“J’ai essayé de raconter la société des années 1970”

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Le roman ‘Tislit n ughanim’ de Rachid Boukherroub, écrit en tamazight et paru en 2015 aux éditions El Amel, a obtenu le prix Assia Djebbar à l’occasion de la vingtième édition du Salon du livre (SILA). Originaire de Ouaguenoun, Rachid Boukherroub est directeur de lycée après avoir été professeur de philosophie. Il a commencé sa carrière de romancier en 2015 avec Tislit n ughanim. Nous avons rencontré l’auteur au Salon du livre de Boudjima, à l’occasion de sa troisième édition où il nous a parlé de son roman.

La Dépêche de Kabylie : Racontez-nous un peu votre histoire avec l’écriture ?

Rachid Boukherroub : Depuis que j’étais enfant, j’avais toujours une envie d’écrire. Sauf que cette envie est passagère. Elle s’invite en moi et elle reparte lorsqu’elle veut aussi. Et maintenant que l’envie d’écrire ne veut plus me quitter, voilà je commence à publier ce que je vois, ce que je pense comme romancier.

Vous voulez dire que l’écriture n’est pas une question de décision à prendre ?

Ce ne sont pas nous qui choisissons le moment pour écrire. L’écriture est plutôt un état psychologique profond. Nous commençons à écrire lorsque nous sentons un besoin fort d’écrire.

Quelles sont vos sources d’inspirations ?

Ma première source d’inspiration est bel et bien ma mémoire. Et lorsque je dis ma mémoire, je voudrais parler d’un passé collectif que j’ai encore dans ma mémoire. En faite, je ne raconte pas des réalités d’aujourd’hui. Ce que j’ai narré dans «Tislit n ughanim», ce sont des choses que j’ai vécues au sein de ma société durant les années 1970.

Vous avez écrit en langue amazighe un contexte kabyle des années 1970. Avez-vous pris en considération la réception de l’ouvrage avant de l’écrire ?

Moi je pense que le romancier n’est pas un commercial. Le romancier n’a pas à faire l’étude du marché avant de produire une œuvre littéraire. Car, c’est l’écrivain qui doit orienter le lecteur, voire toute la société et ce n’est pas ni au lecteur ni à la société de guider l’écrivain. Personnellement, si j’écris, c’est bien pour satisfaire en premier lieu cette envie qui me vienne pour écrire. Dans un cas contraire, il n’y aura aucunement de la créativité. Pour cela, je tiens à dire que l’écriture doit être le résultat d’un débat avec soi-même.

Autour de quoi a-t-il tourné votre débat avec vous-même dans Tislit n ughanim ?

Dans Tislit n ughanim, qui est mon premier roman, j’ai essayé de refléter ma société kabyle rurale des années 1970. J’ai essayé de représenter la société avec ses enfants, ses adultes, ses vieux et vieilles chacun et collectivement. J’ai synchronisé cette société naturelle, une société qui souffre beaucoup face à la dureté de la saison de l’hiver. La saison des pluies, des vents et des neiges et les moyens de réchauffement font défaut chez les habitants. Mon roman commence, d’ailleurs, par une description de la dureté de cette saison (l’hiver) chez les kabyles. Cctwa tqessih macci d kra. Ideflawen sudden tiwura, xedmen i jabuben iswaqi ; dayemi i as qqaren adeffel aberkan. (L’hiver est dur. Vraiment. La neige épisse au-dessus des seuils des portes des maisons. Des stalactites se sont formées ; c’est pourquoi on l’appelle la neige noire.)

Dans une ère moderne où le monde a tendance à devenir un petit village, vous avez écrit sur une société kabyle rurale limitée géographiquement. Vous n’avez pas peur qu’on vous colle l’étiquette d’un écrivain régionaliste ?J’accepte qu’on me taxe d’un écrivain régionaliste dans la mesure où dans le monde universel actuellement, il y a mille et un coins qui ont vécu et qui vivent encore un même contexte que celui de la société kabyle décrite dans mon roman. Il y a encore, aujourd’hui, dans les montagnes de la Syrie des groupes sociaux qui vivent un même mode de vie que celui des kabyles en Algérie. En Italie aussi et en Espagne. Les cultures de ces pays sont tellement proches. D’ailleurs, dans le film adapté du roman de Mouloud Mammeri, ‘La colline oubliée’ (Tawrirt i ttwattun), l’actrice ayant interprété le rôle de Ferroudja est italienne et on dirait que c’est une kabyle qui l’a interprétée. Pour cela, je suis convaincu que si mon roman sera traduit vers la langue italienne par exemple, le lecteur italien y se retrouvera normalement.

