Qu’il s’agisse du débat sur la révision de la Constitution ou sur la cohésion de l’équipe gouvernementale, le chef du FLN fait visiblement cavalier seul et tente de se placer au-devant de la scène comme maître du jeu incontestable. Cela fait, en effet, des mois que Abdelaziz Belkhadem, qui peine à contenir une crise de plus en plus perceptible à l’intérieur de son parti, veut recentrer le débat autour de la lancinante question de la révision constitutionnelle, en touchant le nœud du sujet, à savoir la définition du régime politique dans notre pays. Il ne s’agit certainement pas d’une première, puisque le Président Bouteflika lui-même a émis le vœu, dès son accession au pouvoir en 1999, de revoir la loi fondamentale sans que cela ne soit mis en œuvre. Tout au long de son premier mandat, Abdelaziz Bouteflika avait affiché, à maintes reprises, son hostilité à la Constitution de septembre 1996. Il avait axé ses critiques notamment sur la nature du régime qu’il souhaite présidentiel. Mais lors de la campagne pour la présidentielle de 2004, Bouteflika avait indiqué, lors d’une prestation télévisée, qu’il n’avait pas touché la loi fondamentale parce qu’il « n’avait pas le temps ».C’est justement autour de cette philosophie qu’est axé le débat que veut proposer le secrétaire général de l’ancien parti unique, sans réussir à faire adhérer les autres forces politiques, y compris au sein de l’Alliance présidentielle, qui jugent que le débat sur cette question est « prématuré » et que la population a « d’autres problèmes plus importants que cela », pour reprendre le secrétaire général du RND, Ahmed Ouyahia. Le FLN de Abdelaziz Belkhadem ne s’est pas limité à la proposition du débat. Il est passé à l’acte à travers la mise en place d’une commission de réflexion composée de « cadres et de personnalités ». Le premier responsable de ce parti a justifié son geste par le fait que le FLN « doit être prêt » à toute éventualité. « Le parti doit être à l’affût », disait Amar Tou, le président de la commission, sans omettre de préciser qu’il « revient au président de la République de décider ou non d’une révision constitutionnelle ».
Plus royaliste que le roiSi la synthèse de ce groupe de travail n’est pas encore connue, Belkhadem a déjà donné un avant-goût de la position de son parti sur ce que devra être la nature de pouvoir en Algérie. Il dit préférer le « régime parlementaire » mais semble opter, pour le moment, pour un régime présidentiel. Il ne cache même pas sa volonté de voir la disposition qui limite le nombre de mandats à deux quinquennats supprimée. Autrement dit, Abdelaziz Bouteflika, qui ne fait apparemment pas de ce dossier sa priorité, pourra briguer un troisième mandat. Si le premier responsable du FLN ne réclame pas publiquement la chefferie du gouvernement, d’autres cadres de son parti, à l’image de Abdelkrim Abada, l’ont fait. C’est justement autour de la révision de la Constitution qu’apparaît la première « confrontation » publique entre le Front de libération nationale et le Rassemblement national démocratique. Le parti de Ahmed Ouyahia avait répondu, par la voix de Seddik Chihab, qui s’était exprimé lors d’un meeting à la salle Ibn Khaldoun d’Alger, que « certains n’arrivent pas à se débarrasser des réflexes du parti unique ». Il ajoutera que « la priorité pour les Algériens est d’abord l’emploi et le pouvoir d’achat ». Ce premier accroc avait fait dire à la presse et aux observateurs politiques que l’Alliance présidentielle allait éclater. Même Ahmed Ouyahia, secrétaire général du RND, s’est mêlé personnellement à ce débat en soutenant que la révision de la Constitution n’est pas urgente pour le moment.Ni les réunions entre les trois chefs de l’Alliance présidentielle ni les déclarations rassurantes des uns et des autres sur « la bonne santé » du pôle politique qui s’est formé autour de Bouteflika, rien, absolument rien, n’a pu arrêter les divergences, parfois exprimées de manière violente, entre les responsables des trois partis. Lors de la campagne référendaire sur la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, chacun des trois chefs était allé prêcher un discours parfois contradictoire avec ses pairs. Au moment où Ouyahia tenait un discours presque éradicateur, Belkhadem et Soltani, qui semble jouer les seconds rôles, avait tenté de courtiser les résidus de l’ex-Fis en clamant qu’il y aura « une autre étape » dans le processus de réconciliation. Les divergences étaient tellement flagrantes qu’elles avaient atteint même la cohésion du gouvernement.
Rivalités de leadership entre coalisésPour calmer le jeu, les trois leaders, au niveau desquels est stagnée l’alliance, ont tenté de minimiser leurs querelles en retenant « l’autonomie » de chacun des partis. Lors d’une réunion au siège du RND, qui avait récupéré la présidence du triumvirat, au mois de novembre dernier, Ouyahia et ses camarades avaient bonnement expédié du débat la question de la révision constitutionnelle. Mieux, reconnaissant implicitement leurs désaccords, les trois chefs avaient opté pour le principe de mener « une campagne propre » lors des élections partielles du 24 novembre en Kabylie. C’était une manière, comme une autre, de se prémunir d’un autre échec que celui de la campagne référendaire.Après une accalmie qui n’aura duré que quelques jours, la tension a vite réapparu lors de la maladie du président de la République. Ne voyant pas d’un bon œil le fait de laisser le levier de la communication entre les seules mains de Ahmed Ouyahia, les deux autres chefs de parti ont vite fait d’imaginer une manière de rester sur la scène politique en convoquant leurs instances respectives pour les « rassurer sur l’état de santé du Président « .Et voilà, encore une fois, un Abdelaziz Belkhadem qui dit le contraire de son chef du gouvernement sur la question de la politique salariale. Au moment où Ouyahia, s’appuyant sur des critères d’ordre économique, juge que la revendication salariale « est illégitime », Belkhadem, gardant le principe de la rente, pense que cette demande « est légitime » tout en prenant le soin de préciser que la question n’est pas « encore discutée au sein du gouvernement ». Cela a poussé certains commentateurs à voir dans l’attitude des deux hommes une « compétition » qui ne dit pas encore son nom, puisque personne n’aborde, du moins publiquement, la question d’une élection présidentielle anticipée. Si Ahmed Ouyahia, certainement absorbé par sa fonction du chef de l’Exécutif, ne s’exprime pas très souvent sur des questions politiques, son rival du FLN, Abdelaziz Belkhadem, ne rate plus aucune occasion pour s’accaparer de la scène politique. S’agit-il d’un chant de sirènes ou d’une tentative de repositionnement ? Rien ne semble exclu, d’autant plus que Belkhadem parle de plus en plus d’un retour en force de son parti.
Ali Boukhlef