La scolarité s’arrête au CEM

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D’aspect austère et froid, l’école pour enfants handicapés auditifs de Bouira évoque plus un couvent qu’un établissement scolaire. On pourrait longer vingt fois ses murs qui bordent le grand boulevard sur près de deux cents mètres, sans se douter de sa vocation pédagogique ni de ses effectifs scolaires. Cette impression s’accentue lorsqu’on y pénètre à la faveur de quelques rares événements. Ici, le personnel est soumis à la consigne du silence : toute tentative de communiquer à l’extérieur semble interdite. La preuve : pendant la visite de la ministre de la Solidarité une orthophoniste qui était en train de nous expliquer, dans la cour, la méthode de «démutisation», une technique orthophoniste consistant à faire recouvrer l’usage de la parole aux enfants sourds- muets, la directrice l’avait rappelée vivement. Pour quelle cause ? Notre présence dans les lieux, sans doute. Un gardien s’est approché de nous et nous a recommandé de revenir l’après-midi. La ministre ne pouvant être là avant. L’après-midi, la directrice se tenait au fond de la cour dans l’attente de la responsable de la solidarité nationale. À notre vue, elle s’est levée et a regagné son bureau en refusant de nous accorder le moment d’entretien que nous sollicitions d’elle. Dommage, nous ne saurons rien des relations entre administration et les parents d’élèves et des problèmes qui peuvent exister à l’intérieur. Pas plus que nous ne saurons si l’établissement dispense des cours d’éducation physique et s’il organise des excursions et des visites dans les établissements primaires pour mettre les élèves handicapés dans le bain, s’il entretient des liens privilégiés avec la direction de la culture dans le cadre d’activités para scolaires et de loisirs. Et surtout, nous voulions la confirmation de la déclaration de l’orthophoniste selon laquelle, il pourrait exister un projet de lycée pour handicap auditif. Malgré la brièveté de l’entretien avec cette orthophoniste, nous avons pu apprendre que l’établissement est en train de s’équiper de prothèses orthophonie FM, de meilleure qualité que les anciennes et qui permet de les porter tout le temps, ce qui assure aux bénéficiaires une autonomie plus complète. Dans la cour, deux garçons de 10, 11 ans en portaient. Ils devaient appartenir à cette classe qui a déjà bénéficié de ce don d’appareils. Le wali, selon cette orthophoniste, aurait promis d’équiper en prothèses d’orthophonie les classes restantes. Ainsi, le progrès est plus important dans la démarche pédagogique qui, en deux ans, prépare les élèves à une scolarisation normale. Hélas, celle-ci, avec des succès variables, s’arrête pour le moment au CEM. Le lycée pour ces enfants défavorisés par la nature demeure inaccessible. L’espoir d’un changement, donné cette année à l’établissement par deux élèves, s’est brisé net. La jeune Kahina vient de quitter le lycée où elle a été inscrite cette année. Elle ne parvenait pas à soutenir le rythme imposé aux autres élèves de sa classe. Il y a bien un lycée à Boumerdès pour ces élèves, mais peu d’entre eux ont les moyens de s’y faire inscrire. «Nous leur donnons un langage et une voix», explique notre enseignante. C’est ça l’objectif pédagogique poursuivi. Et cette méthode a un nom scientifique : la démutisation. L’ancien amplificateur de sons collectifs appelé Sewag tend à être remplacé progressivement par la prothèse FM d’un port plus aisé et d’une qualité auditive supérieure. Ainsi, l’enfant part, grâce à une rééducation pédagogique moderne, à la reconquête de ces moyens physiques gâchés au départ. Cette étape décisive qui s’insère entre son handicap auditif natif et une scolarité normale qui débute avec le primaire et finit, hélas, avec le moyen (en attendant d’autres progrès techniques), est de deux ans. Après quoi, l’enfant est capable de se prendre en charge lui-même. D’une capacité de 120 élèves, l’école en question a vu évoluer son taux de réussite dans le primaire, entre 70% et 100% dans cette période comprise entre 2003 et 20014. Après un léger fléchissement entre 2007 et 2008, la courbe ne descendra plus en dessous de 100%, selon les statistiques figurant sur le tableau dressé à l’intention de la ministre. Mais déjà elle plonge à hauteur de 71,42% quant au taux de réussite dans le moyen. Avec un personnel composé de 26 enseignants et de 41 agents de soutien, l’école pour enfants handicapés, à condition de s’ouvrir sur le monde, ainsi que l’a préconisé la ministre de la Solidarité lors de son passage dans cet établissement, a toutes les atouts en sa possession pour mener à bien sa noble mission. Mais la parole de cette responsable a-t-elle été entendue ? Ces êtres qui luttent contre un handicap réel devraient-ils aussi lutter contre l’épaisseur des murs qui les coupent du monde ?

Aziz Bey

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