“Le manque de radiologues et d’anesthésistes nous bloque”

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Dans cet entretien, le Pr Danoune nous dévoile sa feuille de route et les insuffisances auxquelles est confronté le CHU de Béjaïa.

La Dépêche de Kabylie : Quels sont les déficits qu’enregistre le CHU de Béjaïa ?

Professeur Abdelmalek Danoune : Il est prévu que le malade inséré pour exploration reste sur place et soit pris totalement en charge. Néanmoins, nous connaissons un déficit très important en radiologues. C’est d’ailleurs un problème national mais qui est plus aigu à Béjaïa. J’ai un radiologue que j’ai pu retenir six mois de plus, mais là je suis obligé de le libérer parce qu’il a fait quatre années de service civile et il a demandé à partir. Si côté manipulateurs de radio les choses sont organisées et nous n’avons pas de problèmes, nous avons en revanche un grand problème concernant les radiologues, et c’est pour cela que j’ai fait des conventions avec des radiologues privés qui collaborent avec nous. C’est-à-dire des confrères qui viennent pour nous faire des comptes rendus, etc. Et c’est d’ailleurs pour cela que nous avons des retards dans les comptes rendus. Par exemple, quelqu’un qui fait une IRM ou un scanner n’obtient son compte rendu qu’après deux ou deux mois et demi. C’est dû au déficit en radiologues.

Que pouvez-vous nous dire sur le manque de sang dont souffrent les hôpitaux ?

Vous savez très bien que la wilaya de Béjaïa est une destination touristique très prisée durant la période estivale, puisqu’elle accueille jusqu’à 5 millions d’estivants. Et forcément il y a des accidents qui surviennent. Il y a par conséquent des problèmes de prise en charge médicale. Comme les victimes atterrissent pour la plupart au niveau du CHU, la demande sur le sang est multipliée par trois, parfois même par quatre. Heureusement, nous avons des donneurs réguliers qui nous accompagnent. Mais nous connaissons malgré tout des déficits, particulièrement concernant les plaquettes, parce qu’on doit purifier le sang pour en extraire les plaquettes pour des catégories bien précises de malades. Donc, c’est difficile de répondre à la demande. Nous avons aussi toutes les maladies hématologiques qui sont très nombreuses. Aussi, je profite de l’occasion pour lancer un appel à la population et aux âmes charitables, pour qu’elles se rapprochent des infrastructures qui se chargent de la collecte du sang, surtout en ce moment.

Que pouvez-vous nous dire quant à la concrétisation des projets inscrits dans votre secteur, telles les greffes rénale et de la cornée ?

Comme vous savez, le CHU de Béjaïa a ouvert récemment, mais il a de grandes ambitions. Nous avons en effet inscrit deux projets, celui de la greffe rénale et celui de la greffe de cornée et les implants cochléaires. Pour la greffe rénale, le projet est déjà entamé au niveau du service de néphrologie. On a préparé des couples apparentés (donneurs, receveurs) et commencé à faire les bilans. Il y a actuellement six couples prêts. Nous préparons le bloc opératoire et j’espère que nous pourrons les réaliser le plus tôt possible. Cependant, nous ne pouvons fixer une date actuellement, car pour tout projet il y a toujours des imprévus. Nous manquons par exemple d’anesthésistes et de techniciens anesthésistes, ce qui fait que même pour les activités normales, les activités d’urgence, nous avons beaucoup de mal. Pour ce qui est des chirurgiens, nous avons ce qu’il faut. Nous disposons d’une équipe complète. Mais là encore, le problème de l’anesthésie resurgit à chaque fois. Et avec le départ des radiologues, alors que nous avons besoin d’une équipe de radiologues qui soit disponible 24h/ 24h, cela chamboule un peu notre programme. Mais nous avons fait les démarches qu’il faut pour que le ministère nous affecte des radiologues. Nous sommes en train de faire aussi des démarches pour faire venir des radiologues d’ailleurs, et j’espère que nous allons lancer cette activité le plus tôt possible.

Nous avons appris que le service d’hémodialyse et de néphrologie connaît un déficit en équipements, est-ce vrai ?

Il est vrai que le service d’hémodialyse et de néphrologie connaît quelques insuffisances d’équipements, mais vous devez savoir que depuis 2012, dans cet hôpital, nous essayons d’améliorer tous les services, chacun son tour. Les services chirurgicaux passent en priorité. Actuellement ce sont ceux de la chirurgie générale, de la neurochirurgie et de l’orthopédie qui ont notre attention. En effet, nous sommes en train de travailler suivant les normes internationales, avec des équipements extrêmement sophistiqués. Nous procédons à la mise à niveau des services médicaux et il y a des équipements qui vont être acquis pour l’hémodialyse et pour la néphrologie, afin de concrétiser le projet de la greffe rénale comme les autres centres greffeurs. Il faut que tous les moyens soient rassemblés. En tous les cas, nous sommes en train d’œuvrer pour. Nous avons rénové le parc des reins artificiels et nous allons acquérir d’autres équipements comme l’échographe pour la néphrologie, ce qui est déjà programmé.

