Ce sont 60 familles habitant le bidonville du piton (Thaghourfat-Ouakbou) lesquelles désespérément lasses de prendre leur mal en patience, crient leur ras-le-bol à qui veut bien les entendre. Cette situation perdure depuis 1963, année où les premiers arrivants se sont installés sur cet endroit de fortune. Et depuis, le bidonville n’a cessé de prendre de l’ampleur atteignant sa vitesse de croisière en 1989, formant une cité lugubre. Composé de familles venues pour la plupart, de villages reculés qui ont formé une communauté mosaïque, des citoyens, pour la plupart pères de famille, racontent ce qu’ils endurent depuis des décennies. Sans réseau d’assainissement, ni branchement de l’eau potable dans les foyers et encore moins des sentiers aménagés. A voir leurs masures nichées sur le flanc nord du piton d’Akbou, construites avec des parpaings, sans piliers, ni chaînage et charpentées avec de la tôle ondulée ou galvanisée, aucune n’est d’ailleurs dallée ou couverte de tuiles, il est facile de deviner les conditions de précarité absolue et inhumaines, que ces citoyens endurent dans leurs chaumières où les conditions les plus élémentaires d’hygiène et de sécurité sont inexistantes. Ce pâté de maisons éparses, collées aux rochers telles des ventouses est situé à la périphérie de la ville d’Akbou, à 500 m de la RN 26. Pour rejoindre ce hameau, c’est à partir de l’agence de l’Algérienne des assurances qu’il faut emprunter un semblant de piste, caillouteuse, sinueuse, très étroite et difficile à repérer qui passe à côté des premières maisons et continue vers guendouza et l’oued soummam. Cette piste enserrée entre deux murs, permet juste le passage d’un seul véhicule et son piteux état atteste de l’abandon et du triste sort de ces taudis. En ce beau matin de janvier, la nature a gratifié la région d’une belle journée hivernale caractérisée par un soleil doux et une température clémente. La cité se perd à l’ombre du piton, qui par son altitude avoisinant les 700 m, empêche le soleil de pénétrer dans la journée et durant toute la période hivernale. De ce fait la gelée qui ne fond pas, laisse planer en plein jour un froid glacial caractérisé par une humidité à l’intérieur des habitations laquelle provoque des maladies respiratoires récurrentes. Les habitants sans tajmahth, ni cafés maures préfèrent rester cloîtrés chez eux. Curieusement, à 11 h du matin, nous n’avons pas trouvé âme qui vive dehors. Notre présence a fait sortir quelques-uns quand même. Tout d’abord, c’est un jeune garçon qui est venu nous demander ce qu’on cherchait. Une fois notre mission connue, il accourt vers une maison voisine pour alerter l’occupant. De là, un jeune homme, la quarantaine, maîtrisant bien le français nous rejoint. Sans plus tarder, il s’étend sur les difficultés faites de dénuement, de pauvreté et de hogra que ces familles vivent au quotidien. D’emblée, notre interlocuteur, Madi lyazud débuta par le découragement qui frappe ses pairs à bout de souffle lesquels n’ont cessé d’attirer l’attention des autorités locales sur les souffrances endurées durant des décennies. La réponse, dira-t-il, leur est venue du wali de Béjaïa qui s’est déplacé sur les lieux en 1998 pour vérifier le bien-fondé des doléances de ces laissés-pour compte. “Ce jour-là les autorités locales ont montré au wali une maquette avec la fiche technique d’un projet de 60 logements destinés à notre relogement et dont les constructions étaient prévues à bouzeroual. Depuis, ce projet est mis en veilleuse et on n’en entend plus parler”, se résigne-t-il. Puis il commence à verser dans les insuffisances qui leur empoisonnent la vie. En premier lieu, il désigne du doigt une décharge publique faite de détritus divers, notamment les ordures ménagères que la voirie communale n’a pas daigné enlever, d’après lui. “Cette décharge qui est là depuis 6 mois, parle d’elle-même sur les conditions inhumaines que nous endurons et du degré d’indifférence des autorités locales envers nous”, dira-t-il. Puis il a met en avant, les risques de chute de pierres que les habitants appréhendent sérieusement. Les vibrations des mines ont totalement lézardé les murs des maisons déjà vétustes “la carrière située sur l’autre versant du piton fait sauter des mines pour extraire de la pierre provoquant des vibrations qui endommagent sérieusement nos maisons. Certaines dont les murs sont complètement lézardés menacent de tomber en ruines”, s’inquiète-t-il. Et il ajoute : “une fois, nous l’avons échappé belle suite à un rocher qui s’est détaché non loin de là”.Parmi les insuffisances mis en exergue, il citera entre autres les sentiers menant aux habitations, difficiles à escalader même à pied, de par leur relief accidenté. Ils sont boueux, rocailleux, sinueux, ravinés par les ruissellements d’eau et très étroits. Ce sont des chemins sans issues qui se terminent en cul-de-sac et ne permettent pas l’accès aux véhicules. Au moment des intempéries, ils deviennent de vrais bourbiers. “L’absence de l’éclairage public et l’état pitoyable des sentiers dont l’état déplorable frise l’impraticabilité, nous contraignent à ne pas nous aventurer dehors la nuit. Déjà dans la journée, on a du mal à déplacer jusqu’à la route carrossable les malades et les personnes âgées, regrette-t-il.Continuant dans la foulée, il parle du récurrent problème de l’eau qui se pose avec acuité. “Aucun foyer n’est alimenté en eau potable. Nous avons construit par nos propres moyens une fontaine. Et parfois quand l’eau se fait rare, nous la ramenons de n’importe où, dans des jerricans sur des brouettes”, se désole-t-il. Le problème qui affecte le plus ses pairs selon lui est l’absence d’un réseau d’assainissement. “Chaque foyer possède sa fosse septique. Comme le terrain est pentu, les habitations situées en bas en subissent les conséquences par les fuites qui s’en échappent et ruissellent”, renchérit-il. Il n’a pas manqué aussi de signaler l’absence d’un réseau électrique pour un grand nombre de foyers. “Seules les maisons situées à la lisière de la route ont été alimentées en énergie électrique. Toutes celles perchées plus haut ont recours à des branchements anarchiques dangereux”, se lamente-t-il.Abordant le volet de la frange juvénile, il s’apitoiera sur le malheur qui frappe les jeunes et les moins jeunes dans cette cité. “Le manque de perspective d’emplois auquel s’ajoute l’absence totale d’infrastructures culturelles dans la cité, font que nos jeunes rasent les murs et sombrent dans le farniente, la monotonie et la routine”, déplore-t-il. La scolarité des enfants n’est pas en reste. “Nos potaches sont éparpillés dans plusieurs écoles primaires de la ville”, souligna-il.Comme mot de la fin; il dresse un réquisitoire contre les autorités locales auxquelles il impute tous leurs déboires. “Nous avons du mal à comprendre l’attitude des autorités locales, sur l’ordre des priorités, dans la distribution des logements sociaux. Les conditions intenables que nous endurons n’existent nulle part ailleurs. Pour cela, à chaque entrevue avec eux, on nous promet un recasement à très court terme. Ces promesses infructueuses durent depuis des décennies”, affirme-t-il. Et il ajoute : “nous ne pouvons plus attendre. Nous somme atteints pour la plupart de maladies diverses, notamment respiratoires.Nous nous considérons, on ne peut dire mieux, pour des laissés-pour-compte, des éternels oubliés”.
L. Beddar