Parmi les grands axes de la politique de conservation des sols pris en charge par la direction générale des forêts, la lutte contre la désertification et la protection des bassins versants constituent la pierre angulaire d'une stratégie tendant à faire conserver au sol sa stabilité physique et sa fertilité organique et physicochimique par toutes les actions et techniques que des générations de techniciens ont mises au point à travers l'histoire d'une science qui a connu ses heures de gloire à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle en Europe et en Amérique.
Outre les programmes sectoriels financés par le budget d’équipement alloués aux conservations des forêts des wilayas, le ministère de l’Agriculture, du Développement Rural et de la Pêche a mobilisé un certain nombre de fonds, à travers des comptes d’affectation spéciale, pour la mise en œuvre des projets de proximité de développement rural intégré (PPDRI), lequels comprennent des actions de lutte contre la désertification, de protection des bassins versants et de développement du patrimoine forestier. Tous ces programmes font suite à un constat sans appel: le couvert végétal est en train de se réduire en peau de chagrin en Algérie. Les incendies de forêts ont consumé des centaines de milliers d’hectares au cours des vingt dernières années. Ce qui expose les sols, particulièrement ceux des régions montagneuses, à une forte dégradation (perte d’éléments organiques nutritifs, ravinement, stérilisation), tout en constituant un danger en aval (coulées de boue sur les routes, bourgades et villes). Il arrive même que des maisons, de grandes infrastructures (ponts, viaducs) soient fragilisés ou affectés par des fissurations suite au travail de l’érosion. Pour le secteur de l’agriculture, érosion signifie imparablement diminution des rendements, voire même une perte définitive d’une partie de la surface agricole utile (SAU). C’est pourquoi, l’extension de la SAU est toujours le credo de l’administration en charge de l’agriculture algérienne. Ainsi, la création de nouvelles exploitations agricoles et d’élevage décidée par le ministère de l’Agriculture en 2011 signifie également l’extension de la surface agricole utile par le truchement de la viabilisation des terres en friche. Ces terres, telles que ciblées par l’instruction interministérielle n°108, sont à identifier parmi les terres relevant de la propriété privée de l’Etat et de la propriété privée particulière. C’est un dispositif destiné à aider les jeunes à s’investir dans le domaine de l’agriculture et de l’élevage par le biais de crédits bancaires soutenus par le Trésor public.
Dénudation et appauvrissement des sols
Cette nouvelle politique tendant à mettre en valeur des terres en friche, abandonnées, non travaillées, est une occasion d’aborder le dossier de la valeur agrologique des terres algériennes et du processus d’appauvrissement qui les affecte depuis quelques années. L’on sait que la couche arable du sol- épaisseur de terre servant de substrat aux cultures annuelles et pérennes- ne cesse de subir les contrecoups d’une gestion peu rationnelle de la ressource foncière. En tout cas, le processus de perte des terres arables et fertiles due au phénomène d’érosion tend de plus en plus à prendre des proportions inquiétantes dans notre pays. La désertification par l’avancée des sables étant un autre phénomène qui, joint à l’action de l’érosion traditionnelle induite par les eaux de ruissellement, conduit à la réduction drastique des terres de valeur. En outre, la perte de plus en plus substantielle d’un capital irremplaçable qu’est le sol fait poser une sérieuse hypothèque sur la vie en zone rurale : terrains agricoles, terres forestières, certaines infrastructures de base et des équipements publics. Le travail destructeur des agents de l’érosion, principalement l’eau et le vent, se réalise d’une façon inégale selon les différentes zones écologiques, les étages bioclimatiques (aride, semi-aride, subhumide, humide) et la géomorphologie des différents faciès des sols algériens. Depuis le début des années 1970, les efforts des pouvoirs publics pour lutter contre la perte des sols étaient concentrés spécialement sur les zones menacées directement par la désertification, à savoir les régions steppiques des Hauts Plateaux. C’est un couloir fragile, dont le couvert végétal est écrasé par la pression pastorale (élevage ovin), et assurant la transition entre le Sahara et le Tell. Son état de fragilisation explique la conception de la ceinture verte (appelée barrage vert), destinée à atténuer un tant soit peu la désertification sous ces latitudes allant de la wilaya de Naâma à la wilaya de Tébessa. Des opérations d’envergure étaient initiées dans le cadre de cette ceinture biologique (reboisements, arboriculture fruitière, améliorations pastorales, infrastructures de desserte,…). Néanmoins, 23 ans après le retrait de l’Armée nationale populaire de ce grand ouvrage, le niveau de réussite est relativement faible. Cela revient au déficit de coordination et de concertation avec les populations locales dont la sociologie et le mode de vie sont purement pastoraux. Les espaces de parcours (pâturages sauvages) sont des zones réservées, quasi »sacrées », qu’on ne pouvait pas fermer impunément par la mise en place d’autres cultures qui excluraient l’élevage ovin. En fin de course, les deux logiques- celle de l’administration et celle des ménages ruraux versés dans l’activité pastorale- qui se sont affrontées sur le terrain, ont fini par remettre en cause les réalisations et les investissements effectués.
