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Un précieux legs de culture politique et d'engagement

"J'appartiens à cette opposition qui s'appelle la vie" (Balzac)

Le raz-de-marée humain qui a afflué de partout sur le petit village d’Ath Ahmed, dans la région d’Aïn El Hammam, pour rendre un dernier hommage à l’un des plus dignes fils de l’Algérie, Hocine Aït Ahmed, est un moment de réconciliation et de communion entre les citoyens, longtemps tiraillés et déchirés par des considérations politiques peu en prise sur la réalité. Aït Ahmed a pu rassembler tous les courants de la société car étant un symbole de ce qui restait comme capital précieux du mouvement national et de la guerre de Libération, comme il est l’incarnation de la lutte pour la démocratie pour laquelle il a mené un combat permanent depuis 1962. Les processions humaines qui se sont rendues sur le village d’Ath Ahmed, sont formées d’anciens combattants de la guerre de Libération, des anciens maquisards du FFS, dont Aït Ahmed était le premier responsable, des personnes qui ont admiré le combat de l’homme dans la brèche d’ouverture démocratique après les événements du 5 octobre 1988, et de tous ceux qui appréciaient à sa juste valeur le défenseur des droits de l’homme en Algérie et dans le monde. Dans ces moments de douleur et de tristesse, les Algériens se rendent compte du grand vide de la culture politique dont souffre le pays, comme ils sentent la nécessité de se rassembler autour d’une idée salvatrice, d’un homme d’engagement et de principes. Le contexte est très difficile. Les Algériens commencent à vivre, en ce début de l’année 2016, les premiers craquements d’un ordre économique désuet, bâti exclusivement sur la rente pétrolière. En risquant de voler en éclat- comme le montre en toute apparence le cours du pétrole, toujours plongé au-dessous de 40 dollars-, la rente fera d’énormes dégâts si elle n’est pas remplacée par un esprit inventif et créatif. Les dégâts ne sont pas à prévoir dans le champ économique. C’est le corps social entier, longtemps tenu sous perfusion, qui subirait un affaiblissement général, y compris sur le plan politique. Car, la rente a nourri, pendant quatre décennies, des clientèles de tous bords, a constitué des castes de privilégiés et a bouté hors champs les valeurs du travail et l’honnêteté.

Donc, nécessairement, il y a eu perversion du champ politique, lequel s’est artificiellement constitué sur la base de clientèles et de rapprochement du cercle de la rente.

L’homme que vient de perdre l’Algérie est le contre-exemple de ce système politique. Depuis qu’il a activé au sein de l’assemblée constituante jusqu’aux derniers moments de sa vie, il a lutté pour l’ouverture du champ politique sans aucune restriction, la protection des droits de l’homme et la justice sociale.

L’accès au pouvoir ne doit pas constituer une obsession maladive qui fasse table rase des principes et des valeurs morales. C’est ce que soutenait Aït Ahmed. Et puis, comme il le dira dans un entretien radiophonique au début des années 1990, « être responsable d’un parti, diriger des structures et des hommes, n’est-ce pas que nous sommes déjà en plein pouvoir »?

Il savait de quoi il parlait, lui qui a dirigé un parti, le FFS, avec toutes les dures péripéties qui l’on jalonné depuis sa fondation, le 29 septembre 1963. Quelle histoire tourmentée, quels périples cahoteux et quels moments exaltants par lesquels est passé le plus vieux parti d’opposition en Algérie ! Dans son opposition farouche à tous les régimes qui se sont succédé depuis l’Indépendance, Hocine Aït Ahmed n’avait assurément pas omis cette hypothèse de la fatalité biologique : on peut bien mourir dans l’opposition. Et il en fut ainsi.

Avec la stature d’une personnalité nationale, de démocrate impénitent, doublée de l’épithète d’ « historique », certains voyaient dans cette fidélité au seul parti qu’il a eu à diriger depuis 1963, un « manque d’ambition ». Et pourtant, tous les actes et toutes les paroles d’Aït Ahmed ont eu pour objectifs l’Algérie et les Algériens. Devant tous les ostracismes et toutes les manipulations- visant à restreindre son influence et son aura à la seule Kabylie- Aït Ahmed n’a jamais cédé à la fatalité et se positionnait toujours par rapport à ce grand ensemble national qui est censé trouver son prolongement géostratégique dans la formation d’une entité maghrébine.

Homme d’action et de réflexion, Aït Ahmed était aussi respecté par ses pairs pour sa culture étendue. Il est l’un des rares intellectuels de la révolution. Le rapport qu’il a présenté en 1948 au comité central du MTLD, à l’âge de 22 ans, témoigne d’un niveau rarement présent en ce moment-là dans le mouvement national. Toute la suite de son parcours confirmera ce double ancrage: action et réflexion.

Des hommes de la stature Aït Ahmed, l’Algérie en a besoin dans ces moments de grandes interrogations où l’élite politique issue de la guerre de Libération est en train de se retirer de la scène. Le renouvellement du personnel politique ne se fait, malheureusement, pas dans un contexte de sérénité et de transmission régulière de responsabilités. La culture politique a même connu une descente aux enfers au cours de ces derniers mois, où les problèmes se sont focalisés plutôt sur des personnes, avec le langage médiocre, parfois frivole, qui va avec.

L’unanimité dont a bénéficié la personnalité d’Aït Ahmed au cours des hommages qui lui sont rendus par les courants et les personnalités de tous bords, pourra-t-il servir de tremplin pour un nouveau départ dans les pratiques politiques et la diffusion de la culture politique y afférente ?

Amar Naït Messaoud

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