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Par-delà la "journée" et les célébrations

En Algérie, les personnes handicapées célèbrent, dans l’année, deux journées spécifiques à elles: le 14 mars, journée nationale, et le 3 décembre, journée internationale. Ces deux journées sont, à l’évidence, insuffisantes pour rendre compte de la détresse humaine qui frappe cette catégorie de la population qui embrasse toute la pyramide des âges, comme, à fortiori, elles sont loin de pouvoir apporter une réponse adéquate, ciblée et « réparatrice » aux maux qui se matérialisent dans un handicap physique ou mental. Le décalage semble trop large, d’autant plus que le reste de la société n’est pas tout à fait à l’abri du besoin pressant en matière de santé. Quelque part, avec un système de santé désordonné voire bancal,- malgré les milliards de dollars qu’il consomme en budget de fonctionnement et d’équipement- une partie de la population demeure « candidate » au handicap à chaque fois que des soins appropriés ne sont pas apportés au moment voulu à des personnes malades ou accidentées. Incontestablement, s’il y a une catégorie de la société qui est la moins disposée à accepter que deux seules journées de l’année lui soient consacrées sur les trois-cent soixante-cinq jours de l’année, c’est bien celle des handicapés, physiques ou mentaux. Ils ne peuvent s’en consoler dans un pays qui, pendant plus d’une décennie, a engrangé des recettes financières historiques, et qui consacre près de 20 de dollars par an aux transferts sociaux sous diverses formes. La Journée nationale des personnes handicapées peut déployer tous les trésors de l’éloquence et de l’offre de cadeaux en direction de ces populations, elle n’en réglera pas, pour autant, les handicaps et les aléas d’une vie brisée par un accident ou une maladie handicapante.

Paradoxes

Le paradoxe est que notre pays s’enorgueillit d’avoir réalisé les objectifs du Millénaire (fixés pour 2015) en matière de développement humain. Le Conseil national économique et social en a fait largement état au cours de la rencontre qu’il a organisée, la semaine passée. L’Algérie se prépare maintenant pour des ambitions dites « post-objectifs du Millénaire ». Deux millions d’Algériens sont frappés d’un handicap, moteur ou mental. C’est un chiffre qui, datant de plusieurs années, devrait être actualisé. Outre les accidentés de la circulation, le nombre de personnes qui sont affectées d’hémiplégie ou de paraplégie, suite à un accident vasculaire aigu (AVC), est en train de monter en flèche de façon dangereuse. Parmi les mesures primaires, non budgétivores, que les pouvoirs publics sont censés mettre en place en leur direction, ce sont les couloirs et les places adaptés à leurs cas dans leurs mouvements quotidiens. En effet, aucune place spécifiquement aménagée pour les handicapés moteurs, traînant leurs chaises roulantes; ni dans les bureaux de postes ni dans les arrêts de bus ni dans d’autres institutions, y compris, sauf dans de rares cas, dans les milieux les mieux indiqués pour ce genre d’équipements, à savoir les hôpitaux et les polycliniques. Afin de lui faciliter les mouvements et les déplacements, la première insertion dont est supposé bénéficier le handicapé- bien avant l’insertion professionnelle-, c’est bien l’aménagement de son environnement physique selon le type de handicap dont il souffre. Les travers de la prise en charge de cette catégorie de la population ne s’arrêtent malheureusement pas à ce niveau. La pension de 4 500 dinars, dans un contexte d’inflation généralisée et d’austérité budgétaire, est loin de correspondre au cours minimum de la vie. Salima, une jeune fille handicapée devant changer ses chaussures orthopédiques régulièrement (au moins, une fois par an), a souffert le martyre avant que le centre d’appareillage ne daigne prendre en charge les frais des chaussures qui dépassent les 15 000 dinars. Elle n’est pourtant pas née handicapée. C’est une injection mal réalisée dans un centre de santé qui lui a abîmé une paire de nerfs rachidiens innervant la plante du pied. Après plusieurs opérations, l’on s’est rendu compte que la torsion de ses pieds est définitive. Le constat le plus indulgent fait par des personnalités indépendantes et par la presse est que le système national de prise en charge des handicapés est chaotique, se basant sur des opérations de prestige à l’occasion de la journée nationale ou de la journée internationale qui leur sont dédiées.

Des relais de solidarité à établir

Par ailleurs, l’évolution vers un vieillissement progressif de la population-tendance qui s’est dessinée dans le recensement général de la population et de l’habitat de 2008 et dans les derniers chiffres de l’ONS (septembre 2015)- impose une nouvelle réalité. La part de vieux handicapés est de plus en plus importante: handicapés moteurs, suite à l’amputation du pied pour diabète, handicapé visuel, maladie d’Alzheimer, maladie de Parkinson, etc. Le taux de plus en plus élevé de vieux est dû au recul de la natalité et à l’augmentation de l’espérance de vie. D’où de lourdes interrogations qui pèsent sur le système de retraites, de plus en plus soumis à rude épreuve par le départ en retraite anticipée. Devant le départ des enfants vers des « cieux plus cléments », en établissant leur foyer, les vieux handicapés vivent seuls, isolés, soumis au mal qui les ronge, jusqu’à la fin de leurs jours. Cela constitue une honte et un scandale, non seulement aux enfants qui livrent leurs parents à un tel sort, mais également pour l’administration et les services publics qui peinent à étoffer les relais de solidarité. Les images montrées ostensiblement à la télévision, pendant les jours de fêtes religieuses, où des ministres se rendent au chevet de quelques vieux dans certains hospices, ne peuvent guère consoler ni l’opinion ni encore moins les concernés, les vieux handicapés. L’évolution du foyer algérien vers une typologie de famille mononucléaire, affecté par un patent déficit de cohésion et par la volatilisation de la culture de la famille, rend indispensable l’intervention des pouvoirs publics afin de faire valoir les règles de conduite envers les personnes handicapées- vielles ou jeunes- qui fassent honneur aux valeurs de l’humanisme, de la solidarité agissante et des traditions algériennes qu’il y a lieu de réhabiliter et de promouvoir.

Amar Naït Messaoud

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