son grand père. Dès qu’il s’est marié il y a deux ans, il se vit séparé de sa femme qui habite chez ses parents à Alger. «Je n’ai pas où l’installer. Parfois quand j’ai les moyens, je loue une chambre dans un hôtel», confiera-t-il. Mais l’argent, c’est le nœud Gordion, car le jeune homme est au chômage. Il vit de débrouillardise. Mais avec la cherté de la vie, même la débrouillardise ne suffit pas toujours. Son rêve, c’est d’avoir un toit et de pouvoir vivre sa vie comme tous les jeunes mariés. Voir le chef de daïra ou le chef de cabinet, ou même le wali et exposer son cas, voilà ce qu’il se dit chaque mardi, en se rendant au siège de la daïra ou à celui de la wilaya. Il y a d’autres citoyens qui attendent dans le hall. Eux aussi ont leurs problèmes. À peine différents de ceux des autres. La plupart occupent une cave ou un garage. Ils vivent avec leurs familles plus ou moins nombreuses. Les maladies dues à l’insalubrité les guettent. Leur espoir réside dans l’affichage des prochaines listes. Mais ils savent combien leurs chances sont minces. Car l’expérience leur a appris à ne pas se faire trop d’illusions. Cela faisait tant de fois que leur attente a été trompée. Cependant, ils ne peuvent s’empêcher d’espérer et de venir frapper à la porte des bureaux des responsables. On ne sait jamais… revenons à la question posée plus haut : qu’aurait vu la presse au siège de la daïra ? Et pourquoi ce reproche injustifié ? Cette dernière n’a-t-elle pas, durant le feuilleton de l’été 2014, auquel a donné lieu la contestation bruyante des listes des bénéficiaires affichées, été de toutes les manifestations qui avaient quotidiennement été organisées aux sièges de la daïra et de la wilaya, et n’en avait-elle pas scrupuleusement rendu compte ? D’ailleurs, pourquoi la presse irait-elle spécialement ce mardi ? Ne savait-elle pas que le nouveau chef de daïra venait juste d’être installé ? Même en étant animé de toutes les bonnes volontés du monde, ce dernier ne pouvait matériellement avoir pris connaissance de ce dossier épineux qui a peut-être été à l’origine de sa permutation avec son ancien collègue ? Seulement le citoyen est roi. Le mardi, c’est sa journée. Et il pourrait croire qu’on la lui vole. Alors, la colère fuse avec force. Si le ton avec lequel Abderahmane s’adresse à la presse est chargé de reproche, il devient carrément menaçant à l’égard des autorités : «Si nous ne sommes pas sur la prochaines listes, il y aurait du grabuge», lance-t-il en guise d’avertissement.
Aziz Bey
