« Je crois que je fais partie, au niveau du Maghreb, de cette génération d’écrivains du désenchantement.» Rachid Mimouni, 1991
Rachid Mimouni était de ces écrivains au long souffle, iconoclaste à l’envie et habité par l’Algérie jusque même dans l’indicible ride. Kateb Yacine vit en lui un auteur d’envergure, à l’image de Yamina Machakra. Il est né à Boudouaou en 1945, dans une famille pauvre. Il fait ses études à Alger et à Montréal, puis devient enseignant en école de commerce dans les années 1970. En 1978 paraît son premier roman, «Le printemps n’en sera que plus beau», où déjà la guerre d’indépendance et la déliquescence de l’Algérie de l’époque sont les thèmes centraux. En effet, Rachid Mimouni consacrera son œuvre à rendre compte du malaise de la société algérienne post coloniale. Il s’attachera dans «Le fleuve détourné» (1982) à montrer comment les nouveaux maîtres du pays ont détourné la libération du peuple algérien et l’authentique révolution à leur profit personnel. Son écriture suscitera l’agacement des corrompus mais aussi d’une partie des Algériens, fiers de cette indépendance âprement gagnée, qu’ils voient ainsi présentée. Obsédé par le problème du pouvoir qui, selon lui, pervertit et écrase, Rachid Mimouni dénoncera les abus du colonialisme tout comme ceux de la nouvelle administration incompétente et l’attitude des tyrans de tous bords : maires autocratiques (comme dans L’honneur de la tribu), policiers brutaux, médecins négligents, commerçants au marché noir, imams sans empathie… Les conséquences pour les Algériens sont terribles : «Tombéza» et «Une peine à vivre» illustrent la vie misérable des Algériens soumis à la famine, à la crise du logement, à la pénurie, à cette vie qui n’est «qu’un vaste tissu de combines, d’arrangements secrets, d’accords tacites, d’ententes plus ou moins louches» et à la fuite des intellectuels, dont certains meurent au cours des années 1990 – «la décennie noire» – comme son ami l’écrivain Tahar Djaout, assassiné en 1993. Rachid Mimouni s’inquiète de la montée de l’intégrisme religieux et en dénonce l’ampleur dans son essai «De la barbarie en général et de l’intégrisme en particulier» (1992). Censuré dans son pays et menacé de mort, il s’installe avec sa famille au Maroc en 1993. Il tiendra pendant deux ans sur la radio Medi 1 une chronique hebdomadaire sur l’actualité politique et la dérive du monde et en tirera son dernier livre, «Chroniques de Tanger». Il meurt d’une hépatite, le 12 février 1995, à l’âge de quarante-neuf ans. En 1996, Jules Roy écrit : «J’espère que ces voyous (du FIS) ne me traiteront pas comme ils l’ont fait du corps de Rachid Mimouni. Le lendemain de son inhumation, m’a dit Rachid Boudjedra, ils l’ont déterré dans la nuit et découpé en morceaux». La nouvelle de sa mort est tombée comme un couperet : l’écrivain Rachid Mimouni décédait à l’hôpital Cochin à Paris d’une hépatite aiguë. Alors que le pays s’enfonçait dans la spirale de la violence et des assassinats d’intellectuels et d’artistes, l’Algérie perdait l’une de ses voix les plus lucides et les plus attachantes. Dans un entretien accordé au milieu des années 80 à l’universitaire Hafid Gafaïti, Rachid Mimouni disait croire « à l’intellectuel comme éveilleur de conscience, comme dépositaire des impératifs humains, comme guetteur vigilant prêt à dénoncer les dangers qui menacent la société ». La reconnaissance viendra avec «Le Fleuve détourné», paru en 1982 à Paris et largement salué par la critique. Fervent lecteur de Kateb Yacine, Dos Passos, Joyce, Kafka et Camus, mais aussi des Sud-Américains Borges, Asturias et García Márquez, l’écrivain s’est imposé avec ce roman où le narrateur, un maquisard qui a perdu la mémoire lors d’un bombardement, retrouve ses esprits et son village après l’indépendance. Officiellement au nombre des martyrs de la guerre de libération, le personnage va s’épuiser à vouloir reconquérir une identité et retrouver les siens dans un pays où il ne reconnaît plus rien. D’abord édité en France, «Le Fleuve détourné» attendra trois ans avant de l’être en Algérie. L’auteur confiait que la police à cette époque enquêtait à son sujet et le convoquait pour l’interroger.
