… Et à Béjaïa

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En ce vingt-septième anniversaire de la mort de Da L’Mouloud, la Maison de la culture Taos Amrouche de Béjaïa a tenu à rendre hommage au pionnier de la lutte pour la reconnaissance de l’identité amazighe en Algérie. C’est Fatima Malika Boukhellou, enseignante à l’université de Tizi-Ouzou, qui a donné avant-hier, une conférence intitulée «Œuvres et parcours d’un intellectuel atypique». L’oratrice a rédigé une thèse de six cents pages, consacrée à la vie de Mouloud Mammeri. C’est, donc, en connaissance parfaite du sujet qu’elle est venue présenter sa communication. D’emblée, l’oratrice a tenu à mettre les choses en place. Le premier élément qui a fait que Da L’Mouloud soit si atypique, c’était sa précocité. Il avait pris conscience du fait amazigh, alors qu’il sortait à peine de l’adolescence. Dès la fin de la deuxième guerre mondiale, alors qu’il avait à peine vingt ans, Mouloud Mammeri a publié un article fondateur sur la société berbère. Puis en 1952, il publie son premier roman intitulé «La colline oubliée». C’était deux ans avant le déclenchement de la guerre de libération nationale. Il était incroyable de lucidité. Et cela n’a pas fait plaisir à tout le monde. Deux intellectuels algériens vont réagir en le critiquant vertement. D’abord, il y eut Mostefa Lacheraf, puis Mohand Cherif Sahli. Il n’y a pas de doute que le roman de Mammeri a bousculé l’intelligentsia de l’époque, avec des idées novatrices et une incroyable anticipation des faits historiques qui allaient se produire. Cela a été une sorte de perche que les critiques lui ont tendu bien malgré eux. Dans le roman suivant, «Le sommeil du juste», il rappelle à ses lecteurs que jamais il n’avait sympathisé avec la France coloniale ni même avec son école qu’il trouvait «mystificatrice et aliénante». En 1954, il prend sa plume pour défendre la Révolution algérienne en marche et il dénonce les exactions commises par l’armée coloniale. Durant la Bataille d’Alger en 1957, il écrit une pièce de théâtre, mais la police française l’apprend bien vite. Il est obligé de détruire son texte et d’aller s’exiler au Maroc pour continuer son combat pour la libération de l’Algérie. Il racontera cette histoire dans «L’Opium et la bâton». Il restera au Maroc jusqu’à l’indépendance de l’Algérie. En rentrant au pays, il enseigna à l’université d’Alger où il assurait le module d’Ethnologie. Ladite université avait fermé le département d’enseignement de tamazight. Mouloud Mammeri s’attellera alors à travailler pour la résurrection de la graphie berbère afin de donner un support écrit à une culture orale. Il dira plus tard qu’il n’est venu à l’anthropologie que sur le tard. Il fut alors nommé directeur du CRAPE, qui était un Centre de Recherches Anthropologiques, Préhistoriques et Ethnographiques. Il devient aussi le premier président de l’Union des écrivains Algériens, mais finira par démissionner. Pour lui, un intellectuel ne doit pas être au service du pouvoir quel qu’il soit, mais de sa conscience et de son art. Mouloud Mammeri se met alors à la recherche des poèmes berbères anciens, pour les recueillir et les formaliser dans une publication. C’est ainsi qu’il fera connaître, par exemple, Si Mohand Ou M’Hand. En Avril 1980, il est programmé pour une conférence à l’université de Tizi-Ouzou. Mais elle a été déprogrammée par le pouvoir, mettant le feu aux poudres et donnant naissance à ce qui a été appelé depuis, le Printemps berbère. Après l’intervention de Fatima Malika Boukhellou, le débat a été ouvert et quelques intellectuels locaux ont pu ainsi s’exprimer sur le sujet. L’un d’eux a affirmé en écho à une déclaration de l’oratrice, que Mouloud Mammeri n’était pas un Amusnaw, mais l’Amusnaw par excellence. La conférencière a ajouté que Da L’Mouloud avait de tout temps adopté une position critique sur les berbères. Ses recherches et publications avaient pour vocation de bousculer et de faire bouger les berbères, pas de les caresser dans le sens du poil. D’ailleurs, a-t-elle ajouté toutes les civilisations du monde se définissent un idéal et font tout pour l’atteindre. Les Berbères se sont créés le leur et son restés dedans, sans chercher à en sortir en quête de quelque chose de meilleur. La conférence s’est déroulée dans une atmosphère bon-enfant. Sans polémique ni désaccords important entre les débatteurs, la rendant ainsi quelque peu monotone. Il n’y avait pas de passion, et l’assistance qui n’a pas été si nombreuse que ça n’a pas été accrochée par l’oratrice. Non pas que le thème ne fut pas intéressant, mais la communication elle-même n’a rien apporté de nouveau au public constitué essentiellement de connaisseurs venus dans l’espoir de trouver quelque chose d’inédit concernant ce pionnier du combat berbère contemporain. Certainement, l’heure à laquelle la conférence a été programmée n’a pas permis de remplir la salle. Ce n’est que vers la fin de ladite conférence que la salle s’est remplie. Les problèmes de transports dans la ville de Béjaïa y sont aussi certainement pour quelque chose. Par ailleurs, il est à déplorer que pour rendre hommage à ce géant de la revendication berbère contemporaine, aucune autre initiative ne semble avoir été prise à Béjaïa. Les différents départements de langues et culture de l’université ont-ils organisé quelque chose ? Les différentes structures scientifiques et culturelles, les associations et les différents collectifs n’ont-ils pas eu à cœur de rendre hommage à Da L’Mouloud ? Il aura fallu que la Maison de la culture fasse appel à l’université de Tizi-Ouzou pour organiser une conférence et présenter une pièce de théâtre au public Bédjaoui qui, pourtant, ne manque ni de compétences ni de talents. Dans quelque jours, l’occasion se présentera aussi pour la commémoration de l’anniversaire de l’assassinat d’un autre Mouloud, Feraoun celui-là. Béjaïa aura-t-elle un sursaut d’orgueil et de fierté pour se montrer à la hauteur de ce géant de la littérature et du théâtre algérien ? Heureusement que Walid Bouchebbah et sa troupe travaillent depuis des mois sur une pièce intitulée «Divorce sans mariage», et extraite du «Journal» de Mouloud Feraoun. Cette pièce devra être présentée l’été prochain au Festival d’Avignon en France, par cette troupe qui n’a aucun moyen. Les autorités politiques et culturelles de Béjaïa et du Gouvernement prendront-elles l’initiative de leur donner un cachet conséquent pour prendre en charge les frais relatifs à leur voyage ? N’est-il pas temps que notre région sorte de la léthargie culturelle actuelle et se mette au diapason de ce qui se passe ailleurs ? La monotonie, le vide culturel semblent emboiter le pas à la création artistique et culturelle, dont nous ont habitués les génies de Bougie. Verra-t-on un réveil dans les prochains jours et semaines ?

N. Si Yani

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