"Une victoire tellement attendue"

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L'ancien animateur du mouvement berbère et ancien cadre du FFS, Saïd Khelil, dit qu'il veut avant tout « bien savourer cette officialisation et éviter de penser à des considérations autres, pour ne pas risquer de diminuer de ce bonheur ».

La Dépêche de Kabylie: Votre première réaction à l’annonce du projet d’officialisation de Tamazight dans la prochaine constitution ?

Saïd Khelil: Elle ne peut être que celle de joie et de bonheur. Au delà de toute considération, je ne veux pas gâcher cette joie et ce bonheur. On a tellement attendu, tellement espéré que je ne veux pas qu’il y ait la moindre tache dans le bonheur d’aujourd’hui. Ensuite on verra pour le reste.

Bien des spéculations ont précédé cette annonce. Constitue-t-elle une surprise pour vous?

Chez moi franchement c’était un pressentiment partagé. Je peux dire que je m’y attendais, même si le contraire ne m’aurait pas étonné non plus. Mais vu la conjoncture qui est favorable à une telle consécration, j’avais franchement bon espoir. Car il est inconcevable pour moi de plaider ou d’agir dans le sillage des changements démocratiques sans accorder la place qui est sienne à Tamazight. La démarche était incontournable même, je dirais.

Vous considérez donc que c’est là une suite logique des grandes décisions prises par le Président ces derniers temps et désignées par certaines voix qui lui sont proches dans le sillage de la consolidation démocratique dans le pays?

Ecoutez, je ne veux vraiment pas entrer dans ces considérations, je dis simplement que quelle que soit l’évolution de ce pays, cette reconnaissance était inévitable. Cette année ou dans dix ou vingt ans, mais ça devait arriver un jour. Et nous concernant, nous n’avons jamais renoncé. Le calendrier a voulu qu’elle coïncide avec la disparition de Hocine Aït Ahmed dont le parti, le FFS, portait cette revendication dans son programme depuis le fameux groupe des étudiants des années soixante-dix. Je dirai donc que c’est avant tout un long combat qui est d’ailleurs antérieur à cette date et on ne va pas refaire aujourd’hui l’Histoire depuis nos aînés du mouvement national jusqu’aux jeunes générations de nos jours qui ont successivement repris le flambeau. Et au risque de me répéter, aujourd’hui je veux bien qu’on se contente de savourer ce bonheur, cet acquis, et éviter de rentrer dans des considérations autres qui pourraient contrarier notre joie car on la veut vraiment complète.

Sinon vous voyez comment l’évolution de Tamazight dans le futur?

Son officialisation suppose que les moyens de l’Etat seront à la disposition de cette langue.

C’est à dire ?

Il y a déjà cette académie qui sera mise en place prochainement. Après, cela veut dire que comme on a mis tous les moyens et la volonté politique pour la langue arabe, il n’y a désormais plus de raison pour que la langue amazighe ne jouisse pas de l’attention qu’on lui doit dans son pays natal et je dirais même ancestral. Le temps est désormais à l’accompagnement de cette langue car nous connaissons tous les lourdeurs bureaucratiques et les lourdeurs décisionnelles dans notre pays. Il faut mobiliser les moyens nécessaires et les dispositions institutionnelles pour permettre l’épanouissement de cette langue et son unification. Il y a beaucoup de travail qui doit suivre à l’avenir, mais je pense que l’essentiel est qu’aujourd’hui on soit parvenu à la levée de cet écueil politique.

Des appréhensions peut-être toutefois sur le futur ? Vous ne redoutez pas que cette officialité ne se limite à une décision d’effet d’annonce quand on voit l’acheminement de la langue après plusieurs années de sa consécration langue nationale?

Soyons tout d’abord contents, au moins un jour, et savourons comme il se doit cette victoire. Mais sinon c’est sûr que le combat continue, et nous ne devrions pas dormir sur nos lauriers. Nous suivrons les avancées d’un regard attentif. On voit ce qui se passe au Maroc où elle est également officielle et ce n’est pas pour autant qu’elle a fait des percées. C’est pour cela que je dirai que c’est avant tout à nous, qui avons Tamazight dans le cœur, de continuer à le porter. Avec ce grand acquis d’aujourd’hui qui fait qu’on ne pourra plus jamais nous dire, dans une administration, une école ou un tribunal, que cette langue n’a pas le droit de cité. Désormais, à nous de l’imposer partout.

Juste un détail M. Khelil, vous parlez comme si Tamazight est déjà langue officielle, or, on n’est que face à un avant projet…

Je suis d’accord mais elle ne peut que l’être après l’adoption de cette nouvelle constitution. Ce sera une formalité on connaît le fonctionnement du système.

Entretien réalisé par Djaffar Chilab.

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