L’Université algérienne vit des remous si répétitifs et si prolongés dans le temps, qu’ils prennent l’allure d’une crise chronique. Si l’on a l’impression que tout a été dit sur cette crise, ce n’est, en fin de compte, qu’une… impression. Elle est surtout nourrie par une certaine « hyperactivité » médiatique liée spécialement à ce sujet, sans qu’elle ait pris la dimension de débats ou de conférences nationales impliquant tous les acteurs. Au plus, rencontre-t-on des contributions d’enseignants universitaires sur les pages de journaux, sans qu’elles évoluent en un débat contradictoire et fructueux. Du côté des étudiants et de leurs parents, on demeure assommé par le nombre et la longueur des grèves, par les dérèglements pédagogiques afférents aux examens et aux concours d’accès à des niveaux supérieurs (master, doctorat). On en est arrivé parfois jusqu’à ignorer le pourquoi d’une grève. Certains amphis sont devenus une sorte de fête foraine, voyant entrer et sortir des étudiants qui cherchent à se renseigner sur la fin de la grève des enseignants. Parfois encore, ce sont les étudiants qui décident anarchiquement d’un arrêt de cours, à tort ou à raison. La prédominance des revendications sociales, aussi bien chez les étudiants que chez les enseignants (transport, restauration, chambre universitaire, logements de fonction pour les enseignants, primes, avancements dans la carrière,…), a longtemps relégué au second plan la pédagogie, le contenu des programmes et la performance de la formation universitaire. Signe des temps, même si des critiques visant le nouveau système LMD ont été formulées au tout début de la mise en route de ce système, elles n’ont pu s’imposer face à la vague de protestations de nature purement « sociale ». Ces dernières ont largement fait écran à un débat serein sur la pédagogie, le contenu des programmes et la docimologie (la méthode d’évaluation par les examens périodiques ou de fin de cycle). Autrement dit, l’affirmation du recteur de l’Université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou, Said Ouardane, «notre vision de l’Université est centrée sur l’étudiant auquel il faut garantir une formation de qualité à travers une prise en charge pédagogique efficiente», lancée jeudi dernier, n’avait pas pu trouver, jusqu’ici, sa place dans ce capharnaüm général dans lequel est engluée l’Université algérienne de manière générale. Pourtant, un tel idéal, tout le monde a intérêt à ce qu’il se transforme en réalité quotidienne. La nouvelle étape qu’entame l’Algérie, avec le tarissement de la rente pétrolière, interpelle l’élite universitaire du pays, sans doute avec plus de force et de sollicitation que n’importe quelle autre institution ou frange de la société. L’on ne peut plus se permettre de continuer à former des « contingents » de chômeurs en puissance, de « quémandeurs » de pré-emploi ou de demandeurs d’asile ou harragas. Une récente étude, menée à l’EHESS de Paris par la sociologue Rima Othmani, vient de révéler que 36 % de harragas algériens sont des diplômés de l’Université. «Ce sont des diplômés et des travailleurs qualifiés, âgés entre 18 et 30 ans, avec une prédominance d’hommes de la classe moyenne ayant affronté un marché du travail précaire et, dans une démarche d’autonomie, tentent l’aventure», précise l’auteure de l’étude. Si l’Université algérienne mobilise l’un des budgets les plus colossaux d’Afrique- 312.145.998.000 de dinars, rien que pour le budget de fonctionnement de l’année 2016, outre le budget d’équipement portant sur la réalisation de nouvelles infrastructures- ce n’est certainement pour admettre qu’elle soit classée à la queue du peloton, comme c’est malheureusement la cas actuellement. En janvier dernier, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique a organisé une conférence nationale sur l’évaluation du système LMD ((licence, master et doctorat). Le ministre, Tahar Hadjar, y a reconnu que ce système comportait des « faiblesses » et des « dysfonctionnements », qu’il y a lieu de corriger, a-t-il précisé. Cependant, des enseignants n’ont pas hésité à réclamer le retour au système classique qui, à leur yeux, est porteur de plus de possibilités et de chances d’assurer un bon cursus pédagogique. Si le semblant de débat a été tranché en faveur du maintien du système LMD- avec l’engagement du ministre qui signalait que «le but de cette conférence est de relever les forces et les faiblesses enregistrées sur ce système, afin d’en renforcer les acquis et corriger les dysfonctionnements»-, la grande question qui se pose aujourd’hui avec une acuité inouïe est celle de savoir comment adapter le système d’enseignement universitaire aux grands défis économiques du pays. Comment assurer l’adéquation entre le monde de l’entreprise et la formation universitaire, y compris dans son volet de la recherche ? La diversification économique, tant appelée de leurs vœux par les officiels et les experts, ne peut pas se réaliser sans l’implication de l’Université et des autres structures chargées de la formation de la ressource humaine.
Amar Naït Messaoud