Trois ans, jour pour jour, après les dernières élections locales- intervenues le 29 novembre 2012- par lesquelles se sont renouvelées les assemblées communales et de wilayas, il ne semble pas que la gouvernance locale ait acquis un surcroît d’efficacité, de visibilité et de crédit à inscrire à l’actif du nouveau personnel élu.
Si quelques améliorations ont été enregistrées ça et là c’est un peu l’exception qui confirme la règle. Il ne s’agit pourtant pas de s’en prendre aux seuls élus des deux assemblées, et particulièrement de ceux des APC, et de les accabler de tous les maux qui rongent ma gestion de proximité et les affaires locales. Le système politique algérien étant hyper-centralisé bâti sur un moule unique avec, de surcroît, une patente hégémonie de l’administration sur les structures élues, il ne viendra pas à l’esprit d’isoler les élus dans un « banc d’accusation » et de déverser sur eux tout le fiel des administrés. La mal-gouvernance, comme tous les facteurs négatifs, est un tout solidaire, constitué de la convergence des faiblesses intrinsèques au fonctionnement de l’État et des institutions. Malgré cette « solidarité » agissante des facteurs d’arriération, le courroux des administrés cible préférentiellement l’APC et ses élus, singulièrement le premier d’entre eux, à savoir le maire. La fermeture des mairies par les citoyens se banalise. Le motif est vite trouvé- même s’il dépasse les prérogatives du maire- pour évacuer les employés de la première structure de base de l’État et des institutions et la cadenasser. Il n’y a pas une semaine qui passe sans que soit signalé un mouvement de contestation qui ferme la mairie, dresse des barricades et, parfois, en arrive à prendre en otage des élus. Le nombre d’élus qui sont en prison se comptent par centaines. Ceux qui sont en congé maladie sont également par centaines. Un wali en est arrivé à faire l’appel lors des réunions de l’exécutif, lorsqu’il constata que le taux d’absentéisme parmi les maires est devenu intolérable. Il tomba alors sur des justifications par des arrêts de travail délivrés par des médecins. N’est-ce pas là un signe d’une pathologie, non celle imaginaire des maires, mais celle, réelle, des institutions de l’État qui plongent dans une déliquescence historique.
Le ver est dans le fruit
Le pluralisme politique, la révision en 2012 des codes de la commune et de la wilaya, l’embellie financière qu’a connue le pays de 2000 à 2014, le renouvellement générationnel, tout cela n’a pas été d’un grand secours pour les assemblées élues. C’est que, le ver est dans le fruit. C’est une culture et une mentalité nourries par un pluralisme culturel dévoyé car non soutenu par d’autres réformes fondamentales, telles que la décentralisation, la redéfinition du rôle et de la mission des élus, la modernisation de l’administration, la formation continue, etc. La formation de quelques jours reçue par les présidents d’APC en 2007 et en 2012, sur des thèmes précis tel que le code des marchés publics, s’est transformée en une sorte de « villégiature » sans suite, pour laquelle on n’a prévu aucune espèce d’évaluation. D’ailleurs, cette formation n’a pas empêché que des maires et d’autres élus municipaux aillent en prison pour violation du code des marchés publics ou autres maladresses ou manœuvres de gestion. Après le renouvellement des assemblées locales, le regard des citoyens-administrés s’est naturellement braqué directement, et en priorité vers le nouveau responsable de l’exécutif communal, à savoir le maire, par-delà même son obédience politique. Et c’est fort compréhensible, lorsqu’on considère le climat de désordre, voire de rébellion, ayant caractérisé des centaines de communes au cours du mandat précédent. La commune, première cellule et institution de base, sous d’autres latitudes considérée comme une « petite république », est supposée être la plus proche du citoyen et de ses préoccupations. La colère et l’animosité qu’elle sustente chez les citoyens sont provoquées par toutes les situations de déception et de désenchantement que les jeunes affrontent presque quotidiennement, face au chômage, à la bureaucratie, à la déliquescence des services publics (eau potable, électricité routes, pistes rurales, réseaux d’assainissement,…).
Et la crise du pétrole annonce l’austérité!
Trois ans après les élections, et avec pratiquement les mêmes comportements et les mêmes réflexes par lesquels les populations sont tenues à une distance respectable de la représentation élue, des projets de développement et de la gestion de proximité la crise financière tape à la porte de l’Algérie. Et on annonce à tout va que les projets son gelés. C’est la nouvelle « clef magique » de certains élus, dans la communication avec les citoyens, afin de se débiner et se dérober à leur mission. La communication n’a jamais été le maillon fort des collectivités locales, même lorsque l’argent coulait à flot pour certaines communes. On soutiendra même que, justement, parce que l’argent ne manquait pas, il serait maladroit d’instaurer la bonne communication et la transparence dans la gestion. Les « affaires » se concluent dans les eaux troubles et non dans des ruisseaux limpides. Néanmoins, à cause d’un système économique et social bâti sur la rente et l’assistanat, les élus et les responsables administratifs locaux, y compris le chef de daïa, sont le maillon faible d’une chaîne que la rébellion sociale ne cesse de mettre à mal, de mettre sous pression, y compris dans des situations où ils ne sont pas partie prenante. L’on aura remarqué que, même si certaines défaillances relèvent d’un service technique qui n’a rien à voir avec la mairie (à l’image de Sonelgaz, de la direction de la santé de l’ADE, de l’ONA,…), le président de l’assemblée communale et ses collaborateurs élus sont mis à l’index, interpellés et dénoncés. Parfois, ils sont carrément agressés ou pris en otage, comme ce fut il y a quelques années dans le Sud du pays.
Une « démocratie participative » sans ancrage institutionnel
Les populations ne comprennent pas que le maire ait des prérogatives aussi peu étendues. Vu les compétions homériques auxquelles donnent naissance les élections communales, l’on en tire précipitamment la conclusion que le poste de maire est important, stratégique, voire « impérial ».
Depuis plusieurs années, des partis politiques et même des responsables au sein de la haute administration ont lutté pour l’élargissement des prérogatives des élus, principalement du maire, et pour une décentralisation territoriale et institutionnelle qui permettraient à ces prérogatives de s’exprimer efficacement.
Les codes de la commune et de la wilaya de 2012 n’ont rien apporté de nouveau sur ces deux questions, même si l’ancien ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, Tayeb Belaïz, n’avait cessé de parler de la nécessité d’instaurer une « démocratie participative » à partir du… code communal! Édifiés par une telle rigidité législative et institutionnelle, les présidents d’APC et leurs collègues élus de l’exécutif communal n’ont qu’à »faire avec ce qu’il y a », prendre acte de la limite de leurs forces et, éventuellement-si la bonne volonté arrive à faire contre l’infortune bon cœur- jeter des ponts avec les populations, afin de mieux utiliser les ressources que recèle la commune, de prévenir les incompréhensions et les dérives, et enfin, de tracer des ébauches pour une relation innovante entre les populations et les élus. Imparablement, cette relation ne peut être véritablement fructifiée et durablement capitalisée que dans un cadre politique globale qui s’appuierait sur les instruments de l’aménagement du territoire et sur le cadre participatif incluant, dans la gestion des affaires publiques, les populations par le truchement de leurs représentants associatifs (comités de villages, associations de quartiers, associations à caractère culturel, social ou sportif).
Amar Naït Messaoud

