Dans tous les pays du monde, quand une œuvre artistique est exploitée publiquement, soit dans des salles de fête, des théâtres, des maisons de culture, des radios, des télévisions&hellip,; son auteur perçoit ses droits d’auteurs. Il en va ainsi pour toute œuvre musicale, cinématographique, théâtrale et poétique. Dans ces pays quand un auteur est invité à donner une prestation, que ce soit sur scène ou sur les ondes des radios et télévisions, son œuvre est immédiatement déclarée et protégée par les organismes chargés de la protection des droits des auteurs. L’auteur, lui-même, perçoit un cachet pour ladite exploitation de son œuvre. Ce dispositif rentre dans le cadre de ce que l’on nomme le droit de diffusion et le droit à l’image. Chez nous, l’organisme chargé de protéger les auteurs et leurs œuvres est l’ONDA, l’équivalent de la SACEM en France. Voilà pour le principe. Pourtant malgré ce dispositif, une catégorie d’artistes chez nous, se retrouve lésée dans ses droits. Il s’agit des poètes d’expression kabyle. En effet, ces derniers sont souvent invités à des manifestations culturelles organisées au niveau des maisons de cultures ou par des associations ou lors de leur passage dans des émissions radiophoniques spécialisées dans la poésie dans les différentes chaines de radio existantes (Chaine II, Radio Tizi-Ouzou, Radio Soumam, radio de Bouira) sans pour autant que leurs œuvres déclamées ne soient déclarées au service de l’ONDA. Mais plus grave encore, ces poètes, contrairement à leur confrères chanteurs et comédiens, ne perçoivent aucun cachet pour leur prestation, ce qui fait dire à certain d’eux : «cette situation s’apparente à du mépris et à du manque de considération. C’est une exploitation pure et simple de notre labeur». Pour beaucoup de ces poètes frustrés, la situation a trop duré. Cette aberration a fait réagir certains d’entre eux et se sont regroupés dans un collectif nommé «Agraw n Imedyazen Yezdin». Ce collectif dont font parti des poètes de renom à l’image de : Salmi Moussa, Louni Hocine, Sadi Kaci, Djouaher Mohand-Akli, Aït Boussad Akli, Djoudi Fahem, Dali Salima, Aouchiche Mohammed, Guechtouli Lyès, Kaddour Rabah, Louni Salah, Younsi Mouloud et Amour Mouloud, se veut, avant tout, un mouvement littéraire et poétique lequel est né dans des circonstances particulières, comme nous le raconte Salmi Moussa dans une interview qu’il nous a donnée récemment et qui a été publiée en kabyle dans les pages centrales en tamzight de notre journal, où il dit : «En avril 2015, une association culturelle avait fait appel à nous pour participer aux festivités qu’elle allait organiser sous l’égide de la direction de la culture de Tizi-Ouzou. Des festivités auxquelles des chanteurs et des comédiens étaient également invités. Ces derniers avaient bien évidemment négocié leurs cachets. Avant le début de la soirée, les organisateurs avaient réservé un salon d’honneur aux autres artistes, ce qui nous a été refusé. Quand la soirée commença, l’animateur présenta les chanteurs et les comédiens sans faire mention de nous. C’était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Nous décidâmes alors de quitter les lieux. C’est notre ami poète Lyès Guechtouli qui nous avait accueillis chez lui. C’est à partir de là que nous nous sommes réunis et avons mis sur pied l’Union des Poètes Solidaires, en kabyle, «Agraw n Yimedyazen Yezdin» dont le sigle donne AMEDYEZ qui veut littéralement dire « poétisation ». Le but assigné à ce collectif étant évidement celui d’amener les institutions culturelles qui font appel aux poètes d’élaborer avec eux des modalités de contrats au minimum égales à celles qu’elles appliquent avec d’autres artistes chanteurs et comédiens et partant arracher ce droit élémentaire, à savoir l’obtention d’une cachet pour chaque poète qui est invité à se produire par tel ou tel organisme. À écouter les différents poètes que nous avons sollicités sur ce sujet, le marasme n’a que trop duré et le déni et le manque de considération aux poètes par les