Il fut un grand dans la cour des grands de la chanson kabyle

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Après les magistraux Farid Ali, Slimane Azem, Cherif Kheddam et bien d’autres grands noms de la chanson kabyle, voilà que nous perdons, aujourd’hui, un autre majestueux en la personne de Dda Rabah, né en 1930 et décédé à l’âge de 85 ans. Il se lancera très jeune dans le domaine de la chanson. Marqué par les affres de l’émigration, Taleb Rabah tentera par ses répertoires d’atténuer la vie très difficile des émigrés. Mais c’est surtout son répertoire directement lié à la guerre de libération nationale qui le propulsera bien plus en avant dans l’admiration populaire. Sa chanson «Ttrunt wallen-iw» (mes yeux fondent en larmes) fera pleurer tout un peuple. En effet, tout au long de la chanson, Taleb Rabah fait dérouler la chronologie des sept années d’une guerre révolutionnaire combien meurtrière. Il évoque chaque an avec ses différents et horribles massacres aussi bien psychologiques qu’humains. Dans un verbe kabyle ciselé c’est tout le film de la guerre qui se déroule devant nos yeux toujours larmoyants. Poursuivant son fort attachement à la guerre, il composera par la suite «Ma tecfan ay igudar ?» (Vous souvenez-vous rapaces charognards ?). Cette chanson est comme un prolongement de la première ici citée pour encore davantage faire cheminer dans la mémoire populaire ces Imjouhad qui tombaient au champ d’honneur, mais hélas que leur compagnons ne pouvaient même pas enterrer tellement les accrochages furent d’une épouvante terreur. Les corps sont alors récupérés par les soldas français puis jetés aux rapaces qui les hacheront affreusement. Dda Rabah montre ici l’image comparative combien inhumaine et sauvage de la violence de l’armée française en Kabylie. Chaque mot est alors choisi par la portée de son sens pour imprimer à la parole une image verbale insupportable, car elle impose un décor des plus macabre mais aussi et surtout pour que nul n’oubli ce que le peuple a enduré. Lors d’un hommage qui lui a été rendu en son village natal Tizit, dans la commune d’Illilten en 2000 par les associations Tara de Tizit, Tagmatt de Taqa et Tussna de Aïn El Hemmam, avec le précieux apport des sept APC de l’ex Michelet, le baroudeur et non moins officier de l’ALN, Si Lhafidh Yaha, témoignera que Taleb Rabah rencontrait souvent les Imjouhad pour, entre autres engagements, annoncer une de ses nouvelles chanson engagée à l’exemple de «A tacekkirt n lghaba» (Oh ! toi chêne roi des forêts), ce chêne en réalité symbolisait plutôt l’enracinement profond dans la terre de la mère patrie alors colonisée. Lors de cet hommage, une pléiade de jeunes artistes ont tenu à lui rendre hommage à tour de rôle et en chorale. Dda Rabah était également militant au sein de la fédération de France du FLN combattant témoignage rapporté directement par son responsable Dda Mohand Benyounes. C’est sur l’humus de cet esprit d’engagement que la nouvelle génération de chanteurs des années 70/80 verra le jour. C’est dire que la chaîne de la contestation ne fut pas interrompue face à d’autres formes d’ostracismes qui se sont malheureusement prolongés après l’indépendance. Oui Taleb Rabah, Slimlane Azem, Farid Ali, Cherif Kheddam et leurs confrères ont fait école en la matière. Encore aujourd’hui, nul ne peut retenir ses larmes à l’écoute de sa chanson engagée principalement «Ttrunt wallen-iw».

Abdennour Abdesselam

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