Sensible à la réalité sociale algérienne, Rachid Mimouni s’est constamment attaché à investir le pays réel dont il a pu forcer le trait dans certains livres, comme Tombéza (1984), un roman « volontairement poussé au noir ». Citant Picasso, lorsqu’il déclarait en substance que « l’art n’est pas la vérité mais un mensonge qui permet de l’approcher au plus près… », Mimouni disait croire très fort à ce pouvoir de l’art. « Imagination proliférante, refus d’une esthétique formaliste, notait à son sujet l’universitaire Benamar Mediene, en guise de préface à l’édition algérienne de «L’Honneur de la tribu», Mimouni fait sauter les clôtures, ouvre à l’infini les perspectives de la parole. […] Comme Julien Gracq, ajoute Mediene, Mimouni sait que la littérature et la poésie sont l’esprit de l’histoire. C’est dans l’histoire que Mimouni explore en ses profondeurs, en ses strates de non-dits, pour donner forme et parole aux oubliés, aux silencieux, aux aphasiques, aux muets, aux bègues et aux ombres dans cet univers du temps des morts. » Dans Une peine à vivre (1991), Mimouni s’est efforcé de « montrer l’horreur de la dictature et des systèmes totalitaires ». Entre essai et pamphlet, avec pour point d’orgue les premières élections législatives pluralistes de décembre 1991, De la barbarie en général et de l’intégrisme en particulier (1992) se penche sur le legs de l’Algérie du parti unique et l’imposture des intégristes islamistes. Dans La Malédiction (1993), qui est aussi son dernier roman, les islamistes ont entrepris de prendre le pouvoir et de régenter la vie quotidienne de millions de citoyens pris en otage. Mimouni est parti trop tôt, il n’avait que 49 ans. Il avait laissé en jachère une œuvre monumentale, dont il nous en a donnés une partie considérable de son talent, mais il lui restait à nous en donner davantage. Hélas, la mort ne lui en avait pas laissé le temps de le faire.
Par S. Ait Hamouda
1978 : Le printemps n’en sera que plus beau, SNED
1982 : Le Fleuve détourné Stock
1983 : Une paix à vivre, ENAL
1984 : Tombéza, Stock
1989 : L’Honneur de la tribu, Stock
1990 : La Ceinture de l’ogresse, Stock
1991 : Une peine à vivre, Stock
1992 : De la barbarie en général et de l’intégrisme en particulier, Le Pré au clercs
1993 : La Malédiction, Stock
1995 : Chroniques de Tanger, Stock
Prix littéraires
1990 : Prix de l’Amitié franco-arabe pour L’Honneur de la tribu
1990 : Prix de la critique littéraire : Ruban de la francophonie pour L’Honneur de la tribu
1990 : Prix de littérature-cinéma du festival international du film à Cannes pour L’Honneur de la tribu
1991 : Prix de l’Académie française pour La Ceinture de l’ogresse
1992 : Prix Hassan II des Quatre Jurys pour l’ensemble de l’œuvre
1993 : Prix Albert-Camus pour Une peine à vivre et De la barbarie en général et de l’intégrisme en particulier
1993 : Prix du Levant pour La Malédiction
1994 : Prix Liberté littéraire pour La Malédiction
1995 : Prix spécial Grand Atlas pour l’ensemble de son œuvre
Parmi ses œuvres phares :
ne Paix à vivre, édité en 1983, puis Tombéza, sorti en 1985.
Mais, c’est avec L’Honneur de la tribu, édité en France en 1989, que Mimouni connut la consécration en tant que valeur sûre de la littérature algérienne.
Mimouni avait adopté la posture de l’écrivain « authentique », rompant avec les formes d’écritures utopiques, car puisant de la réalité surtout algérienne, l’essence de ses inspirations.
Rachid Mimouni est lauréat de plusieurs prix littéraires dont notamment le prix de la critique littéraire 1990, le prix de l’amitié franco-arabe 1990 et le prix de la liberté littéraire 1994.
Rachid Mimouni meurt dans sa chambre d’hôpital victime d’une hépatite aigüe le 12 février 1995 à Paris.

