Un artisan aux mains d’or

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C’est un artisan aux mains d’or. Prolifique, solitaire et peu bavard, Aâmmi Ali Keddache, en dépit de son âge avancé, continue à donner aux brins d’osier, d’olivier sauvage, de lentisque, des formes en un tour de main.

Pour lui, avec des outils simples (un cutter, un tournevis, des tenailles, un petit canif), il peut vous remettre une coupe ou une corbeille dans un laps de temps trop court. C’est dans son échoppe en parpaing (environ quatre mètres carrés) construite en abords de la RN 25 à l’entrée Ouest du chef-lieu d’Aït Yahia Moussa ( 25 kilomètres au sud-ouest du chef-lieu de wilaya de Tizi-Ouzou) que ce septuagénaire passe ses journées à tresser des objets de décoration qui égayeront les salons de luxueuses villas à Alger, à Tizi-Ouzou, à Sétif, à Bordj Bou Arredj et bien sûr des autres villes de l’Algérie. Lorsque nous l’avons approché alors qu’il achevait la dernière corbeille de sa journée d’une série commandée par un grossiste de Sétif de passage, aâmmi Ali n’était guère fatigué parce qu’il exerce ce métier avec amour. Il était même décontracté et ses yeux pétillaient encore. «Il n’y en a plus. Je termine celle-ci et je rentre chez moi», nous répond-il après des salutations et un accueil chaleureux. Sur sa table basse, des objets, notamment des brins d’osier préparés pour l’activité du lendemain, étaient déposés de manière impeccable. Aâmmi Ali aime mettre de l’ordre dans son échoppe. «Vous voyez, je suis vieux. La vue a diminué. Donc, je dois mettre à portée de ma main tout mes outils et les brins», nous dit-il. Avant d’embrasser ce métier, notre interlocuteur nous évoque ses plus belles années de jeunesse passées à la capitale (Alger) alors qu’il était receveur à l’ex RSTA. «Dès le début des années 70, j’étais recruté dans cette société de transport qui embauchait des milliers de personnes notamment des Kabyles. Ah ! C’était la belle époque. En même temps, après mes heures de travail, je vendais des objets que je fabriquais avec du liège. C’était des objets de décoration. J’étais connu dans toutes les ruelles d’Alger de la casbah en passant par Belcourt, la Place des Martyrs, le square, etc.», se rappelle-t-il. Après sa retraite à la fin des années 90, cet ex-receveur de la RSTA reprend son métier d’enfance. «Bon, quand j’étais jeune, je gardais des moutons. Je connais tous les coins et recoins de ces maquis que vous voyez là-bas. Les corbeilles que nous tressions avec du roseau et des brins d’olivier sauvage n’avaient pas les formes que celles que je fabrique aujourd’hui. Les anciennes sont utilisées notamment pour le ramassage des olives et des figues. Mais, celles d’aujourd’hui, elles le sont pour les fêtes de mariage et pour la décoration. En 1996, j’ai décidé de copier en quelque sorte l’une de ces corbeilles que vous voyez. Il m’a fallu beaucoup de temps pour produire des semblables. Mais, aujourd’hui, c’est un jeu d’enfant pour moi. Donnez-moi une heure, je vous remets l’objet que vous me demandez», enchaîne-t-il. Pour les matériaux, aâmmi Ali n’a aucune difficulté pour s’en procurer. «Ecoutez, chaque jour, je fais six kilomètres à pied en aller et retour jusqu’au village (Afir). Je ne prends jamais de fourgon. En plus de cette marche, ô combien bénéfique pour ma santé je taille sur mon chemin la quantité de brins qu’il me faut pour la journée», nous confie-t-il, tout en souriant. Il n’a pas du tout besoin de faire sécher ses matériaux parce que, au contraire, ils sont plus faciles à être maniés et transformés quand ils sont encore verts. «Cela fait maintenant vingt ans que je suis là. Et je ne souhaite pas quitter cette échoppe bien que le poids des années commence à peser sur moi. C’est ici que je me sens à l’aise. Rester au village, même une journée, est pour moi une corvée. Même avec mes clients, je n’aime pas bavarder longtemps. J’aime la solitude», dit-il alors qu’il allait fermer sa «boutique». «Ce que je gagne me suffit à faire vivre ma famille. Vous savez, maintenant, les enfants sont grands. Je n’ai aucun souci, mais je ne peux quand même pas me donner le plaisir d’abandonner ce métier qui me passionne énormément. Laisser cet endroit, c’est partir pour l’au-delà. Quand je déciderai de fermer cet endroit qui m’a tant soulagé durant des années, je préférerai quitter ce bas monde», songe aâmmi Ali. Enfin, cet infatigable artisan puise son imprégnation et sa force dans ce métier que rares sont encore les personnes comme lui qui osent le sauvegarder bien qu’il nourrisse encore des familles. Dans cette région, faudra-t-il le souligner, c’est beaucoup plus la fabrication de la canne qui intéresse même les jeunes. La vannerie, un métier ancestral à sauvegarder.

Amar Ouramdane

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