Le challenge de la modernisation

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La facilitation de l'accès au foncier industriel, telle que décidée par le Conseil des ministres du 22 juillet 2015- donnant au wali la prérogative de procéder à une concession de gré à gré-, l'intérêt accru des citoyens pour l'habitat rural et l'exploitation des terres familiales après un "exil" qui aura duré des années en ville, les extension urbaines, et d'autres facteurs encore, ont, au cours de ces dernières années, valorisé le foncier et accéléré les transactions au point où la bourse des terrains à bâtir défie toute logique, y compris dans des zones insoupçonnables, car retirées ou enclavées.

D’où, d’ailleurs, la multiplication des oppositions, particulièrement dans les villages de montagne en Kabylie, à l’installation de projets de développement programmés par les pouvoirs publics (zones d’activités, tracés de gaz, réseaux d’assainissement, routes, pistes,…). Ce nouvel intérêt pour le foncier n’a pas été sans générer des difficultés, voire parfois, de graves conflits familiaux, tribaux ou administratifs (lorsque l’Etat prend possession d’un terrain supposé relever de la propriété publique, mais qui souffre de moult litige avec des particuliers.

En principe, la clef idéale pour la résolution des litiges et différents fonciers, est le cadastre, avec son administration archivistique, ses opérations sur le terrain et son expertise. Malheureusement, il n’en est pas toujours ainsi. Les opérations cadastrales, entamées au début des années 1990, ne sont pas achevées à ce jour, alors que plusieurs ministres des Finances qui sont passés par le gouvernement, ont donné des promesses et des échéances précises. La dernière promesse remonte à 2012, lorsque l’ancien ministre, Karim Djoudi, a arrêté l’échéance de la fin des opérations à fin 2014. Cela fait exactement une année que cette échéance est dépassée, des communes entières ou des morceaux de communes ne sont pas encore cadastrés. Les ministres des Finances qui se sont succédés- desquelles dépendent trois directions en relation avec le foncier: cadastre, domaine, conservation foncière)- ont été interpellés à plusieurs reprises non seulement par les députés ou les autres départements ministériels concernés par le dossier du foncier, mais également par de simples citoyens, des communes et d’autres structures qui ont un rapport direct ou indirect avec la problématique du cadastre. Plus que par le passé les services du cadastre sont sollicités en raison des nouvelles données de l’économie nationale qui réclament plus d’organisation, plus de transparence et moins d’aléas dans l’offre foncière destinée aussi bien au secteur industriel qu’aux secteurs de l’immobilier, des services et de l’agriculture.

Le parcours tortueux de la propriété

Historiquement, les difficultés de l’assainissement cadastral demeurent liées au parcours et aux vicissitudes de la propriété foncière et de sa transmission; elle est donc intimement liée à l’histoire socioéconomique de notre pays, depuis au moins la période turque jusqu’aux nationalisations opérées dans le cadre de la révolution agraire, en passant bien sûr par les expropriations coloniales décidées dans le cadre de la loi du Senatus-concult de 1863. La nouvelle économie algérienne ouverte sur le marché consacre comme nouveau principe sacré la propriété privée. Mais, cette avancée juridique, portée aux nues par le capitalisme mondial triomphant, se greffe dans notre pays sur des structures souvent archaïques. La meilleure illustration en est le statut du foncier en général et la place qu’y tiennent les terres privées, aârchs, communales et domaniales en particulier. La catégorie des terres aârchs est, de ce fait, une véritable épine dans le fouillis des textes relatifs au foncier. À l’échelle de toute l’Algérie, des dizaines de familles, représentant parfois des centaines de personnes, revendiquent une même parcelle indivise et sur laquelle elles ne détiennent aucun document (titre de propriété). Généralement, l’administration et les collectivités locales assimilent ce genre de propriétés à un bien communal tout en évitant d’y envisager une quelconque transaction ou un éventuel investissement, sachant pertinemment qu’il y aura une levée de boucliers de la part de dizaines de prétendants dispersés pourtant aux quatre coins du pays. Ainsi, des milliers d’hectares, parfois d’une terre de grande qualité agricole, sont pris en otage à la manière des terres de mainmorte appartenant aux habous et communautés religieuses. C’est une véritable situation d’impasse où ni les prétendants n’y investissent ni les autorités ne peuvent en faire un objet de transaction pour en rendre possible l’exploitation.

