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Malika Domrane, ou la femme courage

On la surnomme Tabargazt (femme courage). Elle, c’est Malika Domrane. Cette artiste, l’un des monuments de la chanson kabyle, a vu le jour le 12 Mars 1956, à Tizi Hibel dans la commune d’Aït Mahmoud, wilaya de Tizi-Ouzou. Malika, pour les intimes, est très connue pour son engagement précoce pour la cause Amazighe et la défense des droits de la femme algérienne. Dotée d’une voix puissante et douce, à la fois, elle chante l’amour, les traditions, l’identité Amazighe, le pays, les complaintes, la condition féminine et on passe ! Elle est la seule chanteuse, aux côtés du groupe féminin « Djurdjura », à s’investir dans la chanson contestataire à l’époque de la chape de plomb. Belle et rebelle, Malika Domrane, lycéenne, faisait partie de la chorale du lycée Fadhma n’Soumeur de Tizi-Ouzou. Elle composa, elle-même, son tout premier titre qui s’intitule « Tirga temzi » (rêve d’adolescente). L’artiste participera, dans la foulée, au 1e festival panafricain en 1969, où elle obtint la médaille d’or. Petit à petit, elle « jette » les jalons de ce que sera, plus tard, une carrière artistique hors du commun. « La femme courage » passe à la chaîne II, ce qui fera accélérer les choses pour elle, car, un public large la découvre à travers les ondes de cette immense radio. Cette ascension fulgurante dans le monde de la chanson sera, bien entendu, couronnée par un premier album qu’elle enregistrera, en 1979, en duo avec l’autre artiste de renom: Sofiane. L’album a très bien marché dès le début. Nous citons la chanson « Tsuha », chantée en duo avec Sofiane laquelle a fait un véritable tabac! Et c’est la consécration. Dans cette chanson, Malika faisait allusion au colonel Beauprêtre (prononcé Boubrit en kabyle) qui a commis des massacres lors de la colonisation de Kabylie, vers la moitié du 19 e siècle, en le dénonçant avec véhémence, et en appelant les kabyles à plus de vigilance via des métaphores. Une année après la sortie de son premier album, les événements d’Avril 1980 éclatent. Malika s’y met corps et âme en s’activant: distribution de tract, galas,… ce ne fut guère facile, surtout pour une femme, à cette époque-là où elle a subi des menaces et des intimidations. Deux années plus tard, Malika, toute auréolée de son succès foudroyant, sort son deuxième album aussi explosif que le premier. Dans la chanson culte « Asaṛu », notre vénérable artiste chante la déception de la femme promise à un mariage impossible et pas de toute dans son espérance. Dans le même opus, méticuleusement travaillé elle chante aussi Fkiɣ-ak ṣṣuṛa (L’ombre de mon âme), «Tameṭṭut n baba» (l’enfant et la marâtre), «Taqcict i buren» (la vieille fille) et tant d’autres chansons qui parlent de la condition féminine, de l’amour impossible et d’autres maux sociaux.

Malika et l’exil forcé !

Dans la foulée, la fille de Tizi Hibel, qui est aussi le village de l’autre monstre de la littérature algérienne, en l’occurrence Mouloud Feraoun, a fait des duos avec des artistes de renom à l’instar de Matoub Lounès et Takfarinas. En 1990, elle revient avec deux albums tout aussi percutant l’un que l’autre, où elle reprend un texte de l’excellent poète et dramaturge Mohia, qui parlait des conditions sociales et de la situation politique du pays après l »‘ouverture » démocratique de 1989, où les islamistes ont investi la scène politique. La chanson, qui a fait un véritable tabac aux côtés des autres, s’intitulait « Adella3 » (le couffin! I uḍellaɛ i wumi yekkes lqa/ D-ac as dgen ifassen? (Et à ce couffin sans fond, que peuvent apporter les mains?) s’interroge notre artiste dans cette chanson. La souffrance morale, l’appréhension, l’illusion perdue, sont autant de thèmes abordés dans l’album Ugadeɣ (miroir insolent). Dans le deuxième album Ajeǧǧig (la fleur), Malika aborde, entre autres, « Aḍella3 » (le couffin), la comptine « Zelaɣmani », qui n’est plus jouée de nos jours (dommage!), l’union maudite (Zwaǧ-iw) et Ta3wint u genni (complainte). Les événements chaotiques qu’a connus le pays avec l’avènement du terrorisme, n’ont pas laissé beaucoup de choix à Malika Domrane, qui fut forcé à s’exiler en 1994. Elle souffrit le martyre de l’absence de ses enfants auprès d’elle, en France. L’assassinat de Lounès Matoub, le 25 juin 1998, l’affecta au plus haut point. Au Zénith, à Paris, lors d’un hommage à Matoub, elle déclarera au public : «je m’appelle liberté et je refuse d’obéir, je porte toujours en moi la cicatrice de cette douleur inaltérable. À chaque souvenir de toi Lounès, je ne peux réprimer mes larmes qui coulent comme une source intarissable!». C’était l’hommage de Malika, la femme rebelle, à Lounès, l’homme rebelle. Ne s’arrêtant pas en si bon chemin, l’auteure de l’indétrônable « Tsuha » sort un autre album en 1996: « Nostalgérie ». Cet opus n’avait rien à envier aux albums précédents, tellement Malika en artiste professionnelle émérite, nous surprend toujours avec ses belles mélodies et ses textes raffinés. Fidèle à sa ligne artistique, Malika, en gardienne de la tradition, chante dans cet album: « Tamɣaṛt » (La vieille et sa bru). Dans cette très belle chanson, elle est revenue sur ces « joutes » et chamailleries entre la vielle et sa belle-fille. Elle chantera aussi la fatalité dans « Wagi », la berceuse dans « Tsuha », « Tirga temẓi » (Rêve d’adolescente), « Mezɣenna » et tant d’autres chansons. Depuis, la fille de Tizi Hibel n’a produit aucun album. Cependant, elle n’a jamais quitté la scène artistique en se produisant à plusieurs reprises, et à chaque fois, le public la demande avec insistance, tant la communion et l’émotion étaient toujours à leur comble! Cependant, malgré cette évocation « éclaire » de cette femme courage, considérée comme l’une des héritières de L’la Fadhma n’Soumeur, insoumise et infatigable militante, il nous est impossible de raconter tout le parcours hors du commun de Malika Domrane en quelques lignes!

Syphax Y.

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