“Mon premier tableau fut un paysage de la Kabylie au lever du soleil”

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La Dépêche de Kabylie : Zohra, la peinture, c’est toute une histoire pour toi, n’est-ce pas ?Zohra Lacal : Ma passion pour le dessin et la peinture est née à l’âge de 4 ans, en Algérie, quand mes yeux ont découvert des enfants dessinant dans une école coranique. Puis, j’ai eu l’immense joie de dessiner à l’école.Mon arrivée en France m’a permis de poursuivre ce rêve, à travers l’école, puis à l’âge adulte, des cours et stages intensifs : pendant 10 ans avec mon maître chilien, Ximena Armas, j’ai étudié toutes les techniques et styles les plus divers, du figuratif à l’abstrait. Les voyages et les visites de musées à Paris et en Europe ont peaufiné ma vision artistique. Ma jeunesse fut consacrée entièrement à l’art. Les années avaient défilé très vite. Je travaillais à côté d’une poubelle pour jeter mes travaux dès la fin de leur exécution, parce que le résultat ne me satisfaisait pas. J’ai oublié de vous dire que mon premier tableau, à 17 ans, fut un paysage de la Kabylie, au lever du soleil – en premier plan, des murs en ruines, des pierres au sol, en second plan, un chemin, la montagne et le ciel. Je l’ai fait d’après une photo d’une amie kabyle. A vrai dire, mes premiers tableaux peints sur des toiles, coucernant des paysages, furent sur l’Algérie puis le Vietnam et le Japon pour ses érables en fleurs (magnifiques, les jardins japonais sont mes préférés). Plus de 20 ans après, je suis encore dedans, malgré les voyages, les styles picturaux différents, les sujets divers et variés intervenus entre ce laps de temps… Faut croire qu’on revient toujours à ses origines.

Peut-on dire que vous êtes en grande partie le fruit de vos voyages ?ll Au début de mon adolescence, j’ai eu la chance inouïe de rencontrer de très grands peintres et écrivains (au cours de tous mes voyages) qui m’ont encouragée dans cette voie, et ouvert l’esprit sur d’autres dimensions artistiques. En 1993, au cours de mon premier voyage au Vietnam, un ami Vietnamo-yéménite rencontré en 83 à Paris (qui fut mon premier patron à Paris revenu vivre à Saigon), me présenta ses amis d’enfance, notamment, Trinh Cong Son et Tran Long An, des auteurs compositeurs de renommée internationale, qui avaient bercé mon enfance algérienne ! (à la maison, ma mère suivait les informations sur la guerre américaine via la radio vietnamienne). Mes idoles m’avaient encouragé à revenir travailler auprès d’eux, cela m’avait profondément émue. Ces artistes ne sont pas seulement de très grands artistes mais aussi des héros de la guerre. Il y avait parmi eux, celui qui a été à l’origine du soulèvement du Sud, un étudiant, âgé à l’époque de 20 ans, devenu plus tard général et écrivain : San. Tran Long An, apprendra le français pour mieux communiquer avec moi (il m’écrira une chanson aussi en 1994). Cinq mois après mon retour à Paris, je m’installais pour cinq ans à Saigon, chez mon ami Dai Kim Ly. Il avait un grand terrain, sur la presqu’île de Thanh Da (en dehors de Saigon), plusieurs maisons construites au bord du Mekong, au milieu des cocotiers et arbres fruitiers. Presqu’île tranquille, loin de l’agitation urbaine, à quelques pas des rizières, méconnues par les touristes et certains Vietnamiens – c’était mon lieu de recueillement et de méditation. Le fleuve m’avait inspiré comme il avait aspiré des vies pendant le typhon, que j’avais vu sans pouvoir agir ni les sauver à cause de la violence du vent.Au départ, j’avait peint toutes les voitures et cyclos qui avaient servi pour le film « L’Amant » de Jean-Jacques Anaud (réalisateur français) – que Dai Kim Ly (mon ami et ami de ma famille) avait racheté à la production. Après 8 mois de bohème, sans le sou, j’ai retravaillé, 2 ans et demi pour la Chambre de commerce française du Vietnam, en qualité de Directeur commercial. Ma première mission a été d’organiser le Colloque de la francophonie, en 1994, pour la délégation des 2.000 entreprises françaises menées par le Premier ministre français.Dès que cela fut possible, j’ai démissionné pour reprendre les pinceaux. Après les voitures, cyclos et portraits, j’ai peint des scènes de rues. Au Vietnam, tout se passe dans les rues. La vie y est un tourbillon captivant. Fascination totale. Les 2 premières années, presque toutes mes oeuvres sont parties à la poubelle, lacérées au cutter ou brûlées dans le jardin. Insatisfaite, mon rêve de devenir peintre se transformait en cauchemar. Puis, le 29 novembre 1996, j’ai travaillé sur un tableau de 1,50m x 2m. Cette toile représentait en premier plan, une femme partant au marché, avec un panier sur la tête. J’ai commencé à la peindre debout sur une chaise, pour la terminer allongée par terre. Je l’ai peinte d’un seul trait, sans prendre de recul et sans avoir un réel visuel par conséquent. Et c’est lorsque je l’ai terminée, genou à terre encore, que la Foi est venue à moi. Une vraie révélation divine. Quelque chose d’immense avec une force puissante, comme dans les films : une illumination venue du ciel qui m’éclairait. C’est très difficile à expliquer, mais ce fut à ce moment là que j’ai su que je deviendrai un jour peintre. La Foi est puissante, je l’avais écrit, à l’époque à tous mes amis restés en France, c’est pourquoi la date est si précise. On ne peut pas expliquer la Foi, on ne peut que la recevoir, la sentir.

Enfin, si votre vie était à refaire, choisiriez-vous d’être artiste -peintre ?ll Cela fait maintenant 9 ans que je suis peintre à part entière. C’est souvent très difficile financièrement, parfois douloureux psychologiquement, mais toujours merveilleux de peindre tous les jours. C’est même un pur bonheur. Une chance folle de pouvoir se consacrer entièrement à la passion de sa vie ! Je me suis mariée avec la peinture, mes enfants sont mes tableaux.Pendant toute ma vie, j’avais cru être une imbécile, sans caractère, sans goût ni saveur. Le Vietnam m’avait révélée à moi-même. Là-bas, j’ai pris conscience de mon vrai caractère déjà visible en Algérie. Récemment, certains traits m’ont paru évidents : déterminée, tenace, volontaire, endurante. Il faut bien cela pour surmonter tous les obstacles, poursuivre ses combats, avancer contre vents et marées, lutter contre ses propres faiblesses (sans doute ses pires ennemis).La vie est un combat permanent entre doute et choix. Avancer, c’est arrêter un choix.Peindre c’est exprimer ce que les mots ne peuvent pas dire, comme le silence du désert. Peindre c’est aussi survivre. Survivre, malgré tout. Vivre un peu. Vivre dans le paradis de son imaginaire. Un monde idéal, sans peur, racisme, violence ou souffrance. L’art permet d’abattre les frontières entre les êtres et les pays. L’art n’a pas d’odeur, pas de couleur, pas d’étiquette. L’art est liberté de penser.

Entretien réalisé par Karim Kherbouche

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