La rentrée scolaire 2016/2017 verra l'application des programmes pédagogiques de deuxième génération.
C’est ce qui a été décidé au ministère de l’Éducation. Selon Farid Adel, président de la commission nationale des programmes au ministère de l’Éducation nationale, ces nouveaux programmes « visent le développement des capacités cognitives, de l’esprit d’analyse et de déduction de l’apprenant, contrairement aux programmes précédents qui, eux, étaient axés sur l’apprentissage par mémorisation ». Il s’agira de développer et de favoriser les aptitudes et compétences de l’élève par la création d’une activité interactive en classe, à travers le travail de groupes. L’enseignant ne sera plus le maître à dicter un cours de façon pédantesque ou à recopier tout le contenu du cours au tableau, mais il assumera désormais le rôle d’ « organisateur, d’animateur et de facilitateur du processus didactique ». Outre la nouvelle approche pédagogique et didactique, les réformes scolaires vont porter également sur un axe important, voire stratégique, celui de la culture et de l’identité et la manière dont devra s’opérer l’immersion de l’élève dans un moi collectif porté par l’école. Ce volet requiert une importance d’autant plus primordiale que la généralisation de l’enseignement de tamazight à plusieurs autres wilayas est prévu dès la saison prochaine. Les nouveaux programmes tendent à réhabiliter l’identité algérienne dans toutes ses dimensions et à développer les activités culturelles et de loisir, ainsi que l’éducation physique. Paradoxalement, la culture se trouve être le parent pauvre de l’école algérienne. Dans les livres de lecture, la culture algérienne est quasi absente. Un chiffre donné par un inspecteur de l’Éducation nationale, Fardi Benramdane, suffit à caractériser cette situation: 80 % des textes de lecture donnés aux élèves n’ont aucune relation avec l’Algérie. La majorité est carrément anonyme. Les nouveaux textes de lecture sont conçus de faon à faire connaître toutes les facettes de la culture algérienne à travers les textes de lecture en français, en arabe et en tamazight. D’après Ahmed Tessa, spécialiste en pédagogie et ancien cadre au ministère de l’Éducation, « une anthologie scolaire des œuvres littéraires algériennes est en voie de finalisation avec la collaboration du ministère de la Culture. Une première en Algérie. Jusque-là nos enfants (élèves, étudiants et jeunes enseignants) ignoraient le nom et l’œuvre de Benhadouga, Ouettar, Assia Djebbar ou Mohamed Dib. Ce n’est pas normal et cela dure depuis des décennies sans qu’aucun cercle intellectuel ou politique ne s’en émeuve ou ne dénonce cet ostracisme » (El Moudjahid du 30 mars 2016).
L’école emmurée dans une bulle
On sait que les remous et perturbations dans lesquels évolue l’école algérienne depuis plusieurs années, ont laissé peu de place à la réflexion sereine devant porter aussi bien sur l’enrichissement et la réforme des programmes que sur les activités culturelles censées accompagner toute formation générale ou spécialisée. Il se trouve que l’école, dans l’état actuel de son fonctionnement, s’est emmurée dans une « bulle », limitant au maximum la communication avec les autres instances de la société qui font la vie de chaque jour. Ce déficit de communication gît aussi bien dans les programmes scolaires, confinés dans l’objet « technique » des matières ciblées, que dans les relations que l’école est supposée entretenir avec la sphère culturelle, le monde associatif et les autres instances de la société. Il est établi, de par le monde, que l’école est le réceptacle de la reproduction et de la transmission de la culture: patrimoine national et universel, valeurs du travail, civisme, éducation à la citoyenneté formation de l’esprit critique et background général permettant de s’insérer harmonieusement dans la société et ce, quel que soit le niveau ou le diplôme qui sanctionne la fin du cursus scolaire ou universitaire.