Avec tous ces manques, pensez-vous pouvoir réaliser la première greffe rénale en septembre, comme prévu ?

Personnellement, je préfère greffer nos malades dans des conditions de sécurité maximales. Sinon, on ne lance pas l’activité du moment qu’on peut, en attendant, les faire greffer ailleurs. Il ne faut démarrer qu’une fois tous les moyens réunis. Si je n’ai pas un radiologue disponible 24h/24h, je préfère ne pas exposer nos malades à un quelconque risque. Le labo a été mis à niveau et l’équipe de néphrologie est prête à 100%, puisque chacun de ses membres a fait de la greffe durant sa formation. Sur le plan humain, nous sommes prêts à 75% et c’est donc le problème des anesthésistes et les radiologues qui nous bloque. Mais nous maintenons bien sûr le projet et nous allons essayer de réunir tous les moyens pour le mener à bout.

Pour l’instant donc vous n’avez pas prévu de date ?

Non, je ne fixe rien, parce que nous avons déjà fait une convention avec des radiologues et nous attendons toujours la concrétisation. J’avancerai une date quand tous les moyens humains seront disponibles. Concernant les chirurgiens cardio-vasculaires, la situation est la suivante : Le DR. Saâoui a fait le nécessaire pour nous rejoindre, moi-même j’interviens dans les transplantations et l’équipe chirurgicale aussi est prête. Reste à régler le problème des anesthésistes, ce que nous allons essayer de faire d’ici le rentrée. Pour ce qui est des radiologues, c’est un problème national, mais nous ne baisserons pas les bras.

Que pouvez-vous nous dire concernant la transplantation de cornée qui va se faire aussi pour la première fois à Béjaïa ?

Pour la greffe de cornée, il est prévu qu’elle se fasse durant le deuxième semestre de l’année en cours. Nous avons même acquis un microscope de dernière génération. Sachez aussi que les implants proviennent de l’Institut Pasteur et nous sommes programmés pour en recevoir et l’équipe de la chirurgie est prête. Mais là aussi, il y a un problème d’anesthésistes qu’il faudra régler définitivement. Néanmoins, la greffe de cornée est généralement facile et l’équipe est déjà rodée.

Vous avez acquis un nouveau mammographe numérique, de dernière génération, qu’a-t-il apporté au service ?

C’est vrai que nous avons acquis un mammographe de dernière génération, mais puisque les radiologues ne sont pas disponibles pour pouvoir faire les dépistages et les suivis, il y a un blocage. Donc, il faut les moyens humains en plus des moyens matériels. C’est pour ça que nous sommes en train d’œuvrer pour avoir une convention globale qui va nous permettre de recevoir, en permanence, des radiologues qui vont venir d’autres CHU dans le cadre des missions. Quand nous aurons au moins une convention pour avoir des résidents en fin de cycle et des spécialistes, à ce moment-là nous couvrirons l’activité de notre CHU en attendant d’avoir des radiologues permanents.

Comment faites-vous pour pallier à ce manque en ressources humaines ?

En l’absence de radiologues, nous avons formé nos médecins. Dans l’échographie par exemple, il y a certains médecins qui peuvent faire ce qu’on appel une échographie faste (une échographie rapide), juste pour voir s’il y a urgence ou pas. Nous avons aussi nos chirurgiens qui sont formés à l’interprétation du scanner pour prendre des décisions. En somme, nous avons pallié au manque de certaines ressources humaines en comblant avec la multitude des compétences d’autre catégorie telles que celles des chirurgiens et les médecins des urgences.

Pensez-vous que l’enveloppe budgétaire allouée à votre secteur puisse subvenir aux projets ambitieux qui sont inscrits ?

L’enveloppe budgétaire qui est allouée au CHU couvre juste les activités habituelles. C’est-à-dire qu’on ne peut pas faire de projets très ambitieux. Néanmoins, il faudrait juste un peu plus de rigueur dans la gestion et il faut prioriser. Il y a par exemple certaines équipes que je félicite pour le travail qu’elles font. Nous avons dû faire le choix entre des équipements. Nous voulons par exemple développer l’ORL en privilégiant l’ophtalmologie. Le budget que nous avons eu cette année couvre par ailleurs les besoins que nous avons formulés même pour les médicaments. Le CHU de Béjaïa a également réceptionné une partie du centre d’imagerie, c’est un centre qui comprend toutes les explorations, l’IRM, le scanner, la mammographie, les échographies ainsi que d’autres explorations telles que le doplaire, l’électromyographie, etc.

Entretien réalisé par Salima Mechmeche

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