Comment mettre fin au provisoire qui dure ?

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La crise des revenus pétroliers n’a pas encore révélé tous ses rebondissements sur le plan social et économique. Ce n’est qu’au cours de ce 2e trimestre de l’année que la nouvelle facture du gaz et de l’électricité sera appréciée à l’aune des augmentations décidées dans le cadre de la loi de finances 2016. De même, les projets d’équipement publics gelés ou annulés ce sont autant d’emplois perdus dont les résultats seront connus dans quelques mois, se matérialisant par le relèvement du taux de chômage. Par ailleurs, le gouvernement se trouve devant une complexe équation avec plus d’un millions de travailleurs pré-emplois. Le ministre du Travail a été clair en déclarant qu’ils ne seront pas intégrés dans les postes qu’ils occupent dans la fonction publique. Quant aux entreprises publiques et privées, elles peuvent le faire selon leurs besoins. Cependant, sachant la dépression qui affecte le monde de l’entreprise depuis deux ans, même cette perspective tend à se fermer. La seule alternative valable, à savoir de nouveaux investissements en dehors de la sphère des hydrocarbures, tarde à se déployer sur le terrain. Le gouvernement prépare le nouveau code des investissements et le nouveau code du travail, justement pour préparer cette option. Néanmoins, les retards dans la politique de l’entreprise, sur les plans du management, de la mise à niveau technique et technologiques, pèsent d’un poids considérable sur le processus de reprise.

Le chômage repart à la hausse

Le taux officiel de chômage donné en septembre 2015, à savoir 11,2 % de la population active, est relativisé par des analystes et experts algériens, du fait qu’il prend en compte tous les dispositifs sociaux de création d’emploi (emplois d’attente) et les postes d’emploi temporaires crées sur les chantiers des projets d’investissements publics. Immanquablement, le sujet se prête à moult polémiques, particulièrement dans les moments de crise sociale et économique, comme celle que l’Algérie vit depuis deux ans. L’Algérie est passé de près de 30 % de chômage en 1999 à moins de 10 % en 2014, avant de voir le chômage atteindre 11,2 % l’année dernière. Il s’agit, pour les analystes, les partis, la société civile et la presse de décrypter la solidité de cette performance et d’en décrire les limites. En tout cas, le paramètre de l’emploi, tel qu’il est appréhendé par les pouvoirs publics et « trituré » par les experts et les organisations politiques, ne manque de se positionner en tant qu’une des premières priorités des politiques publiques, singulièrement dans le contexte d’une économie étouffée par sa dépendance par rapport aux hydrocarbures. Les tensions sociales, dont une grande partie est nourrie par la crise de l’emploi, ont tendance, dans leur infernale progression et dans leur enchevêtrement continu, à évoluer vers une grave dérive qu’aucune mesure d’ordre policière ne saurait juguler. On l’a vu au Sud du pays, entre 2013 et 2015, et cela continue, même si c’est sous une forme moins violente. Il en est de même des autres régions du pays, sachant que l’intensité de la contestation demeure variable d’un point à un autre du territoire national. Le pays n’arrive plus à compter le nombre de protestations dans la rue et les quartiers, le nombre de harragas, de jeunes immolés par le feu ou par un autre moyen, et le nombre de tous les « desperados » prêts à s’engager dans n’importe quelle entreprise criminelle ou association de malfaiteurs. Pour certains observateurs de la vie économique nationale, il s’agit ni plus ni moins, d’un paradoxe algérien sui generis et d’une certaine ironie de l’histoire, sachant que le pays avait engrangé pendant plus de dix ans des recettes pétrolières historiques qui auraient pu épargner aux jeunes le destin non enviable qui est aujourd’hui le leur. Certains aspects du chômage sont escamotés par des dispositifs sociaux, coûteux, mais qui ne peuvent avoir de l’avenir que si des investissements productifs suivent. Espoir qui tarde encore à prendre les contours d’une réalité palpable. Il est établi que l’un des facteurs les plus déterminants que les pouvoirs publics et les gestionnaires de l’économie nationale- et ce, quelle que soit la couleur politique du gouvernement-, se doivent d’intégrer dans leur stratégie de gestion, est, sans conteste, la politique de l’emploi. Levier incontournable de la cohésion sociale et de la dignité individuelle, l’emploi constitue la véritable richesse des personnes, des ménages et des peuples. L’Algérie a vécu longtemps à l’ombre de la rente, ce qui fait déliter les valeurs du travail et renforcer les tendances au gain facile et à la rapine, y compris par le système de regroupement politique qui a pour nom parti. En effet, le multipartisme a été vécu en Algérie comme source de rapprochement de la rente, ce qui l’a discrédité aux yeux de citoyens qui ont voulu croire à la liberté d’association et d’expression.

