L’anarchie urbanistique -où se mêlent mauvaise planification des équipements réalisés par l’Etat et l’habitat illicite sous toutes ses déclinaisons- qui affecte le paysage des cités et quartiers algériens, est venue, en l’espace de trois décennies, à bout des poches de verdure, de bosquets, d’arbres d’alignement et de tout ce qui respire la nature limpide et esthétique. Il se trouve que, même l’héritage colonial en la matière est, dans les périmètres urbains, effacé d’un revers de main, laissant la place à la désertification de nos villes. Le mot n’est pas trop fort, particulièrement lorsqu’on considère le processus de l’avancée du béton et…du sable dans des villes qui ne sont éloignées de la capitale ou de la côte en général que de quelques dizaines de kilomètres. En Algérie, la désertification n’est pas un concept académique sur lequel plancheraient des étudiants en mal de thèmes d’études. C’est une réalité quotidienne qui a fini par être confirmée par les images satellites, prises dans différentes régions du territoire et réparties dans le temps (chronologie récente de l’évolution du couvert végétal). En effet, la destruction du couvert forestier dans les massifs- par les incendies répétitifs, les défrichements, les coupes illicites,…-, est aujourd’hui prolongée par une « désertification » intra muros. Au pied des bâtiments d’une cité de 500 logements, il n’y a que la boue en hiver et la poussière en été. Pas d’aire de jeux pour les enfants, ni d’espaces de récréation pour les adultes, sauf dans de rares cas. La mollesse des collectivités locales, la faiblesse d’un tissu associatif efficace et, il faut l’avouer, l’incivisme de certaines franges de la société se liguent, en tant que facteurs négatifs, pour rendre le cadre de vie des plus déliquescents dans plusieurs quartiers des villes, voire des villages de montagne, qui étaient naguère des havres de propreté d’hygiène et de verdure. N’a-t-on pas vu des jardins publics et des squares se transformer en dépotoirs ou en lieux malfamés? N’a-t-on pas assisté à des coupes en règles ciblant de belles rangées de platanes, de cyprès ou d’eucalyptus sur des avenues ombragées? Ceci, pour les anciennes villes héritées de la période coloniale. Quant aux nouveaux quartiers, sortis presque du néant en tant que grands cubes de béton, dans la plupart des cas, ils demeurent en l’état si la société civile ne s’organise pas pour leur conférer un autre destin environnemental et esthétique. L’on a eu à constater que, lorsque les communes ont commencé à être dotées de chapitres budgétaires pour l’aménagement des espaces verts, peu d’élus se sont intéressés à ce domaine, au point où, dans plusieurs municipalités du pays, l’argent demeure non consommé. Il s’est même passé le contraire dans certaines régions du pays où des élus se sont rendus complices de l’abattage d’arbres centenaires, d’ornement ou d’alignement, dans leur périmètre urbain, au profit de la mafia du bois qui n’attend que ces occasions pour s’enrichir. La louable tradition de l’intervention des services des forêts dans les milieux urbains, à l’occasion de la Journée nationale ou mondiale de l’arbre (25 octobre-21 mars), visant à sensibiliser les jeunes, les élèves et le monde associatif, en les faisant participer aux opérations de plantation, est interprétée par certaines collectivités locales comme une mission « obligatoire » de ces services qui les contraint à gérer tout le volet des espaces verts en ville. Or, cette intervention dans les milieux urbains revêt surtout un caractère pédagogique. Les élus locaux se « défaussent » ainsi sur les autres services dans la gestion quotidienne de leurs espaces verts. L’administration des forêts, dont la mission est de gérer et de protéger le patrimoine forestier, de l’étendre sur les bassins versants qu’il y a lieu de protéger de l’érosion, peut apporter un appui technique et même matériel pour les collectivités locales, et elle le fait souvent. Cependant, l’espace urbain demeure le domaine des communes et des services techniques avec lesquels elles peuvent passer des contrats d’études et de fournitures. Sur le plan théorique, tous les programmes de construction de logements et d’équipements publics sont pris en charge, en matière de projection d’espaces verts, d’aires de jeux et de détente, par les bureaux d’études qui établissent les esquisses et les plans de ces constructions. Cependant, une fois les logements ou les équipements sont réalisés, les services concernés continuent rarement leur travail en donnant contenu et consistance aux espaces dégagés entre les bâtisses ou à leur périphérie immédiate.
S’imprégner de la culture des espaces verts
Il se trouve que même la loi qui régit ce domaine, à savoir la loi n°07-06 du 13 mai 2007, relative à la gestion, à la protection et au développement des espaces verts, n’est pas très médiatisée. Dans certains cas, elle demeure complètement ignorée de ceux- élus locaux et responsables administratifs- qui sont censés l’appliquer sur le terrain. Comme aussi sont souvent ignorés les deux décrets de 2009 relatifs, respectivement, à la mise en œuvre du plan de gestion des espaces verts et à la nomenclature des arbres urbains et des arbres d’alignement. Au vu des retards mis par les collectivités locales dans la mise en œuvre de la politique de l’Etat en matière de cadre de vie dans son ensemble, la société civile commence à s’organiser et à devenir plus exigeante, y compris dans les cités de relogement où les ménages de l’habitat précaire ont été transférés. Les pouvoirs publics ont mobilisé des enveloppes financières pour des forêts récréatives qui commencent à être aménagées un peu partout, avec, également, des opérations d’amélioration urbaine qui comprennent des jardins publics, des bosquets, des arbres d’alignement, etc. Cependant, sur le plan du professionnalisme, ce créneau demeure encore en friche. Pourtant, les centres de formation professionnelle ont formé des centaines, voire des milliers, de paysagistes.
Certains ont même constitué leur micro-entreprise sur la base de financement de l’Ansej. Mais, le constat, amer, est qu’il n’y a pas encore de véritable jonction entre la commande publique en matière de réalisation d’espaces verts et l’offre de services que représentent les entreprises spécialisées dans le domaine. Le résultat des courses est que les collectivités locales se démènent comme elles le peuvent, sans repères, dans un domaine qui, visiblement, leur échappe totalement.
Même les entretiens des plantations (arrosage, binage, désherbage, taille, élagage,…) deviennent parfois un « fardeau » pour elles, au point d’exposer à la destruction des investissements qui ont coûté des milliards de centimes. Il est indispensable que la culture des espaces verts- sous toutes leurs déclinaisons (bosquets, jardins publics, forêts récréatives,…)- imprègne l’ensemble des acteurs de la société des administrations et des instances élues, jusqu’aux associations de quartiers, en passant par l’école, les scouts et toutes les organisations de la société civile.
A.N.M