organismes diffuseurs de culture est insupportable. C’est ce que nous confirmera, sous couvert d’anonymat, un poète connu dans la région des Aït Djennad : «je ne comprends pas que l’on nous sollicite pour animer telle ou telle manifestation culturelle et qu’à la fin les comédiens ainsi que les chanteurs sont pris en charge par la direction de la culture qui leur verse leurs cachets respectifs, tandis que nous poètes non ! Jusqu’à preuve du contraire, j’ai toujours cru qu’un poète est un artiste à part entière, tout comme son confrère chanteur ou comédien. Dès lors, pourquoi cette discrimination dans le traitement des uns et des autres ? Qu’est ce qui justifie cette politique du poids deux mesures ?». Même son de cloche Pour A. H. qui nous dira : «dans le temps, je suis plusieurs fois passé dans l’émission radiophonique «la plume et le poète qu’animait Monsieur Ageroudj Rabah sur la chaine II. Je dois dire que la régie m’a toujours payé à chacun de mes passages. Dès lors, je ne comprends pas pourquoi aujourd’hui on refuse d’indemniser les poètes lors de leur passage à la radio. En fait, il me semble que les producteurs de ces émissions poétiques croient que ce sont eux qui rendent faveur aux poètes en les invitants à leur émission, or le bon sens stipule que sans la venue de ces poètes point d’émissions, point de producteurs de ce genre d’émissions. Il me semble qu’il est temps de rétablir ces auteurs dans leurs droits et ne pas «boire» leur sueur comme on le dit dans notre langue. Ne pas assurer un cachet à ces poètes est pour le moins un non sens !». Autre témoignage nous vient d’un autre poète qui nous confie : «j’ai envoyé une nouvelle à radio France Musique qui la diffusée. Quelque jours après la diffusion de ma nouvelle, on m’a contacté pour me délivrer ma carte d’adhérant à la SACEM, et on m’a envoyé mon dû pour la diffusion de ma nouvelle. Tout cela ne m’a nécessité qu’une simple correspondance avec les responsables de l’émission pour que tout se fasse. Je n’ai eu ni à me déplacer ni à réclamer. Tout s’est fait automatiquement. Or chez nous, malgré mes maints passages au niveau des radios locales, à ce jour je n’ai ni ma carte ONDA encore moins des indemnisations pour mes différents passages. Ailleurs, la culture a son prix. Rien ne se donne pour rien. Il est malheureux de constater que chez beaucoup d’organismes diffuseurs de culture, le poète est vu comme la cinquième roue d’une charrue. Il est plus triste encore de constater que nos poètes, par ignorance de leurs droits, se laissent exploiter si facilement ! C’est pour cela que j’approuve la démarche de cette union des poètes, il est temps pour nous de recouvrir nos droits intellectuels». Mais plus on approfondi le sujet, plus on découvre que beaucoup de poètes ont gros sur le cœur. C’est ainsi que pour A. S. H, la situation est vraiment délétère. La propriété culturelle n’est point protégée. Il citera, en exemple pour nous, l’exploitation sans vergogne de l’œuvre du grand dramaturge kabyle Mohya : «Que dire alors de ces pseudos artistes qui exploitent sans vergogne l’œuvre de Mohya ? Qui conque veut s’initier au théâtre et se faire un nom puise dans le répertoire de ce grand dramaturge et se sucre sur le dos de ses ayants droit comme si l’œuvre de Mohya était tombée dans le domaine public ! Certains sont allés jusqu’à réécrire ses textes sous forme de pièces théâtrales et les signer, toute honte bue, comme étant eux les auteurs de ces textes ! Depuis, ils ont pignon sur rue sans que personne ne s’en offusque. Il est temps de protéger les auteurs kabylophones à la fois de la mauvaise exploitation de leur œuvre et du plagiat. Il est temps, aussi, de leur reconnaitre le statut d’artistes et d’auteurs à part entière fin que cela leur garantisse ce qui est de droit». Pour toute ses raisons, toujours selon M. Salmi Moussa, un manifeste du collectif des poètes unis ( agraw n imedyazen yezdin) est prévu pour les jours à venir . L’urgence étant de rétablir nos auteurs dans leurs droits.
A.S. Amazigh