La Dépêche de Kabylie : Commençons par la question classique. Comment voudriez vous présenter Zimu aux lecteurs de La Dépêche de Kabylie ?ll Zimu : Tu as bien fait de poser la question en parlant de Zimu parce que je ne pense pas pouvoir donner une réponse si elle m’était posée sur ma personne (je n’arrive pas à me définir pour me présenter). Je dirais que Zimu pourrait être un de vos amis, ordinaire, qui, en plus d’avoir des défauts, essaye de raconter en chansons ce qu’il pense ou, des fois, ne pense même pas. Il chante parfois bien, souvent faux, il peut vous plaire à vouloir l’approcher et faire de lui un ami, comme il peut vous dégoûter à ne plus jamais écouter sa musique. Zimu est des fois agaçant. Pour ma part, il donne une image de ma personne qui n’est pas toujours la vraie. On se chamaille assez souvent, lui et moi, parce qu’on est différents : si Zimu compose et chante, Mourad ne veut pas qu’on le présente comme un chanteur, si Mourad croit savoir des choses parce qu’il a fait des études, Zimu, lui, il s’en moque … Il faut peut-être que je fasse un travail sur moi-même pour réconcilier ces deux versions. Bon, je ferais mieux de me taire parce que tu es venu interviewer Zimu, je le laisse donc répondre aux autres questions.
Vous évoquez, dans l’une de vos chansons, le chanteur français Renaud comme témoin imaginaire de vos déboires d’artiste, mais vous donnez l’impression que quelque chose de Brel est un peu présent dans votre façon de chanter, et des touches qui rappellent celles de Brassens sont perceptibles entre les fils de votre guitare et je pense particulièrement à l’une de vos chansons « Tiqcicin » (les filles), s’agit–il d’une impression d’auditeur qui me le fait dire ou alors, d’une réelle tendance de Zimu à jeter un pont entre la chanson kabyle et le meilleur de la chanson française ?ll Ooh ! Quelle est longue ta question. Je vais essayer de faire pareil pour ma réponse (rire)… J’évoque Renaud dans mes chansons parce qu’il me plaît, j’aime sa manière d’aborder le texte, j’aime son romantisme maladroit, il y a quelque chose de sincère et d’innocent dans ce qu’il dit. J’ai donc essayé de partager, en kabyle, avec mes amis, tout le plaisir que m’a procuré l’écoute de Renaud. Pour Brassens, il s’est passé la même chose, sauf que j’ai aimé Brassens à travers Ameziane Kezzar. Ameziane a adapté presque la totalité des chansons de Brassens en kabyle. Brel aussi m’inspire, mais, pour l’instant, je n’ai pas vraiment bossé sur un de ses textes (j’ai peut être un peu réfléchi sur Madeleine). Je trouvais la situation d’attendre une personne, toute une vie, assez marrante, mais, je n’ai pas encore trouvé le moyen de m’accaparer ou d’extraire le nectar de cette « fleur chanson ». C’est tout un travail que d’adapter un écrit, on ne traduit pas, on accapare l’âme du texte pour ensuite le « recomposer » ; une sorte de réinvention ou de réécriture du texte.J’ai appris ça à travers les écrits de Mohya et d’Ameziane Kezzar. Je suis toujours au stade de l’apprentissage ; on ne finit jamais d’apprendre dans ce domaine. Ce qui est difficile dans l’adaptation est de s’imprégner de la philosophie d’un texte, de l’idée maîtresse sur laquelle il est composé et d’assimiler son message. Il faut un certain feeling, une certaine sensibilité poétique pour s’imprégner d’un texte pour le recomposer de sorte à se convaincre et convaincre les autres qu’une telle manière de dire les choses est de la poésie. En somme, il faut aimer, comprendre et tomber raide amoureux d’un texte, comme d’une fille, pour l’adapter/l’adopter. Une adaptation réussie est celle où l’adaptateur est suffisamment libre pour dire presque tout ce qui lui passe par la tête, quitte à s’éloigner du texte originel. Une adaptation réussie est celle où l’on ne laisse pas trop de traces, où l’on a du mal à trouver le lien direct (mot à mot) avec le texte originel. Maintenant, concernant, comme tu le dis, « jeter un pont entre la chanson kabyle et le meilleur de la chanson française », on ne le fait pas de façon systématique (du moins pour ma part). Parce qu’un chanteur, comme tout producteur, et dans n’importe quel domaine, n’invente rien. Il démarre toujours de quelque chose, d’un point de référence. De ce fait, ma génération, qui s’est trouvée tournée vers un genre de chanson et de littérature venant d’ailleurs, quand elle s’est mise à produire, à son tour, elle a montré, sans complexes, et surtout par honnêteté intellectuelle, ses influences. A mon avis, à défaut d’avoir des écoles de chant et de musique et de voir émerger une vraie critique artistique dans les médias, la chanson kabyle, étouffée par la redondance, a vraiment besoin d’un nouveau souffle pour ne pas disparaître, et tant mieux si l’adaptation de chansons venues d’ailleurs peut l’oxygéner parce qu’elle est au bord de l’asphyxie.