Intercommunication entre l’école et la société
Se sentir appartenir à une communauté solidaire, responsable, et au-delà citoyen du monde, exige que des valeurs fondamentales liées à la société et à la culture soient prises en charge par l’instance éducative dans laquelle l’élève passe, en moyenne, huit à neuf mois par an, et 6 à 7 heures par jour. La démocratisation de l’enseignement- qui a pris l’allure d’une massification de plus en plus complexe- ne saurait atteindre ses objectifs de formation de cadres de la nation, pénétrés des valeurs du civisme et de la citoyenneté sans une intercommunication entre l’école et le reste des instances de la société évitant ainsi à l’école d’évoluer en vase clos, formant des techniciens « froids et sans âme ». Cette intercommunication est censée s’opérer aussi bien dans les aspects « savants » de la vie (histoire, géographie, savoir-faire ancestral, culture muséale, cinématographique, picturale,…) que dans ses aspects relevant de la vie quotidienne et citoyenne (vie associative, protection de l’environnement, gestion des risques naturels, droits de l’homme, circulation routière, cybercriminalité…). La formation du citoyen de demain- pénétré de l’esprit de responsabilité contribuable, électeur et éventuel candidat à des mandats locaux ou nationaux- est à ce prix. L’école est de plus en plus à appeler à s’ « immiscer » dans la vie sociale et culturelle du pays, à intégrer et à diffuser les valeurs qui font l’homme moderne d’aujourd’hui. L’Algérie, sans doute plus que d’autres pays, a un besoin pressant en la matière, vu que les instances sociales et les structures des pouvoirs publics chargées des missions de formation citoyenne peinent à s’imposer sur le terrain et faire valoir les idées et les valeurs que porte leur philosophie. Les ligues des droits de l’homme se contentent de communiqués périodiques et de prises de positions sporadiques, lorsque le sujet a toutes les chances de gêner les autorités politiques ou de faire la « une » des journaux. L’action pédagogique est la grande absente. Hormis une carte postale consignant les 30 articles de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, datant du début des années 1990, l’on n’a aucune chance de rencontrer un prospectus pédagogique, une fiche synoptique, résumant l’historique de la lutte pour les droits de l’homme en Algérie ou les différentes thématiques concernées par ce sujet. L’on se souvient de la proposition de Boubeker Benbouzid, ancien ministre de l’Éducation nationale, d’introduire l’enseignement des droits de l’homme dans l’école algérienne. Ce fut au milieu des années 2000. Le projet tomba à l’eau, à la manière de beaucoup d’autres propositions venant de la tutelle ou des organisations de la société civile.
Sécurité routière et environnement
Les dernières propositions que M. Lazouni, spécialiste de la sécurité routière et ancien animateur de l’émission télévisée « Tariq Essalama », a formulées en direction de l’école algérienne, dans le cadre de la sensibilisation au « terrorisme routier », font partie de ces préoccupations que les pouvoirs publics seraient bien avisés de prendre en considération. L’on se souvient que, au cours de la rentrée scolaire de 2012, une rumeur avait circulé sur l’introduction à l’école d’une matière portant sur la sécurité routière. Une certaine presse s’est emparée précipitamment du sujet pour en faire un scoop, mais en lui collant un sujet destiné à soulever des vagues. En effet, il était rapporté que l’éduction routière allait remplacer la matière d’éduction religieuse. Les remous que cette rumeur a occasionnés avaient contraint le ministère de l’Éducation nationale à démentir l’existence d’un projet de ce genre. Ainsi, on a réussi à saborder un projet citoyen, à même de contribuer à sauver la vie des gens et à endiguer le nombre de handicapés des accidents de la route. Les chiffres relatifs aux accidents de la route ont battu tous les records au cours des trois dernières années. On se rapproche d’un bilan annuel de 5 000 morts et de milliers de blessés, dont des handicapés à vie. Cela fait quand même plusieurs années que le thème de la « guerre » régnant sur nos routes a commencé à émerger comme un grand axe de sensibilisation, devant être vulgarisé non seulement par des spots publicitaires, mais également dans les établissements scolaires. M. Lazouni est formel: « Il faut introduire l’éducation routière dans nos écoles. D’ailleurs, j’interpelle le ministre des Transports pour l’application du décret 87-09 qui ordonne l’inclusion de leçons pédagogiques sur l’éducation routière dans les programmes scolaires ». Sur le plan de l’éducation environnementale, l’école, les pouvoirs publics et les associations ont du pain sur la planche. L’état de dégradation avancée dans lequel se trouvent