Un supplément d’âme pour la campagne algérienne

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Le programme de l'habitat rural sera maintenu par le gouvernement, selon une déclaration faite jeudi dernier par le ministre de l'Habitat, de l'urbanisme et de la ville, Abdelmadjid Tebboune, en marge de la séance de questions orales devant les sénateurs.

Tebboune dira que « le ministère de l’Habitat n’a donné aucune instruction pour le gel de la formule du logement rural ». Il s’agit, explique-t-il, «de la suspension de l’opération dans certaines wilayas par arrêtés des walis aux fins de vérification des listes des bénéficiaires, suite à des rapports faisant état de dépassements». Le ministre assure également, à cette occasion, que le secteur de l’Habitat « ne sera pas touché par les retombées de la baisse des prix du pétrole ». Immanquablement, si la rumeur qui a couru un peu partout, dans les villages de Kabylie, où le programme a bien soulagé une grande partie de la population, et dans d’autres régions, s’était confirmée, ce serait une grande déception pour tous ceux qui espèrent bâtir un chez soi dans la zone rurale, mais qui n’en n’ont pas les moyens. Cela aurait été aussi un patent motif de désespoir pour tous ceux qui espéraient se réinstaller chez eux après un exode forcé. Tel qu’il a été mené jusqu’ici- même avec ses faiblesses, ses difficultés et parfois aussi sa bureaucratie-, le programme de l’habitat rural est sans doute la formule qui a le mieux réussi parmi tous les dispositifs mis en place par les pouvoirs publics. Il a constitué une grande bouffée d’oxygène pour des dizaines de milliers de ménages ruraux qui n’ont pas les moyens de rénover leur habitation vétuste ou de construire une nouvelle demeure. Dans le contexte de l’austérité financière induite par la chute des prix du pétrole, un grand nombre de projets d’équipements publics sont appelés à être gelés ou carrément annulés. C’est à la faveur de ce climat, où sont annoncés des jours difficiles pour les Algériens, que la rumeur sur l’éventualité du gel du programme de l’habita rural a circulé. Lancé au début des années 2000, en s’inspirant des anciens programmes de l’aide à l’auto-construction, le programme d’habitat rural a évolué aussi bien dans ses procédures administratives et dans la mise en place des programmes par les wilayas, que dans son appréhension en tant que moyen de stabilisation et de promotion sociale par les ménages concernés. Au moment où un tel programme était sorti des tiroirs des pouvoirs publics, le monde rural vivait encore le calvaire du chômage, du dépeuplement de ses espaces et surtout de l’insécurité. La manière même avec laquelle on a voulu populariser un tel programme ne tenait pas de la grande pédagogie, puisqu’il s’agissait de se « rapprocher » de l’administration-terme galvaudé et ayant perdu tout crédit- pour s’inscrire selon des modalités qu’on découvrira in situ. La mairie et la subdivision agricole sont les premières structures concernées en attendant l’autre filtre, la daïra. Puis, c’est un comité de wilaya qui tranchera les listes définitives.

Portée stratégique

Les premiers gestes pédagogiques entrepris pour situer le programme de l’habita rural dans sa portée stratégique l’ont été au début des années 2000 par les structures déconcentrées du ministère de l’Agriculture. Les différentes sorties sur le terrain des responsables de ce département a permis de vulgariser les principes soutenant le programme d’habitat rural. Il s’agit d’abord de prendre conscience qu’un logement, aussi luxueux soit-il, ne fait pas vivre une famille, d’autant qu’il est implanté dans une région rurale où il ne serait même pas convoité pour une éventuelle location. Le logement rural, soutenaient les responsables de l’Agriculture, doit être appréhendé comme une mesure d’accompagnement pour des projets de proximité de développement rural, permettant de générer des revenus aux populations bénéficiaires. C’est pourquoi, une grande partie des demeures rurales construites pendant les années 2003-2005 étaient liées à des projets de proximité qui comptaient plusieurs actions, dont le désenclavement par l’ouverture et l’aménagement de pistes, les plantations fruitières, des modules de ruches, de l’aviculture, des modules de pièces pour métiers d’artisanat,… etc. Les flux d’exode des populations rurales vers les villes au cours de la décennie 1990 ont entraîné avec eux l’insouciance des autorités locales quant aux actions de développement. Des pistes sont restées impraticables pendant des années. Les anciennes routes ouvertes par le génie militaire français, pour les besoins de la guerre et qui avaient desservi aussi des bourgades et des villages, sont tombées en ruine. Le retard d’électrification, d’adduction d’eau potable, d’assainissement et de raccordement au téléphone n’encourage pas les anciens habitants à retourner chez eux. Et, raison capitale, aucune politique de l’emploi en milieu rural, basée sur l’agriculture, l’élevage et l’artisanat n’avait été initiée. Observons que même dans les anciens « villages socialistes agricoles », l’emploi agricole est devenu minoritaire : les gens sont versés dans l’économie informelle, le transport clandestin et le fonctionnariat. C’est un véritable échec « planifié » qui a gangrené la société et l’économie en général. Les choses se sont « corsées » davantage lorsque le pays était mis sens dessus dessous par un terrorisme qui a exercé ses pires exactions sur des populations isolées, déjà laissées-pour-compte depuis longtemps.