Délitement des valeurs du travail

Les errements rentiers du système économique, les déviations subies par l’activité politique, pourtant inscrite dans le multipartisme et les contre-performances de l’école algérienne ont joué en quelque sorte, le rôle de la centrifugeuse qui est jetée à la marge des centaines de milliers de jeunes algériens. Outre l’aventure terroriste intérieure qui a pu happer une partie d’entre ces jeunes, les appels à la « guerre sainte » dans certaines parties du monde, à l’image de l’Afghanistan, ont pu trouver chez l’autre partie des oreilles attentives et un cœur assez sensible pour, par exemple, débouter l’ « ennemi » russe de terres afghanes. Indubitablement, la perversion des valeurs du travail et l’ « encanaillement » culturel ont fait des jeunes Algériens des victimes d’un système rentier. Cet énorme potentiel juvénile, l’Algérie le vit aujourd’hui comme un boulet à traîner dans une espèce de corvée imposée. Les efforts que les pouvoirs publics déploient au cours de ces deux dernières années en direction de la jeunesse et de la création d’emploi se font dans un contexte très tendu sur le front intérieur et extérieur. En effet, les conséquences « morales » du Printemps arabe ne sont pas à négliger, même si les Algériens, dans leur majorité ne sont pas prêts à « embarquer » pour une aventure sans contours précis ni destination sûre. Aujourd’hui, encore pire qu’hier. Donc, les efforts des gouvernants algériens se font dans la précipitation, sans grande stratégie, et aboutissent, en définitive, à des résultats pour le moins mitigés. C’est ce que ne manque pas de traduire la tension permanente dans les rues et les quartiers populaires. La contestation sociale est ainsi inscrite dans le temps et dans l’espace. Tout le défi est de pouvoir faire reprendre confiance aux jeunes et d’insuffler en eux espoir et alacrité de façon à ce qu’ils puissent encore croire en l’efficacité de l’action du gouvernement.

Dispositifs provisoires

Outre le phénomène du chômage, pris dans l’absolu, le fossé qui s’est créé entre les couches de la société n’a jamais sans doute été aussi grand qu’au cours des ces dernières années. Le phénomène de corruption et de blanchiment d’argent ont puissamment accentué ce fossé. C’est là un drame qui augmente les frustrations et le sentiment d’injustice chez les jeunes qui n’arrivent pas à se stabiliser ni sur le plan de l’emploi ni sur le plan du logement et de la vie familiale. Ces sentiments sont psychologiquement moins supportables par les individus et les ménages, que le dénuement lui-même, qui touche des centaines de milliers de jeunes. Certes, la thérapie de la rationalisation budgétaire de la fin des années 1990 et l’augmentation des recettes en hydrocarbures ont abouti à la stabilisation des indices macroéconomiques du pays depuis plus d’une dizaine d’années (payement par anticipation de la dette extérieure, inflation maîtrisée malgré des pics sporadiques, taux de croissance appréciable en dehors de la sphère énergétique, taux de chômage officiellement réduit à moins de 10 % jusqu’en 2015,…). Au cours de cette période de transition de l’économie nationale-étape sensible pour tous les pays passant d’une économie administrée à une économie de marché-, le clivage entre les différentes couches de la société prend une ampleur inédite, menaçant parfois même la stabilité sociale du pays. Le nombre d’exclus ne cesse, en effet, d’augmenter, même si le gouvernement- à travers certains de ses différents dispositifs sociaux- essaye de contenir le cercle de la pauvreté en venant en aide aux catégories les plus vulnérables. Cependant, la crise financière qui a pris ses quartiers depuis juillet 2014, donne moins de marge de manœuvre au gouvernement pour maintenir ce qu’on appelle l’Etat-providence, à travers les subventions au soutien des pris et à l’assistance à certaines catégories sociales (handicapés, ménages nécessiteux,…). L’on sait que, même avant la crise, ces dispositifs ne faisaient que réduire provisoirement et partiellement le choc des inégalités et contenir l’étendue des contestations.

Amar Naït Messaoud

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