Déboires d’un citoyen et gâchis environnemental

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La zone de Teniet Ezzerga est située à environ 2 km à l’ouest de la ville d’El Hachimia, à quelque 18 km au sud de Bouira. C’est un vaste espace agricole compris entre le CW97 et la bourgade de D’ghafla et sillonné par deux cours d’eau : oued Boukhalkhal et Chabet Draâ Tafilet. L’objet de notre déplacement sur ce site était de vérifier ce que nous a rapporté un agriculteur à propos d’une décharge communale dont il se plaignait depuis longtemps et d’une piste qui dessert son habitation à partir du chef-lieu de commune mais qui devient impraticable en période hivernale. Notre visite a été une occasion de découvrir un désastre écologique qui guette les terres agricoles et les habitations de la zone. La piste, qui prend naissance à partir du CW 97 (direction d’Aïn Bessem), chemine au milieu d’une ferme et aboutit à moins de trois km, à la propriété et au domicile des Metidji. Deux cent mètres avant de mettre le pied chez les Metidji, la décharge communale se dresse comme une plaie dans une terre agricole appartenant à l’EAC Mérad Belkacem, notre accompagnateur nous montre l’évolution de ce dépotoir qui a pris naissance dans un méandre de l’oued et qui monte progressivement jusqu’à déborder sur la piste tracée sur un promontoire. On y retrouve toutes les ordures de la ville (déchets solides, matières plastiques, matières organiques) sans qu’il y soit prévu un quelconque aménagement (clôture ou autre protection). En bas, là où se termine la décharge, ce sont les eaux usées qui prennent le relais et qui coulent le long du cours d’eau. La sortie du réseau d’assainissement est localisée juste à côté du bâtiment des enseignants. Les effluents rejoignent ceux de Oued Boukhalkhal et se déversent dans l’oued Sbisseb, un affluent de la Soummam. Un milieu pestilentiel est ainsi mis en place entre deux exploitations agricoles (une céréalière et une arboricole).L’agriculteur nous raconte ses déboires avec les autorités locales lorsqu’il s’est plaint de l’état de la piste et de la présence de la décharge pas loin de son domicile : “J’en ai fait état à plusieurs reprises au président de l’APC d’El Hachimia et au chef de daïra. J’ai même saisi le wali de Bouira et j’ignore la teneur des instructions qu’il a données à l’APC. En tout cas, en demandant au maire l’aménagement de la piste, il me répond toujours que c’est au wali de prendre en charge une telle infrastructure pour la goudronner. Moi, je n’ai pas demandé le goudronnage, je me contenterais d’un revêtement qui consoliderait la chaussée de façon à la rendre praticable en hiver. Plusieurs fois, je me suis embourbé avec ma Mazda bâchée au point de l’abandonner pour aller ramener un tracteur de dépannage. Ce qui détériore davantage la piste, ce sont les tracteurs de la commune qui viennent décharger ici les ordures. Ils tracent des ornières dans lesquelles il est impossible de passer. Le seul argument qu’on m’oppose lorsque je demande l’aménagement de la piste, c’est le fait que je sois le seul habitant ici. Moi, je tiens à mes terres. Au temps du terrorisme, je quitte les lieux pour moins d’une année”.Chaque jour, Belkacem transporte ses enfants à l’école dans sa vieille Mazda en empruntant cette piste. En arrivant chez lui, nous découvrons une fabrique d’aliments de bétail qu’il a mis à l’arrêt depuis quatre ans. “Je ne sais plus quoi faire. Le terrorisme nous avait paralysés et la bureaucratie actuelle nous a freiné. Il ne me reste que les quelques bovins que vous voyez paître là-bas, de l’autre côté de l’oued”.En descendant la pente douce qui mène vers le cours d’eau, nous découvrons un véritable cloaque à ciel ouvert. Les eaux usées qui coulent à plein régime ont annihilé toute vie biologique sur les berges. Des vergers se trouvent réduits à néant.Figuiers, pommiers, cognassiers et même des arbres forestiers tels le peuplier et le frêne sont désséchés comme s’ils avaient été brûlés par un incendie.Autrefois, Belkacem pompait l’eau de la rivière pour irriguer le verger de pommiers qu’il avait mis en place. Les arbres mourraient les uns après les autres jusqu’à complète disparition. Pour l’alimentation en eau potable, il a dû se résoudre à creuser manuellement un puits sur la haute terre afin d’éviter l’influence des eaux usées. Dans l’espoir de se redéployer sérieusement dans l’agriculture irriguée, il a mis en place un forage de 60 m pour lequel il espérait un soutien des services agricoles afin de faire procéder à son “détubage”. Pour l’instant aucune suite. Le forage est bouché avec une simple tôle métallique.Sur un tertre situé sur les hauteurs de la rivière polluée, notre agriculteur avait placé 40 ruches qui font face à sa maison. Au bout de quelques mois, les ruches se vident et les abeilles tombent “comme des mouches” sur le sol. Un vétérinaire ramené sur les lieux, expliqua à Belkacem que la mort des abeilles est due à la fumée dégagée par la décharge lorsque les services de l’APC se mettent à y incinérer les ordures. “D’ailleurs, nous raconte l’intéressé, un jour, le feu a failli prendre dans ma maison. C’était en été, lorsque la flamme venant du dépotoir s’est vite propagée en consumant les chaumes des céréales”. Même les petits espaces de parcours où les agriculteurs ont l’habitude de faire paître leurs troupeaux sont aujourd’hui recouverts de sachets et autres détritus ramenés par le vent à partir de la décharge. “La semaine passée, je me suis déplacé à la Direction de l’Environnement de la wilaya. Je n’ai reçu aucune réponse satisfaisante si ce n’est une vague promesse de délocaliser la décharge”, nous apprend Belkacem.Au-delà des problèmes et difficultés qu’endure un agriculteur sur des terres ayant pourtant un fort potentiel agricole, c’est à un véritable désastre écologique que nous sommes en train d’assister à Teniet Ezzerga, un nom en porte-à-faux par rapport à sa signification première (Col bleu) et à son histoire ancienne faite de labeur et de richesses. “Que les autorités de la wilaya interviennent pour mettre fin à cette situation intenable !”, s’écrie Belkacem.

Amar Naït Messaoud

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