Des centaines de milliers de personnes se sont alors déplacées dans les villes, proches ou lointaines, en bradant les derniers cheptels qu’ils ont entretenus jusqu’à ce jour pour louer des studios, des appartements, parfois des garages, sans eau ni sanitaires, avec payement anticipé d’une année ou deux. L’immobilier monta en flèche dans des villes où aujourd’hui peu de gens, surtout venant de l’extérieur, solliciteraient une habitation.

Le peu d’économie étant rapidement épuisé les enfants ayant suivi une scolarité perturbée ou ont carrément abandonné l’école, il s’ensuit une terrible chute aux enfers du ménage, le poussant à souhaiter un retour rapide au bercail. Cet espoir demeurait un certain moment très limité par les horizons qu’offrait la vie en milieu rural. Cependant, avec les premiers projets de proximité initiés dans la campagne algérienne, un début de retour a été enregistré. Lorsque l’insécurité pouvait encore constituer un argument dissuasif pour certains foyers, ils ont été amenés à demander des armes pour se constituer en groupes d’autodéfense.

Inévitables « parasitages »

Pour lier définitivement le logement rural à un retour effectif des populations sur leurs terres, le dispositif d’aide à la construction rurale a instauré une clause par laquelle le prétendant à cette aide doit justifier son activité dans le milieu rural. Pour mettre en application une telle disposition, les agents enquêteurs de la commune et de la subdivision agricole n’ont pas du tout la tâche facile. Car, comme à chaque fois que l’Etat débloque en subvention dans n’importe quel domaine de la vie économique, le parasitage et les interférences n’ont jamais été absents. Des salariés bien installés en ville se sont incrustés par mille astuces dans le dispositif d’aide pour bénéficier d’une habitation dans leurs villages d’origine où ils n’habitent plus. Les quelques cas qui ont pu s’infiltrer dans les listes et qui ont reçu la subvention de l’Etat ont fini par louer, pendant quelques intervalles de temps dans l’année, la nouvelle construction à des transhumants, nomades ou semi-nomades des Hauts Plateaux. Ce sont heureusement des exemples rares par rapport à l’ensemble des constructions. Cela justifie l’intérêt de la vigilance que ne cessent d’accorder les autorités responsables de ce programme aux moindres détails du dossier d’habitat rural.

Sur le plan technique, les textes portant programme de l’habitat rural sont clairs. Ce sont des demeures situées dans la campagne servant de logements à des populations qui travaillent dans l’espace rural (agriculture/élevage, artisanat,…). Pour cette raison, leur forme, leur architecture et leur typologie générale doivent épouser les formes et le cachet des paysages campagnards. Cette vision idéalement présentée sous forme d’un souci d’esthétique paysager, sans doute un peu « écolo », trouvera bien sûr ses limites dans la pression et la culture ambiante du foyer algérien, d’autant que ce dernier n’a pas reçu ce programme dans un climat de sérénité de paix et de bien-être social. Au contraire, c’est dans l’anarchie du retour improvisé sur ses terres ancestrales, sans horizons précis pour les chances de travail et de promotion sociale, pour tout dire dans un contexte de désarroi et d’incertitude.

Des chefs de ménages ont essayé de donner la forme qu’ils estiment la plus « rentable » pour eux à ces demeures rurales. Par exemple : il y en a ceux qui ont voulu construire des écuries, avec râteliers et mangeoires au dépend de l’aspect habitation. Evidemment, les agents de suivi et de contrôle ne peuvent admettre cette entorse à la réglementation. Il n’empêche que, dans certains cas, dès la fin et la réception des travaux, des réaménagements sont effectués par le propriétaire pour donner au logement la forme de la vocation à laquelle il le destine. Dans certains cas, au lieu de la bergerie, les propriétaires réaménagent leur logement en garages.