la ville, la bourgade, la rue et tous les espaces publics et privés en Algérie, invitent inéluctablement à une action vigoureuse non seulement sur le terrain, par des actions sporadiques, du genre campagne de nettoyage et de ramassage d’ordures, mais surtout sur le front de la sensibilisation en direction des citoyens. Une grande masse de ces citoyens, soit huit millions de personnes, se retrouve dans les salles de classe. Donc, la mission d’opérer la meilleure sensibilisation dans les écoles est la plus apte à rayonner et à irradier l’ensemble des couches de la société. Une opération a été menée pendant quatre ans, à partir de 2008, sous le « label » « un enfant, un arbre », destinée à amener les élèves à planter des arbres dans leur environnement immédiat, à savoir l’école et sa périphérie, a été une belle initiative, mais elle représente une goutte d’eau dans l’océan de la mission de sensibilisation. Cette opération, qui s’étalait d’octobre à mars de chaque année, sous la conduite d’agents forestiers, a besoin d’être non seulement poursuivie, mais complétée par des actions touchant à l’hygiène et autres aspects de la protection de l’environnement. Là apparaît la nécessité de créer une fertile jonction entre les programmes d’enseignement, particulièrement les sciences naturelles, et les préoccupations de la protection de l’environnement. Outre le contenu des programmes, les sorties sur le terrain s’avèrent une nécessité absolue. Voilà une tradition pédagogique, qui a existé jusqu’à la fin des années 1970, et qui gagnerait à être reprise, généralisée et enrichie. La connaissance du terrain- flore, faune, roches, minéraux, ruisseaux, montagnes- renforce la « conviction » écologique, crée des traditions de travail de groupes et conforte les attaches de l’élève avec sa terre, sa commune et son pays. L’élève, après avoir pris connaissance des phénomènes géologiques et des cortèges floristiques et faunistiques existant dans le monde- à travers le cours et le manuel scolaire- est ainsi mis dans le bain de « sa » nature à lui, approfondissant le lien au sol national et se départant du complexe de l’étranger qui conduit à l’esprit « harraga ».
Culture et éducation: des passerelles indispensables
L’Algérie est un pays riche, diversifié où se mélangent et se succèdent différents climats, sols et patrimoines biologiques (côte, Tell, Hauts Plateaux, Sahara). La promesse de l’ancien ministre de l’Éducation de faire assurer des cours en relation avec les phénomènes sismiques, exprimée précipitamment au lendemain du séisme de Boumerdès, n’a malheureusement pas eu de suite sur le terrain. Sachant l’exposition avérée du Nord d’Algérie aux phénomènes sismiques, le thème paraît comme une alléchante proposition. Il aurait permis de « démystifier » auprès des élèves un phénomène naturel auquel le pays est supposé- à travers ses structures techniques liées à l’aménagement du territoire, au génie civil et à la construction- se préparer bien à l’avance. Il en est de même du phénomène des inondations et des feux de forêts. L’école peut jouer un rôle majeur dans la sensibilisation à ces risques naturels du fait que les jeunes écoliers sont les mieux disposés à recevoir ces connaissances et les transmettre à leur familles. En tout cas, entre l’école et les structures externes de la vie publique, demeure un grand déficit de communication qu’il y a lieu de travailler à combler. Les sorties des élèves vers les musées, pour connaître les différentes étapes de l’histoire du pays et en faire une liaison forte avec les programmes scolaires, est une denrée si rare que, quand elle se produit, elle met du baume au cœur et fait l’objet de mille attentions. L’expérience est surtout connue au Musée Cirta de Constantine qui avait instauré ce qu’on appelle des « ateliers juniors », permettant aux élèves de se familiariser avec les pièces de musée (bustes, portraits en pied, silex, mosaïques, lampes en porcelaine, monnaie, outils en pierres du néolithique,…). Dans ce contexte, le directeur de la maison de la culture de Tamanrasset, Abdeldjalil Keddidi, a proposé en 2013 d’introduire l’enseignement des peintures rupestres du Sahara dans l’école algérienne. « Nous espérons introduire cet art dans les programmes et manuels scolaires de l’Éducation nationale pour que nos enfants puissent s’imprégner de l’histoire de leurs ancêtres et des civilisations anciennes d’une part, et développer leur esprit de créativité de l’autre ». Il en est de même des sorties théâtrales ou de projections de films documentaires censés compléter et illustrer les connaissances acquises en classe. Former le goût, la sensibilité esthétique et le jugement critique des élèves, participe indubitablement de la formation du citoyen de demain, en tant qu’acteur de son destin.
Amar Naït Messaoud