Un poète semble occuper une place particulière dans votre univers ; vous lui avez rendu un hommage. L’avez-vous côtoyé de près ?ll Merci de n’avoir pas cité son nom. C’est mon droit de chanter ce que je veux, je lui ai donc rendu un « hommage » (à mettre entre guillemets SVP), comme dans la chanson de Muhuc (Mouhouch), chah !… Mais, je sais qu’il nous emmerde tous de là où il est et d’ailleurs, même quand il était parmi nous, il avait pitié de notre ignorance. Hélas, je ne l’ai pas suffisamment connu.
Auriez-vous gardé le souvenir d’un mot qu’il vous aurait adressé de vive voix et qui vous aurait marqué, un mot qui vous semble traduire parfaitement l’esprit du poète ?ll Quand tu l’entends parler pendant 5 minutes, tu te sentiras moins con que 5 minutes avant de l’avoir écouté ; c’est mathématique. Mais je te propose de parler d’autre chose, on parlera de tout ça en privé …
Votre deuxième album comporte une certaine originalité sur le plan thématique, mais aussi sur le plan poétique. Ceci vous confirme déjà dans un style propre à vous. Seriez-vous d’accord si on estimait que vous avez déjà votre propre cachet ?ll Mes amis me disent des fois ce qui ressemble à cela. Farid Abache, l’auteur de « La camisole de gré », me l’a affirmé aussi, dernièrement. Il y aurait une approche du texte qu’on qualifierait de « zimu » « ça c’est du zimu ! », me dit un ami Sofiane). Moi, quand je compose, il m’arrive d’exprimer une idée de trois ou quatre manières différentes, mais je finis par choisir celle qui ne me paraît pas sophistiquée, je le fais involontairement, et je crois que j’arrive de plus en plus à comprendre ce qui est original dans ma manière de composer. Par contre, je ne sais pas si ça va durer parce que je suis toujours en apprentissage et je manque encore de volonté d’aller de l’avant. J’essaye de perfectionner ma technique en profitant au maximum des enseignements d’Ameziane Kezzar. Enfin, en parlant de cachet, pour jouer un peu sur les mots, je suis d’accord, j’ai un cachet, c’est bien, mais lequel ? Celui qui consiste en un médicament ? Ou celui qui désigne un tampon ? Ou celui qui désigne l’argent qu’on remet à Muhuc lorsqu’il termine sa fête sur la benne d’un tracteur ? Je préfère avoir les deux derniers (rire).
