Dans l'univers bariolé des médias, vecteurs d'information, de culture et de spectacle, qui font partie de la quotidienneté la plus prosaïque des individus, des ménages et de toute la collectivité, que représente encore la radio pour le public algérien?
Quelle nouvelle image se substitue au vieil appareil transistor, fonctionnant avec des batteries de piles plates ou rondes? Il est vrai que la technologie moderne n’a pas négligé la radio; elle lui a réservé sa place sur le satellite, au même titre que la télévision; elle l’a intégrée dans les téléphones portables, au même titre que les autres options (appareil photo, caméra,…); elle lui a surtout réservé une place dans le monde virtuel du web, faisant que la plupart des radios du monde, y compris algériennes, sont aujourd’hui captables sur simple clic par internet; ce qui leur donne une dimension spéciale et une irradiation que l’on ne pouvait pas imaginer il y a une vingtaine d’années.
Cette révolution technologique, qui a multiplié et diversifié les supports et les canaux de transmission, a-t-elle été suivie d’un regain d’intérêt ou d’une nouvelle dimension sociale et culturelle en Algérie? La radio dispose-t-elle d’un public spécifique, clairement répertorié capable d’être analysé en vue d’améliorer les performances de cet outil culturel et médiatique à la fois? Sans que l’Algérie ne se donne tous les moyens pour suivre et mesurer l’audience et la place de la radio dans la vie domestique de chaque jour, ainsi que sa pénétration dans les couches de la société il n’en demeure pas moins que la question mérite d’être posée dès à présent, au vu des grands investissements publics consentis par le gouvernement pour mettre en place plus de 50 stations de chaînes de radios en l’espace de quelques années.
L’Algérie, jusqu’au début des années 1990, ne possédait que trois chaînes de radios publiques: les chaînes 1, en arabe, 2 en kabyle et 3 en français. Dans la foulée de l’ouverture sur la société le gouvernement a multiplié les radios régionales dans les wilayas et a renforcé le réseau de chaînes dans la capitale par des radios de divertissement, de proximité ou à caractère culturel/religieux (Jeel FM, radio Al Bahdja, radio culturelle, radio Coran). Ici, l’on peut relever tout de suite que, curieusement, cette »ouverture » sur la société s’est limitée aux chaînes publiques. L’une des rares chaînes privées, émettant exclusivement sur le web, la radio du site Maghrebemergent, est spécialisée en information économique et politique.
Audiovisuel: une ouverture retardée par les enjeux politiques
Si la presse écrite a devancé de loin les organes audiovisuels- lorsque le pouvoir politique a consenti à libéraliser ce domaine en 1990-, c’est pour des enjeux politiques de taille. La presse écrite, malgré son aura, ses performances et sa façade d’ »alibi » démocratique dont les pouvoirs successifs ont essayé de tirer une espèce de »gloriole », ne peut pas être placée sur le même rang- en matière d’influence et de formation de l’opinion publique- que la radio ou la télévision. Constitués en société traditionnellement orale, frappés par un profond analphabétisme que ne rendent que partiellement les chiffres officiels, les Algériens ont tendance à considérer d’abord et à croire la télévision et la radio. L’usage de ces deux moyens d’information est renforcé par le côté divertissant, voire ludique, des programmes qu’ils proposent. Les choses ont rapidement évolué avec le satellite qui met à la disposition des Algériens des milliers de chaînes de radio et de télévision… étrangères. Cependant, malgré cette profusion, le public algérien n’arrive pas à assouvir ses besoins en matière d’information et de divertissement tant que le contenu est loin de notre société et de notre culture.
Néanmoins, peu de choses a été fait chez nous pour contrecarrer ou relativiser l’invasion du ciel et des foyers algériens par les ondes. Il se trouve que, au-delà même des programmes de diversification de l’offre culturelle et médiatique; l’Algérie fait face à des problèmes techniques assez primaires. Pour preuve, les »parasitages » que subissent les chaînes de radio algériennes dans certaines régions du pays, aussi bien en bandes FM que sur les ondes hertziennes. Le ministre de la Communication, Hamid Grine, en a fait état à plusieurs reprises et promet d’y remédier le plus rapidement possible; comme il fait une priorité de la couverture spatiale des radios régionales qui n’arrivent pas encore à toucher l’ensemble du territoire des wilayas dont elles portent les noms.
Les services de la Télédiffusion d’Algérie (TDA) comptent travailler, d’après le site web de cette entreprise, pour un »ancrage définitif dans la voie de la modernisation de ses structures et de ses services imposée par la nouvelle réalité technico-économique et la mondialisation. D’autant plus que les nouveaux critères de performance fixés par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), impliquent une qualité de service normalisée, seule susceptible de permettre de faire face à la concurrence féroce imposée par le haut niveau des autres opérateurs présents dans le circuit, et de garantir la pérennité de notre rythme d’évolution ».
