Le souvenir du passage de désormais, feu Hocine Aït Ahmed à Tizi-Gheniff est toujours vivace dans la mémoire des citoyens de cette localité, d’un certain âge bien évidemment, puisque cette visite avait été effectuée à la fin de l’année 1991, dans le cadre de la première campagne électorale plurielle pour les législatives
«C’est un souvenir impérissable pour nous tous qui avions, pour la première fois de notre vie, l’honneur de nous approcher d’un homme illustre comme Hocine Aït Ahmed.
Un homme qui s’était voué corps et âme, dès sa prime jeunesse, en la sacrifiant totalement pour son pays, l’Algérie. Il fut contraint par ceux qui ignorent complètement son idéal et ses aspirations qui sont celles du peuple algérien, à savoir l’instauration d’une vraie démocratie et une justice sociale dont il a été privé durant cent trente années de colonisation.
Hocine Aït Ahmed était donc en désespoir de cause et fidèle à son serment de reprendre le combat contre ces nouveaux despotes», nous dira Si Slimane qui sera, durant ces premières années du multipartisme, un fervent militant du plus vieux parti de l’opposition, mais qu’il quittera au cours de cette derrière décennie en déclarant qu’il n’a plus l’âge et qu’il faut laisser la place au jeunes, mais comme tant d’autres militants, la cause de son départ est plus profonde.
Au demeurant, pour cette historique visite effectuée par feu Hocine Aït Ahmed à Tizi-Gheniff, notre interlocuteur ajoute qu’elle fut splendide tant l’accueil de la population fut non seulement grandiose mais très chaleureux, où pour la première fois, ce héros de la grande révolution et surtout l’un des plus grands politiciens allait prendre la parole devant eux, en chaire et en os. «C’est devant le nouveau petit siège du FFS, devant une foule immense et médusée que Dda El Hocine fit son petit discours, appelant notamment la population à œuvrer pour l’installation d’une vraie démocratie, loin de toute violence», ajoute notre interlocuteur.
Pour Mohamed, jeune commerçant de plus d’une trentaine d’années, cette soirée est toujours gravée dans sa mémoire. «J’étais un enfant, je ne connaissais rien ni au FFS ni à aucun autre parti comme je ne connaissais aucun homme politique. Mais, comme mon oncle était un cadre local du FFS, il m’emmena avec lui à Tizi-Gheniff pour que je puisse voir de plus près Aït Ahmed dont le visage ne m’était pas inconnu, d’autant plus que nous avions chez nous plusieurs de ses portraits.
Donc, après une attente qui fut des plus attractives avec la présence des troupes de musique traditionnelle qui animaient toute la ville, le long cortège de voitures donnant du klaxon se fit entendre à l’entrée de la ville et quelques instants après alors que j’étais sur les épaules de mon oncle, l’homme qui allait pénétrer dans le bureau du FFS et qui était sorti de la voiture, s’arrêta devant nous, leva ses yeux vers moi et mon oncle me plaça à sa hauteur et il m’embrassa puis me dit ‘Dhaa ka yessawalène’, ce qui avait déclenché des applaudissements assourdissants et infinis alors qu’il pénétrait dans le bureau, sans que je comprenne rien du tout alors que je recevais les félicitations de nombreuses personnes comme si j’étais devenu un héros.
Devant ma crédulité mon oncle me dit que c’est celui là Aït Ahmed», termine avec beaucoup de tristesse Mohamed, mais heureux d’avoir approché ce grand homme. Un peu plus loin, nous rencontrâmes Si Amirouche, un ancien cadre à la retraite, homme respecté à qui mes accompagnateurs présentèrent leurs sincères condoléances tout en me disant que feu Hocine Aït Ahmed était son oncle, alors que je connaissais ce personnage qui n’avait aucun lien familial avec lui. Devant notre air hébété et comme ce n’était aucunement le moment de plaisanter, surtout en cette circonstance de deuil, mes compagnons invitèrent Si Amirouche à prendre un café avec nous et nous raconter son histoire.
«Effectivement, tout le monde surnomme le défunt Dda El Hocine alors que moi je l’ai toujours appelé Aami El Hocine. À la fin de l’année 1970 et au début de 1971, j’étais scolarisé dans un lycée de Ben Aknoun et comme c’était le début de l’arabisation, les étudiants qui avaient leurs cités à côté de nous n’hésitaient pas à venir à notre rencontre pour les soutenir dans leurs grèves, et c’est ce que nous faisions.
Cependant, notre censeur qui était un vrai arabisant et qui avait sûrement fait ses études dans un pays arabe, faisait tout pour casser le mouvement. J’étais alors en terminale .Pour cela, il avait ciblé les meneurs dont je faisais parti et comme la majorité étions des Kabyles, il avait jugé un jour de nous convoquer à son bureau pour nous faire la morale, d’autant plus qu’il nous aurait vu avec les étudiants de Tizi-Ouzou. Ainsi, alors qu’ils discutaient avec mes camarades, moi j’étais captivé par un tableau posé devant lui et qui retraçait l’histoire de l’Algérie depuis la préhistoire jusqu’à l’indépendance.
C’était un document envoyé par le parti du FLN. Fixant longuement cette grande affiche, je ne sais comment je dis alors au censeur : Ya Cheikh, quand aurons-nous la prochaine guerre ? Et pour toute réponse après m’avoir fixé sévèrement des yeux, il me dit en arabe : Tu n’as qu’à le dire à ton oncle Hocine et à ton oncle Belkacem ! J’avais failli lui jeter mon point à la figure mais mes camarades se levèrent et nous sortîmes silencieusement de ce maudit bureau.
Il faut bien comprendre qu’à cette période, personne n’osait évoquer ces deux noms en public», dira notre interlocuteur, alors que ses yeux s’embuaient de larmes à ce souvenir qui reste ancré à jamais dans sa mémoire.
Essaid Mouas

