Comment refonder de fécondes convergences ?

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La presse algérienne a connu un développement historique dès l’inauguration de l’ère du pluralisme et de l’entreprise privée au début des années 1990. On était passé de quelques organes gouvernementaux à des dizaines de titres achalandant les étalages de buralistes. La fièvre de la création de journaux, alimentée légitimement par une longue frustration des années de chape de plomb, allait crescendo, y compris pendant les années tragiques du terrorisme qui ont emporté un grand nombre de journalistes, assassinés au même titre que des hommes de culture, des représentants de l’Etat et des éléments des services de sécurité. La génération qui avait pris en main la destinée de la presse dite indépendance, était, en grande partie, celle qui avait travaillé dans la période d’avant octobre 1988 dans les organes publics. Il nous est arrivé de « porter aux nues » certains de ces organes au moment même où le champ médiatique s’enrichissait de nouveaux titres. Ce n’est que légitime, lorsqu’on se remémore Algérie-Actualité Les Deux écrans, Révolution Africaine, Parcours Maghrébins, etc. Sous le régime politique d’alors qui n’est pas réputé pour ses vertus démocratiques, ont émergé indubitablement des noms et des plumes qui ont fait le bonheur des nouveaux titres créés après 1990. Pour nuancer cette vision, Nadjib Stambouli, écrivain et journaliste qui a vécu cette période et officié particulièrement à Algérie-Actualité avec Abdelkrim Djaâd, Tahar Djaout et d’autres noms, a estimé dans une interview à la radio chaîne 3, diffusée vendredi dernier, que l’on ne pouvait être « grand journaliste » sous le régime du parti unique. Il semble, cependant, que Nadjib soit plutôt animé du désir de rendre justice aux nouveaux journalistes qui ont investi les titres de la presse écrite, de les encourager et dire qu’ils sont l’avenir de la presse. Il le dira d’ailleurs expressément, en soulignant que ces nouvelles plumes sont en train d’explorer merveilleusement le terrain du journalisme, avec une nouvelle vision qui devrait évacuer la vaine nostalgie d’une période bien remplie, mais révolue. Le sujet abordé par l’ancien directeur de la rédaction de La Dépêche de Kabylie- en plus de la présentation de son livre « Ma piste aux étoiles », paru à la fin de l’année dernière-, à savoir la relation entre la presse écrite et la culture, demeure d’une brûlante actualité. L’invité de la radio dit ne pas s’ériger en « critique » du théâtre, bien qu’il se soit largement et amoureusement investi dans ce créneau sur les pages de journaux. Dans la même période évoquée par Stambouli, il y avait aussi des journalistes qui ont longuement travaillé dans la rubrique culturelle. Cette dernière était beaucoup plus riche et plus diversifiée que son nom la laisse entendre. Il s’agissait, en fait, de faire des fiches de lecture, parfois des analyses entières sur des ouvrages littéraires parus, ou sur des auteurs anciens que la presse a le génie de revivifier et de rafraîchir pour le lecteur. En somme, une louable entreprise pédagogique qui a marqué bien des lecteurs de l’époque. Des interviews d’écrivains, poètes, chanteurs, cinéastes, hommes de théâtre, acteurs, sociologues, historiens, &hellip,; ont donné leurs lettres de noblesse aux titres de la presse publique de l’époque, malgré les restrictions du « politique correct » qui avaient valu aux rédactions des mises en garde, des censures, du « charcutage » et du caviardage. C’est portée par cet élan et ces exaltantes expériences, que l’équipe de l’hebdomadaire « Ruptures »- fondé en janvier 1993 et interrompu quelques semaines après l’assassinat de Tahar Djaout, son directeur- avait mis toute sa fougue dans un organe à forte connotation culturelle, voire intellectuelle. Les circonstances politiques et sécuritaires avaient malheureusement fait avorter un projet éditorial et culturel qui avait placé l’ambition à un niveau que l’on a du mal à projeter aujourd’hui. Le créneau de la culture dans la presse écrite a évolué au gré des changements affectant les titres eux-mêmes, du niveau d’engagement des nouveaux journalistes sur le front de la culture, et surtout de la production culturelle du pays.

Les heures incertaines de l’information culturelle

En effet, malgré des efforts individuels méritoires et une production littéraire qui ne s’est pas démentie au cours de ces vingt dernières années, la scène culturelle algérienne a été dominée surtout par le spectacle des politiques de prestige. « Capitale de… » est devenu le slogan budgétivore par lequel l’inanité de l’action culturelle, la consécration de la médiocrité et la marginalisation de beaucoup d’énergies créatrices ont été menées. Dans un tel climat, aggravé par le « raccourcis » culturel que constituent le piratage et l’invasion de l’internet, que peut bien faire la presse écrite pour prolonger le message culturel ? Hormis certaines contributions ou de rares articles de fond, les pages de journaux rivalisent de donner l’agenda culturel de certaines villes et le programme des chaînes de télévision, ainsi que de reprendre l’actualité donnée par l’agence officielle Aps. En octobre 2015, un colloque a été organisé par le ministère de la Culture sur les médias dans le champ culturel, où il est fait état de la nécessité de la formation et de la spécialisation dans l’information culturelle. Le ministre du secteur, Azeddine Mihoubi, estime que « l’information culturelle est souvent marginalisée » dans les médias. L’ironie de l’histoire est que les médias eux-mêmes sont des organes culturels avant toute autre considération. La spécialisation dont parle le ministre dans le domaine de l’information culturelle, rejoint une préoccupation générale et commune à l’ensemble des rubriques de journaux. L’économie, l’environnement, la société et d’autres rubriques encore ont besoin de journalistes spécialisés. Si cette problématique a été entrevue depuis quelques années, suite à la masse d’informations qui circulent, à la diversification des moyens et canaux d’information et à la nécessité d’instaurer une certaine pédagogie dans le monde de l’information- de façon à consacrer le droit du citoyen à l’information-, le contexte actuel cadre difficilement avec cet objectif. En effet, la reconfiguration actuelle des titres de presse, suite à la contraction de la publicité étatique générée par la crise des recettes pétrolières du pays semble poser des questions plus « prosaïques », parfois des questions de vie ou de mort de certains titres. Cependant, compter sur la seule presse quotidienne pour traiter l’information culturelle dans toute sa diversité dénote une vision étriquée de la culture elle-même. Car, en dehors de l’actualité immédiate (parution de livres, sortie d’un film ou d’une pièce de théâtre, organisation d’un gala artistique, exposition de peinture,…), et de quelques accompagnements en articles d’analyse, le gros de l’information culturelle se traite, sous d’autres cieux, dans des magazines généralistes ou spécialisés, voire dans des revues prestigieuses de critique littéraire ou cinématographique. Malheureusement, l’Algérie a perdu la tradition des hebdomadaires et des mensuels. Si la santé financière des quotidiens est aujourd’hui menacée par la raréfaction du gisement de la publicité l’entreprise de lancer un magazine culturel est encore plus risquée. Certains titres n’ont pas dépassé le seuil de deux ou trois numéros.

Amar Naït Messaoud

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