La politesse dans toutes ses démensions

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En abordant un thème si cher à bon nombre de sociologues et philosophes, la politesse constitue l’épine dorsale du travail que s’est attelée à mettre à la disposition des lecteurs Bahia Amellal.

Cette notion de politesse se veut de mettre l’égoïsme à distance et court-circuiter la violence par le respect. Tant que ce n’est que politesse, l’égoïsme reste pourtant inentamé ; le respect, presque toujours, n’est que feint. Peu importe. La violence n’en est pas moins évitée, ou plutôt elle ne l’est que mieux. C’est dire, sur la politesse, l’essentiel qu’elle n’est que l’apparence d’une vertu, pour cela aussi socialement nécessaire qu’individuellement insuffisante. L’auteure de «La ruche de Kabylie» et «Dans le giron d’une montagne» s’attaque dans son troisième ouvrage à un socle des rapports humains, notamment en Kabylie, la politesse. Cet essai, «La politesse en Kabylie» sillonne les méandres des rapports sociétaux dans une région qui a de tout temps accordé une attention particulière aux usages de la parole. Le mot, contrairement à ce qu’on croit souvent, ne vient pas du grec polis (la Cité) mais du latin politus (lisse, propre, ce qu’on a pris le temps de polir). Aussi la politesse a-t elle moins à voir avec la politique qu’avec une certaine façon de se frotter les uns aux autres : c’est l’art de vivre ensemble, mais en soignant les apparences plutôt que les rapports de forces, en multipliant les parades plutôt que les compromis, enfin en surmontant l’égoïsme par les manières plutôt que par le droit ou la justice.

Paru aux éditions Tafat, ce nouveau-né est le fruit d’une longue réflexion et d’un travail de longue haleine pour lequel l’auteure a minutieusement glané au fil du temps, un ensemble non négligeable de formules ayant trait à la politesse. Les règles de bienséance, les habitudes élégantes qui régissent le langage dans notre société tendent à disparaître. À tout homme la politesse impose des règles de convenance qu’il lui faut apprendre et qui, comme disent les sociologues, dépendent de son statut. Et il devient presque démodé suranné dépassé (on dit de nos jours ‘périmé’) et par conséquent malaisé d’observer encore certaines formes qui semblent être d’un autre âge. On ne sait plus rendre les politesses en employant ces paroles délicates qui faisaient une conversation agréable, légère et ces formules qui rehaussent sa propre valeur tout en étant un hommage implicite à l’interlocuteur.C’est dans cette optique que s’inscrit le nouvel ouvrage de Bahia Amellal, et ce, en remettant au goût du jour toute l’étendue de la politesse dans la société kabyle. L’intérêt de la notion de politesse ne tient pas seulement aux perspectives qu’elle ouvre sur le système des relations sociales, auquel elle donne un sens par le jeu des ressemblances et des différences qu’elle soutient avec ses voisines. Ces règles conventionnelles transcendent les relations humaines pour leur donner un cachet de réciprocité entre les individus. Au fil des pages que nous propose l’auteure, un lien commun ressort en leitmotiv, à savoir la déférence et la bienséance qui sont hissées au firmament des rapports sociétaux. Les 201 pages évoquent élogieusement l’aménité dans la société kabyle. L’auteure nous invite tout au long de l’ouvrage à découvrir des formules en usage et en état d’évanescence. Scindée en deux parties, l’œuvre de Bahia Amellal invite le lecteur à se délecter d’une ribambelle de formules de politesse, pour lesquelles nos ancêtres n’ont de cesse peaufiné au fil du temps. Le montagnard et la conquête française, l’éducation campagnarde, la politesse dans le verbe, la politesse dans le comportent et le geste, la politesse et le cérémonial… Autant de thèmes qu’a abordés l’auteure dans ce dernier opus qui sera forcément d’un grand apport pour les amateurs du bon verbe. Les louanges à la nature : tazemmurt-imtuger lhebb affriwen (il y a plus d’olives que de feuilles), respect aux vieux : axxam urnesi tamghart, amwurti ur nesi tadekwart (un foyer sans vieille est comme un verger sans figuier mâle)… la femme de lettres qu’est Bahia Amellal, nous offre une palette de formules dont certaines sont presque vouées à l’évanescence. Mais, cet ouvrage se veut de pérenniser et rappeler aux Kabyles l’importance de veiller à garder jalousement cet héritage verbal. C’est ainsi que les enfants ont une chance de devenir vertueux, en imitant les vertus qu’ils n’ont pas encore. Et que les adultes peuvent se faire pardonner de l’être si peu.

Cette grammaire de la vie intersubjective, que s’est attelée l’écrivaine à nous proposer, s’érige comme une vertu indéfectible pour toute société jalouse de garder ce lien ombilical aux formules de politesse.

Bachir Djaider

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