Quelles missions pour les médias ?

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Depuis que, au début des années 1990, le monde de la presse algérienne a commencé à consacrer le sens du pluralisme médiatique- malgré le retard de deux décennies qu’aura enregistré l’audiovisuel-, l’appréhension de l’information culturelle, sa place dans l’organe d’information et son traitement ont évolué au fur et à mesure de la multiplication des titres. En évoluant, ces aspects sont nécessairement liés à l’activité culturelle elle-même (production cinématographique, théâtre, musique, chorégraphie, peinture, publication d’ouvrages littéraires,…). En matière d’information culturelle, la presse algérienne a hérité des traditions de quelques journaux ou magazines publics, desquels émerge l’hebdomadaire Algérie-Actualités. Ce dernier, en abritant le fleuron des journalistes de l’époque, dont certains sont des hommes de lettres qui ont touché à la littérature et ont eu des publications (Tahar Djaout, Abdelkrim Djaâd,…), avait conféré à l’actualité culturelle une place de choix, sous le mode de l’information, de l’analyse, de la critique, du reportage et d’interviews. Écrivains, peintres, chanteurs, poètes, sculpteurs, producteurs de cinéma, acteurs et universitaires versés dans le domaine littéraire, ont eu leur place de choix dans l’hebdomadaire dont on peinera aujourd’hui à reproduire l’exemple. Signe des temps, en pleine effervescence et euphorie de la presse privée au début des années 2.000, feu Abdelkrim Djaâd produisit une chronique, dans La Dépêche de Kabylie, dans laquelle il regrettait le temps d’Algérie-Actualités. Depuis lors, il n’y a eu que des expériences fugaces, des élans sporadiques et des efforts sans lendemain. Bien entendu, la nouvelle situation économique du pays, ouverte sur l’entreprise privée, a imposé sa logique commerciale. Un hebdomadaire, avec la seule « manne » de l’Anep n’a pas beaucoup de chances de prospérer et de durer. Pour un mensuel, sous forme de magazine ou revue, l’entreprise est encore plus ardue, voire plus risquée. L’expérience du mensuel Passerelles, édité à Tizi-Ouzou, est là pour le démontrer.

Les limites de l’info culturelle dans les journaux

Bien entendu, avec l’évolution de la société algérienne, d’autres facteurs se greffent pour rendre difficile la mission de produire des journaux ou magazines culturels. Le lectorat lui-même, comme pour le domaine du livre, connaît un recul terrible. Restent les pages cultuelles des quotidiens dont l’animation est assurée par des journalistes « généralistes ». Comme pour les autres rubriques du journal, rares sont les titres qui peuvent se permettre de spécialiser des éléments dans l’information et le traitement de l’actualité culturelle. De son côté la formation universitaire des journalistes n’a pas encore accédé à l’étape de spécialisation afin de former des journalistes spécialisés en environnement, en économie, en information culturelle,… Il demeure cependant vrai, que des volontés ont pu, parfois, enrichir de manière considérable le contenu culturel de certains organes par le seul fait de leur passion et de l’intérêt qu’elles portent au domaine de la culture. L’expérience de notre journal est, à ce propos, assez probante, même si elle demeure perfectible. Au cours de la journée d’études sur « les médias dans le champ culturel », organisée par le ministère de la Culture en octobre dernier, les participants ont relevé l’importance de la formation et de la spécialisation en information culturelle. Le ministre de la Culture, Azeddine Mihoubi, y a mis en exergue le rôle culturel des médias, en évoquant l’information culturelle souvent marginalisée; comme il a insisté sur l’importance d’un « meilleur traitement de l’information culturelle ». À l’occasion de cette rencontre, le ministre a annoncé la prochaine publication de revues culturelles publiques en arabe, à savoir « Thakafate », publiée en marge du 20e Salon international du livre d’Alger (SILA), et « Al Amal » et « Athakafa », qui existaient déjà dans les années 1980. Cependant, cela reste largement insuffisant. Aujourd’hui, l’Algérie ne dispose presque plus d’instance, d’organe ou de tribune versés dans le domaine de la critique littéraire ou cinématographique. Avec une centaine de quotidiens publiés en arabe et en français, l’on a du mal à suivre, à analyser, à faire émerger, à promouvoir et à classer les productions culturelles, qu’elles soient des romans, des recueils de poésie, des films ou des pièces de théâtre. Dans le domaine amazigh, le problème est encore plus complexe. Hormis quelques pages hebdomadaires insérées dans deux quotidiens, dont le nôtre, il n’y a pas de tribune de lecture et d’analyse des œuvres produites en tamazight. C’est là un vide qu’il faudrait combler au plus vite, d’autant plus que le rythme de production dans cette langue s’est accru au cours de ces dernières années.

La culture : parent pauvre des chaînes TV

En dehors de la presse écrite, le sujet s’impose de façon, sans doute, plus prégnante pour le secteur de l’audiovisuel. Le ciel de l’Algérie s’encombre de plus en plus de chaînes satellitaires sans que le produit culturel ait trouvé sa place. Entre le ludique, le sensationnel et l’ersatz de production culturelle, le téléspectateur algérien, déjà mal loti depuis les chamboulements induits par la décennie noire et du fait de la chute vertigineuse du niveau scolaire et universitaire, est « mené en bateau » par les chaînes privées. Lors du séminaire sur la presse culturelle qui s’est tenu dimanche dernier à Ouargla, des spécialistes sciences de la communication en sociologie culturelle, les programmes culturels produits par les chaînes algériennes « ne répondent pas à l’attente du public algérien et ne suscitent pas l’animation de la scène culturelle ». Pour l’universitaire Sakina Abed, « certains programmes sont traités de manière superficielle, en dépit de leur dimension culturelle authentique et profonde, résultat notamment de l’absence d’une élite, d’une méthodologie conséquente, et d’un système d’évaluation. » De son côté Saïd Ayadi, enseignant de sociologie du savoir, a estimé que l’information culturelle « n’est pas une pratique journalistique, mais requiert un certain savoir-faire et une maîtrise de lecture de l’anthropologie culturelle de la société algérienne et des autres communautés ». Il explique que « la responsabilité d’une régression dans le domaine pèse donc entièrement sur les épaules des responsables des chaînes satellitaires algériennes censés baser leur travail sur l’information culturelle et d’être conscients de présenter un produit culturel algérien authentique, devant permettre au citoyen d’acquérir une culture citoyenne positive ».

Amar Nait Messaoud

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