Interminables litiges

La propriété privée, particulièrement dans les régions très peuplées du Tell, à l’image des montagnes de Kabylie, se trouve, elle aussi, grevée d’une kyrielle d’écueils: indivision, héritage collectif, absence de titre de propriété absence de dévolution successorale et absence d’autres titres tels que l’acte notarié l’acte de possession, d’affectation ou de concession. Toute une gamme de litiges et d’obstacles juridiques font du foncier un des maillons faibles de la relance économique tant chantée sur tous les toits. Même certaines indemnisations liées aux expropriations induites par la construction d’ouvrages d’utilité publiques (barrages hydrauliques, autoroute, universités, hôpitaux, gazoduc,…) n’arrivent pas à s’effectuer dans les règles de l’art et les dossiers traînent indéfiniment en raison de l’absence de pièces justifiant la propriété. Dans ce contexte de confusion réglementaire et procédurière inhérente au foncier, la mafia des terres agricoles et des réserves foncières a pu, du moins temporairement, «tirer son épingle du jeu» en dilapidant les meilleures terres du pays dans des opérations de transactions illégales, délictuelles et même criminelles. Des walis et des présidents d’APC sur qui la justice détient des dossiers sont présentés devant les tribunaux. D’autres responsables de pareils actes réprimés par la loi se sont soustraits aux sollicitations de la justice en se réfugiant à l’étranger. Il faut dire que jusqu’à un passé récent, le dossier du foncier n’a pas été entouré de tout l’intérêt que requiert un tel facteur de développement. Car, c’en est un et des plus importants particulièrement dans cette phase sensible de la croissance économique du pays. On ne peut pas, en effet, concevoir des investissements (nationaux ou étrangers) sans la disponibilité immédiate de l’assiette foncière entourée de toutes les garanties relatives à son exploitabilité. En 2008 est créée l’Agence nationale d’intermédiation et de régulation foncière (ANIRF), dont la mission principale est d’établir et de réguler le marché du foncier dans une perspective de promotion de l’investissement. La ressource foncière est considérée comme un capital à côté des moyens humains, financiers et matériels qui conditionnent l’acte d’investissement. Dans notre pays, la plupart des projets d’investissement, particulièrement ceux ayant une certaine envergure, sont confrontés à la donne foncière dont la gestion manque visiblement de clarté et de rationalité. Tous les secteurs d’activité à un moment ou à ou un autre de développement, sont confrontés à ce qui est vaguement appelé le problème du foncier. Qu’il s’agisse de bâtir des logements sociaux, un dispensaire, une mosquée, un lycée ou de chercher à investir dans l’industrie, l’agroalimentaire ou l’agriculture, l’écueil de l’assiette foncière surgit pour contrarier les efforts les plus déterminés et les politiques les mieux élaborées. Il constitue la hantise des commissions de choix de terrain au niveau des communes, des daïras ou de la wilaya. Certains projets ont été annulés, d’autres ont été délocalisés suite à des imbroglios où se succèdent oppositions et réclamations.

Guerre de procédures

L’accroissement des conflits fonciers et cadastraux au cours de ces dernières années, est principalement dû au retour des populations à la terre en tant qu’activité économique créatrice de richesses après un abandon qui aura duré des années, voire des décennies pour certaines familles exilées dans d’autres coins du territoire national. Ce phénomène est également lié à la précarité du statut de salarié et la fermeture des entreprises publiques qui ont poussé des ménages à se fixer à la campagne et, partant, à se rappeler leurs anciennes propriétés ou des lopins hérités par simple dévolution coutumière. Or, une propriété c’est d’abord des limites, un plan cadastral, une figure géométrique. De l’imprécision de ces limites ou de la volonté d’une autre partie à empiéter sur la propriété du voisin naissent des conflits inextricables qui traînent devant les tribunaux. Il est incontestable aussi que des appétits se sont aiguisés à la suite de la mise en œuvre de la politique des pouvoirs publics relative au développement rural où des aides et des soutiens sont accordés pour la construction rurale, les forages et bassins d’eau, les plantations fruitières, les bâtiments d’élevage, etc. Une grande partie de ces ouvrages exige que soit produit un titre de propriété du terrain sur lequel ils doivent être érigés.

Cela a fini par provoquer des réflexes de régularisation de la propriété processus qui, malheureusement, n’est pas bien huilé y compris dans les communes cadastrées. Des conflits interminables surgissent alors entre voisins, cousins et autres parents alliés.

Des sommes colossales sont englouties dans les batailles de procédure faisant le bonheur des auxiliaires de justice (avocats, notaires, experts fonciers,…). À ce propos, notre appareil judiciaire est en train de faire face à des situations parfois inédites en matière de gestion et d’arbitrage du foncier. La formation de son personnel a certainement besoin d’être renforcée dans le droit foncier et les connaissances cadastrales.

De même, au vu de la lenteur caractérisant ses opérations sur le terrain et des différentes contestations, dont ces dernières souffrent, l’agence nationale du cadastre est aussi appelée à moderniser ses services aussi bien sur le plan technologique (utilisation des dernières techniques d’arpentage et de télédétection [photos aériennes et photos satellites]) que sur le plan de la mise en œuvre des plans cadastraux sur le terrain (enquêtes sur le terrain, mise à jour des données, relations avec les propriétaires, gestion des réclamations et des oppositions, arbitrages,…).

Amar Naït Messaoud

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