Peut-on alors aller vers l’universalité tout en écrivant sur sa propre société ?

Dans le roman moderne, l’accent est mis sur ce que disent les personnages. C’est l’énoncé qui est important plus que l’énonciation. D’ailleurs, parfois dans des romans, on assiste à des personnages anonymes. Ce qui est favorisé plutôt ce sont les dialogues, car c’est là que les personnages expriment leurs sentiments et leurs émotions. Il s’agit de la mise en évidence de l’existence.

Peut-on comprendre que vous êtes influencé par le courant philosophique existentialiste ?

L’existentialisme traite l’existence. Du coup, ce courant n’a qu’à m’influencer. J’apprécie beaucoup Jean Paul Sartre, surtout Martin Heidegger. Ils parlent de l’Homme profond, de l’individualisme, de l’Homme comme secret. Je paraphrase des écrivains existentialistes et je dis que lorsqu’on voit l’Homme de l’extérieur, il est un petit être dans un monde vaste mais de l’intérieur, l’Homme est un être vaste dans un monde petit. Universellement, l’Homme est malade, angoissé car il ignore l’avenir et il a peur de cela. Peu importe la résidence, la culture et la religion, l’Homme a toujours instinctivement un penchant pour la vie mais le temps le mène inéluctablement vers la mort. Ce qui est important donc, c’est bien l’Homme intérieure, cet Homme qui remplit le monde et qui ne connait pas la langue des régions ni celle des religions et des cultures. Alors de ce point de vu existentialiste, une œuvre littéraire n’a qu’à être universelle au-delà de son contexte socioculturel ou spatiotemporel.

Et les écrivains maghrébins, vous ont-ils marqués ?

L’enfant du sabre, la nuit sacrée, les yeux baissés, ce sont des romans de Tahar Ben Jelloun qui m’ont beaucoup influencé. Nabil Farès aussi m’a marqué mais pas autant que Ben Jelloun. En faite, avec Ben Jelloun, je pense que nous avons des styles d’écriture qui se ressemblent beaucoup, quoique nous écrivions dans deux langues différentes, lui en français et moi en tamazight. Lorsque les idées s’épousent, le plan expression dans la langue n’est qu’un moule d’idée.

Parfois une œuvre littéraire se veut une réponse à une autre œuvre. C’est le cas pour votre roman ?

Pas tout à fait, mais dans certains cas oui. J’ai répondu au chanteur kabyle Ait Menguellat en disant : Ddunith macci d ddunith kan, ddunith dayen nidhen. Lebhar ur tccuren waman i ticcuren d lehcic d iselman. (La notion de la vie n’est pas aussi simple qu’on la conçoit, la vie, elle est autre chose. La mer n’est pas remplie par de l’eau, elle est plutôt remplie par l’herbe et les poissons.) Je me suis permis de répondre à Ait Menguellet car je suis un de ses vrais fans. Son œuvre toute entière m’avait accompagnée dès le début de mon projet d’écriture.

Parlez-nous un peu de votre personnage principal Fafouche ?

Fafouche est une femme qui a tant souffert. Son fils est parti rejoindre son père en France et sans savoir pourquoi, il n’est pas revenu. Et puis, Fafouche a subi une mort énigmatique.

Un autre roman en projet ?

Oui. Je pense que je dois quand même à mes lectures des explications quant aux zones d’ombre romancières figurées dans mon premier roman, Tislit n ughanim. Donc, un deuxième roman sera publié dans quelques mois et il sera une suite logique au premier. Sauf que mes personnages dans le deuxième roman vont ratisser un peu plus profond dans le temps, où ils vont remonter jusqu’aux années 1950, la période de la guerre de libération nationale.

Propos recueillis par

Noureddine Tidjedam

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