La radio boudée par l’investissement privé
Par-delà les questions techniques, dont certaines trouveraient leurs solutions dans la coopération maghrébine et méditerranéenne dans le partage des ondes hertziennes, il est temps que le débat soit orienté et engagé sur le contenu même de ces chaînes de radio. À l’heure actuelle, même s’il y a un début et un brin de satisfaction des foyers algériens par rapport aux missions de la radio en général, le chemin est encore long pour en faire un moyen d’accès à la culture, et à la citoyenneté. Nacer Mehal a vu juste, en soutenant, alors qu’il dirigeait en 2011 le département de la Communication, qu’ » il appartient aux radios locales de contribuer à la promotion de l’information de proximité de se rapprocher du citoyen et d’accompagner l’action de développement, outre leur rôle en tant que trait d’union entre les autorités et le citoyen ».
Dans la phase actuelle du développement de la radio, en tant que moyen d’information, de divertissement et d’accès à la culture, qui est parvenue à se déployer sur un très large éventail de supports d’émission, deux grandes questions se posent: comment promouvoir, adapter et enrichir les programmes des chaînes publiques actuelles qui maillent le territoire national avec plus cinquante antennes? Ensuite, il importe de savoir comment la liberté d’investissement dans le créneau audiovisuel pourra être exploitée par les intervenants privés pour faire de la radio un moyen de formation, de culture et d’information, tel qu’il se décline dans les pays avancés.
À l’heure actuelle, nous en sommes au degré zéro de la réflexion. Aucun projet d’investissement privé dans la radio n’a été formulé officiellement. Il n’y a même pas de discussion ou de débat dans ce sens. Lorsqu’on aborde l’audiovisuel, c’est toujours le « visuel » qui l’emporte, c’est-à-dire les chaînes de télévision. Les Algériens reçoivent, via le satellite, une vingtaine de chaînes TV dites « algériennes ». Il n’y a que trois chaînes qui disposent d’un agrément provisoire des autorités. Le reste fait dans l’informel, comme une grande partie de l’économie algérienne. Mais, sur l’ensemble de ces chaînes, le professionnalisme et la déontologie sont encore une denrée rare, une culture qui n’est pas encore acquise.
En Europe et dans tous les pays avancés, malgré les progrès technologiques dont ont bénéficié les chaînes de télévision – où la numérisation a atteints des sommets vertigineux-la radio demeure un outil indispensable, mis à la disposition des citoyens, développant l’esprit de citoyenneté et la construction démocratique. En France, plus de 8 habitants sur 10 écoutent la radio au moins une fois dans la journée. Le pays compte 43 millions d’auditeurs quotidiens. Avec une telle performance, »la France est l’un des pays d’Europe où la radio est la plus consommée », souligne l’hebdomadaire Le Nouvel Économiste. On y compte une audience de 2 heures 59 minutes en moyenne par jour, pendant les jours de semaine, et 2 heures 38 minutes le week-end, selon un sondage effectué en mars dernier. Outre le poste radio classique, les téléphones portables, les tablettes et l’ordinateur sont les nouveaux moyens d’écoute de la radio. 1,7 millions de Français écoutent la radio à partir de leurs téléphones portables, tandis que plus de 8,4 millions de personnes suivent les programmes de la radio sur le poste radio de leur voiture avec une moyenne de 70 minutes par jour. C’est dire la place qu’occupe encore ce précieux outil qui a su s’adapter à toutes les circonstances techniques et aux avancées technologiques.
Un contenu qui cadre peu avec les exigences de l’heure
L’Algérie a consenti de grands investissements dans le secteur public de la radio. Un personnel et des équipements importés qui couvrent l’ensemble du territoire national. Cependant, il semble que la qualité et le niveau des prestations- malgré des compétences avérées sur certaines chaînes de radio- soient liés à ce « péché mignon » qui est le statut public. Parce que ce statut est parfois mal perçu. Il est considéré comme synonyme de « gouvernement ». Sur la plupart des antennes de radio publique, on a donné l’image peu flatteuse que ce média est obligatoirement et intimement lié aux autorités officielles (ministres, walis, directeurs d’exécutif,…). Le service public est pourtant bien autre chose. C’est la proximité la plus efficace, en rapportant les problèmes quotidien des citoyens et des villages, en sollicitant les pouvoirs publics (responsables administratifs et élus) à y apporter les réponses et les solutions. Le service public, c’est aussi la vie des gens dans leur quotidienneté avec les infos sur les accidents de la route et les accidents domestiques, la vulgarisation des nouvelles lois et réglementations, en dénichant les nouveaux talents de la culture (chanson, peinture, écriture, théâtre,…) qu’il y a lieu de médiatiser. C’est également la défense de l’environnement et du cadre de vie.
Manifestement, des insuffisantes flagrantes et criantes persistent encore au sein de la ressource humaine exerçant dans les radios publiques. Des efforts de formation sont plus que nécessaires. Mais, il semble que l’une des grandes tares que traîne encore le réseau des radios publiques est celle de considérer ce canal d’expression – à l’ère de la démocratisation des institutions et de la société- comme la « chasse gardée » des pouvoirs publics, alors qu’il a, en principe, la vocation d’être tout simplement public.
Amar Naït Messaoud