Seriez-vous d’accord si on situait votre poésie dans le courant réaliste, un peu comme celle de Chikh El Hesnaoui ?ll On parle de poésie réaliste mais l’art est une abstraction et une métaphore de la réalité. La réalité est complexe. Aucun poème, aussi long soit-il, aucune toile, aussi grande soit-elle, … ne peut rendre compte de la réalité telle qu’elle est vécue par nous. Par exemple, un chagrin d’amour est en réalité dévastateur pour la personne qui l’a vécu, elle n’aimerait pas le revivre encore une fois … mais une chanson qui s’appellerait chagrin d’amour, composée par Si Moh ou Cabrel, sera sans doute une très belle chanson qu’on écouterait aisément des dizaines de fois ! Dans mes chansons j’essaie d’être sincère au sens où je m’amuse à dire les choses dans un langage quotidien (je ne suis ni le premier ni le seul à le faire). Mais, j’essaye aussi de voir clair. Dans la chanson “Yya-d ma ad teddudh”, j’ai trouvé bizarre qu’on chante l’amour dans une société qui ne tolère pas la mixité. J’ai vécu personnellement quelque chose qui m’a conduit à réfléchir ; les chanteurs kabyles, depuis des dizaines d’années, ont tous chanté l’amour alors que la société kabyle ne connaît pas de mixité. La langue berbère n’a même pas sauvegardé un mot authentique pour nommer l’amour, on l’appelle « lemhiba » (un emprunt à la langue arabe) ou « Tayri » (un néologisme imaginé à partir d’une racine targuie righ « vouloir »). Qu’est ce que c’est que ce peuple qui chante l’amour en absence de mixité !? J’ai compris que les Kabyles chantaient en fait l’absence de l’amour. C’est pour ça qu’il y a autant de chansons d’amour ; c’est à défaut de le vivre dans la réalité. On s’amuse à le vivre à travers les chansons … C’est dramatique pour les Kabyles parce qu’ils vivent dans la frustration, mais c’est bien fait pour la poésie parce que toute cette frustration a produit de très beaux textes pleins d’images et de métaphores. C’est un long débat, mais, à mon avis, Cheikh El Hasnaoui n’a pas fait de la chanson réaliste. Il était rêveur dans ses chansons c’est pour cela qu’elles sont éternelles ; le rêve est toujours d’actualité mais la réalité ne cesse pas de changer.
Pourriez-vous nous parler de vos projets ?ll J’écris toujours quand je le peux ; quand j’ai le moral et le temps aussi. Je me prépare pour faire de la scène avec des amis, je veux cesser d’être un chanteur « non pratiquant ». Il y a un ami à moi qui tient une boîte de spectacle et qui veut m’organiser quelques prestations dans des petites salles, des théâtres à Paris. Mais, j’avertis le public que ce sera des chansons qui ne font pas danser, qui ne parlent pas des montagnes et des anciens et qui ne glorifient pas la JSK …. La liste des défauts de mes chansons est longue! Voilà, en plus j’ai déjà commencé à trier les chansons que contiendra le 3ème album que je vais enregistrer cette année avec Rabah Ticilia. Il y a aussi un album collectif auquel je participe avec 3 chansons, un album qui s’intitule “Tifuhanin” (les mauvaises langues!), un album qui sortira prochainement, qui englobera des chansons … je laisse le suspens. Il y aura, en plus de mes chansons, celles de Moh Dako, Mourad Baloul et Rabah Ticilia.
Un message aux artistes et aux amis des artistes…ll Aux « artistes » entre guillemets : Azul, on sera bientôt le 20 avril, c’est le moment d’entrer au studio pour enregistrer quelques chansons sur tamazight, ces chansons marchent bien en avril ! Puis ensuite, aux environs du mois de mai, entamez l’enregistrement du non stop pour cet été, il y aura beaucoup de concurrence, n’oubliez pas d’utiliser la voix « robotique », et n’oubliez pas la chanson sur la JSK, il paraît qu’elle a beaucoup de chances de décrocher un titre cette année. Bon courage ayimazighen! Aux artistes sans guillemets : Bojor Librobros !!!Aux amis des artistes sans guillemets : Ecoutez et faites écouter : Mohand Ouali, Si Moh, Rachid Kan, Ali Amran, Djamel Kaloun, Moh Dako …
Entretien réalisé par Mourad B.
