La toxicomanie en progression

Partager

Comme le sujet sur la toxicomanie et les toxicomanes les a rassemblés ce jeudi, à l’occasion de la journée d’étude organisée par la direction de l’action sociale (DAS) au niveau de l’université Akli Mohand Oulhadj de Bouira, une dizaine de professeurs et de docteurs en psychiatrie et en psychologie se sont relayés à la tribune qui leur a été ouverte, pour définir, analyser et comprendre le phénomène.

Si tous parlent de traitement avec plus de pessimisme que d’optimisme, il reste que la prévention demeure la voie royale pour éviter de tomber dans la dépendance de tous les types de drogues existants. Ainsi, à l’auditorium de l’université où s’est tenue cette journée d’étude sur les drogues et les drogués, devant des centaines de jeunes étudiants, de profs, de médecins, de psychologues et aussi les autorités civiles et militaires avec à leur tête le wali, on a vu tour à tour les professeurs Mohamed Ould Taleb (EHS Drid Houcine de Kouba)), Melle Fatma Zohra Saïdani (Psychologue-orthophoniste), les Docteurs Belkodja, Abdelaziz et Ould Taleb, le docteur F. Baraka (service de psychiatrie de Ouragla), les docteurs M. Adouane et Sédik Bekko, (service de psychiatrie de Sétif), le docteur Belkacem Bouzera (consultation psychiatrique de Béjaïa). L’éventail des sujets développés à cette occasion était large et allait de «Les conduites addictives chez les adolescents», au «Les psychotropes et le cannabis, quelle dépendance», en passant naturellement par «Les équivalents suicidaires», «Le contact de sevrage», «Les passages à l’acte chez les toxicomanes», «Les motivations chez les toxicomanes», «La prévention de la toxicomanie en Algérie». Toutes ces interventions pouvaient se résumer, à notre sens, par la formidable prestation du professeur Ould Taleb. D’ailleurs, c’est elle que nous tenterons de résumer dans notre compte rendu de cette journée.

Le professeur a commencé par définir le mot addictologie. C’est une spécialité qui se charge du traitement des jeunes, manifestant une dépendance vis-à-vis des drogues. Pour le conférencier, le meilleur traitement c’est la prévention et celle-ci commence à l’école, misant sur les moyens de communication modernes et «sur les profs en rapport avec le phénomène». Le professeur tente ensuite de cerner la problématique de la toxicomanie, considérée comme un danger pour la santé publique. Son approche reposait sur 6 points. Il observait que «le phénomène est en progression constante (des quintaux, des tonnes de drogues saisies)». Mais il importait, selon lui, de savoir qui est d’abord le toxicomane. «C’est un jeune chômeur», expliquait-il. Autre particularité propre à l’évolution des mœurs : «le consommateur s’affiche publiquement.» Avant, il se cachait soit parce qu’il avait peur soit de honte. Dès lors s’impose une distinction : il y a deux types de consommateurs : celui qui s’adonne à la drogue seul (individuel) et celui qui «s’éclate en groupe». À ce stade de son développement, le conférencier fait observer que le cannabis est consommé à 52% contre 50% pour les drogues, les psychotropes et le tabac. Considérant que la consommation de drogue a explosé entre 1995 et 2015, se situant à 90%, il assénait cette terrible évidence en disant que : «l’Algérie n’est plus seulement un pays de transit, mais il est aussi et surtout un pays consommateur.» En Algérie, ajoutera l’orateur, «on produit, on vent, on achète et on consomme le cannabis». Avant, faisait remarquer l’orateur, le cannabis venait du Maroc et s’il passait en Algérie, c’était pour être diriger vers l’Europe. Mais même s’il existe des drogues douces, comme le tabac, et des drogues dures comme le cannabis ou l’héroïne et la cocaïne qui sont en train de se répandre chez nous, le professeur restait intransigeant et les rangeait sous la même étiquette : substance nocive, capable d’entrainer la déchéance physique et morale du consommateur et par là sa mort. Se présentant d’abord chez ce dernier comme une solution contre le manque de sommeil, l’anxiété ou l’ennui (le vide existentiel), les drogues manifestent très tôt leur nocivité par les ravages parfois irréversibles sur le physique et le cerveau. À ce stade, l’intervenant distingue l’usager occasionnel, celui qui fume un joint par jour ou par semaine, avec l’usager abusif qui fume joint sur joint. Mais à la longue, l’écart entre ces deux types de consommateurs finit par disparaître, et il ne demeure que l’addictif à la drogue, le narco-dépendant. Pour ce type de toxicomane, le professeur a un terme scientifique pour le désigner : un inadapté social. Bien que les chances de guérison soit minimes (s’appuyant à ce propos sur l’étude qu’il a réalisé sur un échantillon de 200 personnes, seules 20% auraient trouvé la guérison), le Pr Ould Taleb insiste sur la nécessité de traiter le toxicomane. Non seulement parce que «soigner soit un projet de long terme,» ou que consommer de la drogue soit un délit puni par la loi, mais parce qu’on ne peut pas abandonner quelqu’un qui se noie. Le devoir d’assistance incombe à tous, aussi bien au médecin qu’au simple citoyen. L’orateur indiquait deux grands centres de désintoxication, un à Oran et l’autre à Blida, où le toxicomane peut suivre une cure appropriée. Mais son espoir reste la prévention. Pour finir, il citait le cas d’un client qui était un consommateur occasionnel (il fumait un joint une fois par semaine et qui reste accro au cannabis). Il avait dix sept ans, lorsqu’il avait commencé. Il a aujourd’hui quarante quatre ans. Il avait une femme et deux enfants. La femme a divorcé et ses enfants l’ont abandonné pour suivre leur mère.

Il nous apparait de la plus grande importance de donner les chiffres fournis par un responsable de la Police, intervenant à cette journée. Selon lui, il existe plus d’un million de toxicomanes en Algérie. En 2008, les services de sécurité ont saisi 80 tonnes de cannabis. En 2002, la saisie a été de 90 tonnes. Concernant les psychotropes, les mêmes services avaient saisi 80 000 cachets, contre 660 000 cachets en 20012.

Le maitre mot de cette journée reste la prévention. Mais même si la guérison peut s’avérer longue et parfois aléatoire, il ne faut jamais perdre espoir. Garder confiance en son action thérapeutique, c’est communiquer cette confiance, cet espoir au jeune toxicomane, c’est créer chez lui suffisamment de motivation pour poursuivre sa cure.

Aziz Bey

Partager