Une esthétique difficile à consacrer

Mais le problème qui avait tenu l’administration en haleine, et ce, pendant plusieurs années, est sans aucun doute l’aspect extérieur de l’habitation. Celle-ci est destinée initialement, dans un souci d’harmonie et d’esthétique paysagère, à recevoir une charpente en tuile. Les choses semblent, de prime abord, aller de soi d’autant plus que l’habitation est bâtie sans étage. Elle est même censée être perçue de loin comme une petite villa, une « petite maison dans la prairie », comme n’a pas manqué de la souligner avec humour un représentant d’une APW lors d’un conseil de wilaya chargé de trancher plusieurs points litigieux. Et bien non ! L’option avec charpente en tuile est devenue super-minoritaire. Les ménages bénéficiaires de ce programme et certaines associations ont réussi à défendre définitivement l’idée d’une toiture en dalle bétonnée avec, tenez-vous bien, des… amorces de fer ! La vision soutenant une telle « architecture » est claire : le propriétaire compte continuer la construction sur un étage après la réception des travaux. Ce problème a fait consommer à des membres des exécutifs de wilayas et d’APW des centaines d’heures de discussions et une débauche d’énergie dans des débats que le terrain de la réalité algérienne a rendus vains. Dans ce genre de réunion où les walis ont voulu impliquer les assemblées élues afin de ramener les bénéficiaires à de ‘’meilleurs sentiments’’ en les invitant à respecter la réglementation et… le paysage, des arguments de poids ont surgi mais sans pouvoir peser dans la balance. Par exemple, un secrétaire général de wilaya qui soutient que la subvention de l’Etat est destinée à des foyers pauvres qui ne sont pas supposés pouvoir construire un étage de plus sur leur demeure. S’ils en sont capables, c’est que les agents enquêteurs se sont quelque part trompés dans l’opération de sélection de bénéficiaires. Sur le plan de la technique de génie civil, l’armature de la demeure rurale n’est pas programmée (ferraillage, béton, envergure des poteaux) à soutenir un étage supérieur. Sur le plan de l’esthétique, non seulement un tel tableau (dalle avec amorces de fer) n’épouse aucunement l’âme de la campagne, mais aussi, même en accordant au propriétaire une telle concession, l’administration n’a, par la suite, aucune prise sur la manière et le rythme de l’érection de ce fameux 1er étage. Cela va rejoindre le dossier des constructions inachevées en débat depuis plusieurs années au niveau du ministère de l’Habitat et des wilayas.

L’acte de possession a sauvé le programme

Le terrain où tous les acteurs (ménages bénéficiaires, administration locale, élus) s’étaient attendus à des problèmes quasi insolubles, susceptible de faire capoter le programme d’habitat rural, s’est révélé d’une façon inespérée, le plus gérable et le plus fluide. Il s’agit, comme on peut le deviner, de la traditionnelle entrave du foncier. Dès le départ, le ministère de l’Habitat avait vu juste et a pris toutes les précautions nécessaires. Comme on le sait, les conflits fonciers dans le monde rural ont souvent remis en cause des programmes de développement, aussi bien dans l’activité agricole que pour les prestations de services publics (conduite de gaz, assainissement, eau potable, poteaux électriques,…). Outre l’indivision des parcelles, les litiges sur les limites, les problèmes de la dévolution successorale, l’absence de titres de propriété s’avère comme un des facteurs les plus dissuasifs. Les responsables du programme de l’habitat rural ont intelligemment remédié ce déficit par une mesure salutaire : l’acte de possession. Ce document se révèle dans la plupart des situations comme une solution ‘’magique’’ sans laquelle ce programme serait devenu quasi irréalisable. C’est une procédure facile et rapide. Sur demande du prétendant au logement rural, le maire procède à un affichage de la délimitation- faite par un expert foncier- de la parcelle de terre sollicitée. S’il n’y a aucune opposition pendant deux mois d’affichage, un titre appelé « acte de possession » est délivré au demandeur. Cette procédure a amplement facilité la réalisation des premières phases du programme. Le maintien de ce programme est vu par le gouvernement comme un gage de stabilité social dans un contexte des plus délicats sur le plan économique et financier suite à la régression continue des recettes en hydrocarbures.

Amar Naït Messaoud

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