Mustapha Negache, un personnage aux multiples facettes, un homme multidimensionnel, mais toujours un enfant au regard doux et foudroyant.
Il a connu Kateb Yacine, Issiakhem, Mohamed Zinet, Mohand Saïd Ziad, Sartre, Simone de Beauvoir… ça fait du beau monde et sa suppose qu’on ne s’ennuie pas quand on entre au sérail de ces bonnes gens, surtout lorsqu’on est reconnu par eux. La sensibilité de Mustapha il la puise de ses tréfonds, de ses entrailles et de sa voix éteinte. Il faut l’écouter pour l’entendre et surtout l’aimer. Il est né le 26 juin 1938 à Bougâa, huit ans après le centenaire de la colonisation française et quelques années avant le 8 mai 45 et les massacres qui suivirent la victoire contre le nazisme. Bougâa n’était pas loin de Kherata, encore moins de Setif qui comptait ses morts et ses prisonniers et cela ne fut pas sans incidence sur l’enfant né avec une malformation cardiaque. «Il fut évacué en France. Deux ans plus tard, il revient au pays. Il passe le certificat d’études. Un diplôme fort en ce temps. 1953, la famine taraude les ventres, jette les premiers Algériens vers l’exil. Il s’en va. Son père, ancien officier supérieur de l’armée française et néanmoins ami du père de Kateb Yacine, lui met le pied à l’étrier. Arrive une cousine, prof de philosophie à la Sorbonne, amie inévitablement de Jean-Paul Sartre et de Simone de Beauvoir. Jean-Paul Sartre, le Voltaire des années 1960, remarque le talent de dessinateur de Mustapha. Il le prend sous son aile. Il l’envoie dans une école de beaux-arts à Orléans.» (1) La guerre est déclarée et Mustapha est d’abord agent de liaison puis poseur de bombes. L’indépendance arrive à grandes enjambées, après un lourd tribut de martyrs, d’éclopés et d’orphelins. Comment se mettre au service d’un pays décimé : les caisses vides et les enthousiasmes nombreux. Mustapha occupe plusieurs postes de responsabilité dans l’administration et flirta, paradoxalement, avec la panade. Il dut se contenter de pis-aller, de boulots de fortune. En 1969, vivant à Bougâa, il interpella le wali de l’époque pour secourir les singes magots revendication du reste satisfaite par le responsable de l’exécutif qui lui alloua quelque argent pour subvenir aux besoins de ses amis les macaques. Il achetait chaque jour des centaines de baguettes de pain qu’il distribuait à ses protégés en exigeant d’eux de faire la queue et les primates obtempéraient sans rechigner. On a tout dit de sa peinture : «La peinture de Negache, disait Kateb Yacine, caresse l’œil de façon agréable. Une vraie lessive pour les yeux. Il mérite à coup sûr une reconnaissance plus large. Un certain Issiakhem ne s’y était pas trompé…». Et que disait Issiakhem de la peinture de Mustapha ? «Ses toiles sont pleines de couleurs qui chantent et déchantent. Pourtant, son œuvre est dominée par la souffrance et la tristesse … Ses personnages, surtout féminins, sont d’une présence, comment dire ? …présente…». Il est, disait-il encore, «Le plus déroutant des peintres algériens. Loin de toute école, rebelle et libre ; sa peinture traitée à la façon des naïfs, est accrocheuse, captivante. On devrait le classer parmi les surréalistes. Avec son sens inné des couleurs et des tons, il a deux grandes qualités à mes yeux, c’est l’art du coloriage et ce regard d’éternel étonnement sur le monde, regard d’enfant qui n’a pas su grandir et c’est ce qui nous emballe chez lui…». Abderahmane Lounès lui à consacré un ouvrage intitulé «Mustapha Neguache, un peintre naïf» préfacé par Andrée-France Baduet. Qui, reconnaissant le talent de l’artiste, écrivait : «Puisque tu l’as souhaité Mustapha , que ce texte soit l’occasion de te dire le bonheur qu’on éprouve à se laisser envahir par le pouvoir de ta palette à faire de chaque instant du quotidien l’ébauche fragile d’un œuvre d’art. (…)». Un peintre inclassable, Negache ? Incontestablement.
Sadek A.H