Concertation et participation
C’est suite à ce constat que les projets de proximité de développement rural intégré (PPDRI) inscrits pour ce couloir steppique ont été orientés dans le sens de la plus grande concertation avec les populations et de la multiplication des interventions de l’État, avec une logique participative. Les PPDRI spécifiques aux wilayas steppiques ont pris le nom de projets de proximité de lutte contre la désertification (pp-lcd) et contiennent dans leurs actions, outre les ouvrages et actions de conservation des sols (reboisements, repeuplements, corrections torrentielles,…), toutes les réponses aux besoins de développement local (plantation pastorales et fruitières, désenclavement par l’ouverture et l’aménagement de pistes rurales, élevage, apiculture, centres de santé raccordement à l’eau potable,…). Le constat fait depuis une dizaine d’années est que le phénomène des pertes du sol s’est fortement aggravé en touchant, maintenant, des territoires du nord du pays jusque-là épargnés. De plus en plus, des crêtes et des sommets de montagne du Tell se dénudent, des versants, autrefois bien herbus, s’exposent à l’action destructrice de l’eau, et des volumes importants de terre arable se retrouvent dans les plaines alluvionnaires, et une partie va, sous forme de vase, au fond des ouvrages hydrauliques (retenues, barrages) situés en aval du bassin versant. Il arrive même que cette vase détériore les machines et outils qui servent au pompage de l’eau vers la station de traitement. La dégradation des sols sous les coups de boutoir du phénomène de l’érosion devient de plus en plus inquiétante. Cela risquerait de neutraliser tous les efforts de la collectivité si une stratégie efficace n’est pas développée pour la stabilisation des sols et la protection des ressources naturelles. Les conséquences de la dénudation des sols-suite aux incendies de forêts et maquis, au surpâturage, aux terrassements anarchiques dictés par une urbanisation effrénée- sont devenues très palpables depuis le début des années 2000, particulièrement sur les hauts talus surplombant certaines routes nationales (par exemple la RN5 à Lakhdaria, la RN1 dans la Chiffa, la RN9 à l’entrée d’Aokas,…), où des coulées de boue et des gros éboulis obstruent le passage chaque fois qu’on enregistre une certaine pluviosité.
Réhabiliter les actions de restauration des sols
En se dégarnissant, le sol perd naturellement le pouvoir régulateur qu’il fait jouer au régime des eaux. Le sol perd du même coup ses capacités de filtration. Ce phénomène accroît le niveau de torrentialité des eaux et devient source d’inondations pour les périmètres urbains et les villages, d’autant plus qu’une certaine anarchie affecte depuis plusieurs années l’urbanisme dans notre pays; ce qui conduit des habitants à construire sur des berges d’oueds et sur les zones déclarées officiellement comme non constructibles, car inondables. À ces conséquences spectaculaires se greffent d’autres effets plus insidieux, mais non moins dangereux: le tarissement des sources de résurgence, la réduction du capital fourrager dans les pâturages naturels, la chute des rendements agricoles, la perte du capital forestier ligneux (bois et liège) et des sous-produits forestiers (fourrages de sous-bois, plantes médicinales…). Indubitablement, les programmes de lutte contre l’érosion doivent se multiplier et se rationaliser. La relance du projet du barrage vert, annoncé en 2012 par le ministère de l’Agriculture dans son volet »extension et réhabilitation », est une louable initiative; elle a commencé par une étude confiée au bureau national des études de développement rural (Bneder). Outre le couloir réservé au barrage vert, sur les contreforts des Hauts Plateaux, il est également impératif que la partie nord du pays, gravement affectée par le phénomène de déforestation, bénéficie de programmes de reboisements assis sur des méthodes modernes et bénéficiant d’un suivi rigoureux.
Sur le plan de la législation destinée à protéger le patrimoine forestier, la loi forestière, datant de 1984 paraît largement dépassé par les événements, particulièrement dans son aspect de dissuasion. Une refonte de cette loi et une réhabilitation du travail des agents sur le terrain apparaissent comme des actions à engager de toute urgence
Amar Naït Messaoud
