Mouloud Mammeri revisité à Tizi-Ouzou…

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La commémoration du 27e anniversaire de la disparition du professeur Mouloud Mammeri, homme de lettres, ethnologue et anthropologue, a eu lieu, hier, à la Maison de la culture qui porte son nom, à Tizi-Ouzou, avec un thème générique évocateur des travaux consacrés au Gourara par l’auteur de « La colline oubliée », en l’occurrence « l’explorateur de l’Ahellil du Gourara ».

Pour une fois, l’évocation de Mammeri n’a pas été noyée dans sa monumentalité dans sa fécondité multiple, mais dans ce qui a déterminé sa spécificité d’anthropologue originaire du tiers monde, de façon globale, et de l’Algérie de façon particulière. «L’algérianisation en 1969 du Centre de recherches anthropologiques préhistoriques et ethnologiques va avoir pour effet le développement de la recherche anthropologique, qui acquiert une importance et, à un moment donné supérieur à celle de l’histoire et à celle de la préhistoire, quantitativement réduite à sa plus simple expression par le départ de la quasi-totalité des chercheurs français. Les chercheurs algériens se sont, dès lors, trouvés confrontés à la nécessité de définir le sens et les conditions de leur activité dans le contexte d’une société algérienne, non plus objet soumis au regard et au jugement de l’autre, mais sujet qui cherche à prendre la conscience la plus juste de soi». (in Culture savante culture vécue, ed Tala 1991 pp 214 – 215). Pour ce qui est de l’Ahellil du Gourara, Mammeri en donne la définition anthropologique suivante : L’ahellil se présente comme un corpus de poésie Zénète. Les poèmes sont chantés collectivement et accompagnés d’une danse très lente en cercle. M. Mammeri qui a recueilli et publié cette poésie, définit ainsi l’Ahellil : «Manifestation à la fois musicale, littéraire et chorégraphique célébrée comme un spectacle profane en même temps qu’une cérémonie quasi religieuse. D’emblée, Mammeri situe l’Ahellil dans les deux registres, à la fois profane et religieux. Etudiant cette ambivalence, il passe en revue les éléments constitutifs de chacune des deux formes. Pour l’aspect religieux, il évoque, tour à tour, la signification attribuée au terme d’Ahellil par les groupes berbérophones du Moyen-Atlas, de l’Ahaggar et de Kabylie : partout la connotation religieuse est attestée et renvoie au fait de chanter les louanges du seigneur. Passant à l’étude du corpus, Mammeri montre que les thèmes religieux occupent une place importante dans l’Ahellil. On s’y adresse à Dieu, au Prophète, aux grands saints de l’Islam, comme aux nombreux wali du Gourara. Il distingue trois formes d’évocation du religieux renvoyant à l’orthodoxie musulmane, à l’enseignement mystique et à “l’expression d’une éthique islamique”. Quant à l’aspect profane de l’Ahellil, il apparaît d’abord au vu de deux interdits : les tolba ainsi que tous ceux qui fréquentent les écoles coraniques ne se rendent, en principe, pas à l’Ahellil ; d’autre part, les personnes ayant des relations de parenté rapprochées évitent de se retrouver à une même “séance”. Le côté profane est aussi marqué par la mixité qui prévalait encore récemment. (…) Dans le détail des textes à titre religieux, les vers où s’expriment des amours très terrestres sont nombreux et souvent bien venus. Ceci pose un problème difficilement soluble. Dans le même passage, on passe d’un thème religieux à un autre profane sans transition ni lien apparent». En fait, Mouloud Mammeri qui à entrepris ces recherches sur l’Ahellil du Gourara au début des années soixante dix, en récence deux : «Les similitudes entre l’Ahellil et le genre voisin de la «Tagerrabt», lesquels sont telles qu’une étude de l’un serait incomplète sans l’étude de l’autre, au moins sur certains points. La distinction est en tout cas nette, à la fois dans la réalisation de chacun des deux genres et la conscience des individus. L’Ahellil a un caractère plus solennel ; il s’exécute debout, le plus souvent dans un lieu public, souvent à l’occasion de fêtes religieuses. La «Tagerrabt», plus intime, est célébrée à l’intérieur à l’occasion des fêtes domestiques. Les exécutants sont assis. À part cela, airs et textes sont souvent- mais pas toujours – les mêmes.» (Op cité p 59). D’ailleurs, dans un document filmé et consacré au maître de cérémonie et guide gourari Moulay Sedik Slimane, ce dernier parlant du chercheur, disait que Mouloud Mammeri «assistait le matin au rituel et le soir, on lui décryptait les poèmes et les chants de l’Ahellil». Aujourd’hui que l’Ahellil du Gourara est classé patrimoine immatériel de l’humanité par l’UNESCO en 2009, il faudra certainement savoir gré à l’apport de Mouloud Mammeri qui en a été l’élément nodal qui a rendu possible la reconnaissance universelle de ce patrimoine. Cela écrit, il faut tout autant savoir que la fécondité intellectuelle de ce professeur ne s’est pas arrêtée à défricher, dépoussiérer ce qu’enfermait le Gourara, mais ses travaux sur le Tidikilt, le Kel Ahhaggar, le Kel Ajjer auquel il a offert «non-plus un statut de ruines mais un statut de vie», comme le dira, à juste titre, l’anthropologue et non moins modérateur des conférences tenues dans la matinée d’hier à la petite salle de la maison de la culture Mouloud Mammeri.

Sadek A.H.

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